Read Ebook: Albert by Dumur Louis
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Ebook has 550 lines and 36440 words, and 11 pages
NOTES SUR LA TRANSCRIPTION:
--Les erreurs clairement introduites par le typographe ont ?t? corrig?es.
--On a conserv? l'orthographie de l'original, incluant ses variantes.
--Les lettres ?crites au-dessus ont ?t?es represent?es ainsi: a^b et a^.
ALBERT
par
LOUIS DUMUR
MDCCCXC
ALBERT
AUTEUR:
Saint-P?tersbourg: Ancienne Maison Mellier; Paris: Albert Savine.
POUR PARAITRE:
LOUIS DUMUR
ALBERT
PARIS BIBLIOTH?QUE
Artistique & Litt?raire
MDCCCXC
ALBERT
L'INITIALE D?VEINE
Fantoches, vous qui, durant les insomnies, voletez ?trangement autour des prunelles fi?vreuses, contez ? celui qui ne craint ni l'extr?me, ni le choquant, ni l'absurde, ni l'ironique, ni l'incoh?rence des actes, ni la disproportion des pens?es, contez, sans ?loge ou bl?me, la d?cevante vie d'Albert.
Du reste, sous toute chose, formule saint Thomas d'Aquin, g?t le r?el.
En une minime cit? de province, plus malsaine qu'immorale, plus st?rilisante que perverse, o? l'existence avait des longueurs particuli?res, de sp?ciales somnolences que ne soup?onnent point les vraies villes, point la pure campagne; en une sous-pr?fecture maