Read Ebook: Œuvres complètes de Gustave Flaubert tome 3: L'éducation sentimentale v. 1 by Flaubert Gustave
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Ebook has 2169 lines and 67120 words, and 44 pages
Ils devaient, ? Montereau, prendre la diligence de Ch?lons. Leur voyage en Suisse durerait un mois. Mme Arnoux bl?ma son mari de sa faiblesse pour son enfant. Il chuchota dans son oreille une gracieuset?, sans doute, car elle sourit. Puis il se d?rangea pour fermer derri?re son cou le rideau de la fen?tre.
Le plafond, bas et tout blanc, rabattait une lumi?re crue. Fr?d?ric, en face, distinguait l'ombre de ses cils. Elle trempait ses l?vres dans son verre, cassait un peu de cro?te entre ses doigts; le m?daillon de lapis-lazuli, attach? par une cha?nette d'or ? son poignet, de temps ? autre sonnait contre son assiette. Ceux qui ?taient l?, pourtant, n'avaient pas l'air de la remarquer.
Quelquefois, par les hublots, on voyait glisser le flanc d'une barque qui accostait le navire pour prendre ou d?poser des voyageurs. Les gens attabl?s se penchaient aux ouvertures et nommaient les pays riverains.
Arnoux se plaignait de la cuisine: il se r?cria consid?rablement devant l'addition, et il la fit r?duire. Puis il emmena le jeune homme ? l'avant du bateau pour boire des grogs. Mais Fr?d?ric s'en retourna bient?t sous la tente, o? Mme Arnoux ?tait revenue. Elle lisait un mince volume ? couverture grise. Les deux coins de sa bouche se relevaient par moments, et un ?clair de plaisir illuminait son front. Il jalousa celui qui avait invent? ces choses dont elle paraissait occup?e. Plus il la contemplait, plus il sentait entre elle et lui se creuser des ab?mes. Il songeait qu'il faudrait la quitter tout ? l'heure, irr?vocablement, sans en avoir arrach? une parole, sans lui laisser m?me un souvenir!
Une plaine s'?tendait ? droite; ? gauche un herbage allait doucement rejoindre une colline o? l'on apercevait des vignobles, des noyers, un moulin dans la verdure, et des petits chemins au del?, formant des zigzags sur la roche blanche qui touchait au bord du ciel. Quel bonheur de monter c?te ? c?te, le bras autour de sa taille, pendant que sa robe balayerait les feuilles jaunies, en ?coutant sa voix, sous le rayonnement de ses yeux! Le bateau pouvait s'arr?ter, ils n'avaient qu'? descendre; et cette chose bien simple n'?tait pas plus facile, cependant, que de remuer le soleil!
Un peu plus loin, on d?couvrit un ch?teau, ? toit pointu, avec des tourelles carr?es. Un parterre de fleurs s'?talait devant sa fa?ade; et des avenues s'enfon?aient, comme des vo?tes noires, sous les hauts tilleuls. Il se la figura passant au bord des charmilles. A ce moment, une jeune dame et un jeune homme se montr?rent sur le perron, entre les caisses d'orangers. Puis tout disparut.
La petite fille jouait autour de lui. Fr?d?ric voulut la baiser. Elle se cacha derri?re sa bonne; sa m?re la gronda de n'?tre pas aimable pour le monsieur qui avait sauv? son ch?le. ?tait-ce une ouverture indirecte?
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Le temps pressait. Comment obtenir une invitation chez Arnoux? Et il n'imagina rien de mieux que de lui faire remarquer la couleur de l'automne, en ajoutant:
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Mais Arnoux ?tait tout occup? de ses bagages. La c?te de Surville apparut, les deux ponts se rapprochaient, on longea une corderie, ensuite une rang?e de maisons basses; il y avait, en dessous, des marmites de goudron, des ?clats de bois; et des gamins couraient sur le sable, en faisant la roue. Fr?d?ric reconnut un homme avec un gilet ? manches, il lui cria:
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On arrivait. Il chercha p?niblement Arnoux dans la foule des passagers, et l'autre r?pondit en lui serrant la main:
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Quand il fut sur le quai, Fr?d?ric se retourna. Elle ?tait pr?s du gouvernail, debout. Il lui envoya un regard o? il avait t?ch? de mettre toute son ?me; comme s'il n'e?t rien fait, elle demeura immobile. Puis, sans ?gard aux salutations de son domestique:
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Le bonhomme s'excusait.
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Et il alla manger dans une auberge.
Un quart d'heure apr?s, il eut envie d'entrer comme par hasard dans la cour des diligences. Il la verrait encore, peut-?tre?
Et l'am?ricaine l'emporta. Les deux chevaux n'appartenaient pas ? sa m?re. Elle avait emprunt? celui de M. Chambrion, le receveur, pour l'atteler aupr?s du sien. Isidore, parti la veille, s'?tait repos? ? Bray jusqu'au soir et avait couch? ? Montereau, si bien que les b?tes rafra?chies trottaient lestement.
Des champs moissonn?s se prolongeaient ? n'en plus finir. Deux lignes d'arbres bordaient la route, les tas de cailloux se succ?daient; et peu ? peu, Villeneuve-Saint-Georges, Ablon, Ch?tillon, Corbeil et les autres pays, tout son voyage lui revint ? la m?moire, d'une fa?on si nette qu'il distinguait maintenant des d?tails nouveaux, des particularit?s plus intimes; sous le dernier volant de sa robe, son pied passait dans une mince bottine en soie, de couleur marron; la tente de coutil formait un large dais sur sa t?te, et les petits glands rouges de la bordure tremblaient ? la brise, perp?tuellement.
Elle ressemblait aux femmes des livres romantiques. Il n'aurait voulu rien ajouter, rien retrancher ? sa personne. L'univers venait tout ? coup de s'?largir. Elle ?tait le point lumineux o? l'ensemble des choses convergeait;--et, berc? par le mouvement de la voiture, les paupi?res ? demi closes, le regard dans les nuages, il s'abandonnait ? une joie r?veuse et infinie.
A Bray, il n'attendit pas qu'on e?t donn? l'avoine, il alla devant, sur la route, tout seul. Arnoux l'avait appel?e <
Une large couleur de pourpre enflammait le ciel ? l'occident. De grosses meules de bl?, qui se levaient au milieu des chaumes, projetaient des ombres g?antes. Un chien se mit ? aboyer dans une ferme, au loin. Il frissonna, pris d'une inqui?tude sans cause.
Quand Isidore l'eut rejoint, il se pla?a sur le si?ge pour conduire. Sa d?faillance ?tait pass?e. Il ?tait bien r?solu ? s'introduire, n'importe comment, chez les Arnoux, et ? se lier avec eux. Leur maison devait ?tre amusante, Arnoux lui plaisait d'ailleurs; puis, qui sait? Alors, un flot de sang lui monta au visage: ses tempes bourdonnaient, il fit claquer son fouet, secoua les r?nes, et il menait les chevaux d'un tel train, que le vieux cocher r?p?tait:
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Peu ? peu Fr?d?ric se calma, et il ?couta parler son domestique.
On attendait Monsieur avec grande impatience. Mlle Louise avait pleur? pour partir dans la voiture.
< --La petite ? M. Roque, vous savez? --Ah! j'oubliais!>> r?pliqua Fr?d?ric, n?gligemment. Cependant, les deux chevaux n'en pouvaient plus. Ils boitaient l'un et l'autre; et neuf heures sonnaient ? Saint-Laurent lorsqu'il arriva sur la place d'Armes, devant la maison de sa m?re. Cette maison, spacieuse, avec un jardin donnant sur la campagne, ajoutait ? la consid?ration de Mme Moreau, qui ?tait la personne du pays la plus respect?e. Elle sortait d'une vieille famille de gentilshommes, ?teinte maintenant. Son mari, un pl?b?ien que ses parents lui avaient fait ?pouser, ?tait mort d'un coup d'?p?e, pendant sa grossesse, en lui laissant une fortune compromise. Elle recevait trois fois la semaine et donnait de temps ? autre un beau d?ner. Mais le nombre des bougies ?tait calcul? d'avance, et elle attendait impatiemment ses fermages. Cette g?ne, dissimul?e comme un vice, la rendait s?rieuse. Cependant, sa vertu s'exer?ait sans ?talage de pruderie, sans aigreur. Ses moindres charit?s semblaient de grandes aum?nes. On la consultait sur le choix des domestiques, l'?ducation des jeunes filles, l'art des confitures, et Monseigneur descendait chez elle dans ses tourn?es ?piscopales. Mme Moreau nourrissait une haute ambition pour son fils. Elle n'aimait pas ? entendre bl?mer le Gouvernement, par une sorte de prudence anticip?e. Il aurait besoin de protections d'abord; puis, gr?ce ? ses moyens, il deviendrait conseiller d'?tat, ambassadeur, ministre. Ses triomphes au coll?ge de Sens l?gitimaient cet orgueil; il avait remport? le prix d'honneur. Quand il entra dans le salon, tous se lev?rent ? grand bruit, on l'embrassa; et avec les fauteuils et les chaises on fit un large demi-cercle autour de la chemin?e. M. Gamblin lui demanda imm?diatement son opinion sur Mme Lafarge. Ce proc?s, la fureur de l'?poque, ne manqua pas d'amener une discussion violente; Mme Moreau l'arr?ta, au regret toutefois de M. Gamblin; il la jugeait utile pour le jeune homme, en sa qualit? de futur jurisconsulte, et il sortit du salon, piqu?. Rien ne devait surprendre dans un ami du p?re Roque! A propos du p?re Roque, on parla de M. Dambreuse, qui venait d'acqu?rir le domaine de la Fortelle. Mais le percepteur avait entra?n? Fr?d?ric ? l'?cart, pour savoir ce qu'il pensait du dernier ouvrage de M. Guizot. Tous d?siraient conna?tre ses affaires; et Mme Beno?t s'y prit adroitement en s'informant de son oncle. Comment allait ce bon parent? Il ne donnait plus de ses nouvelles. N'avait-il pas un arri?re-cousin en Am?rique? La cuisini?re annon?a que le potage de Monsieur ?tait servi. On se retira par discr?tion. Puis, d?s qu'ils furent seuls, dans la salle, sa m?re lui dit, ? voix basse: < Le vieillard l'avait re?u tr?s cordialement, mais sans montrer ses intentions. Mme Moreau soupira. < La diligence roulait, et, envelopp?e dans le ch?le, sans doute, elle appuyait contre le drap du coup? sa belle t?te endormie. < --C'est Deslauriers qui a besoin de moi, dit-il. --Ah! ton camarade! fit Mme Moreau avec un ricanement de m?pris. L'heure est bien choisie, vraiment!>> Fr?d?ric h?sitait. Mais l'amiti? fut plus forte. Il prit son chapeau. < Le p?re de Charles Deslauriers, ancien capitaine de ligne, d?missionnaire en 1818, ?tait revenu se marier ? Nogent, et, avec l'argent de la dot, avait achet? une charge d'huissier, suffisant ? peine pour le faire vivre. Aigri par de longues injustices, souffrant de ses vieilles blessures, et toujours regrettant l'Empereur, il d?gorgeait sur son entourage les col?res qui l'?touffaient. Peu d'enfants furent plus battus que son fils. Le gamin ne c?dait pas, malgr? les coups. Sa m?re, quand elle t?chait de s'interposer, ?tait rudoy?e comme lui. Enfin, le capitaine le pla?a dans son ?tude, et tout le long du jour, il le tenait courb? sur son pupitre ? copier des actes, ce qui lui rendit l'?paule droite visiblement plus forte que l'autre.
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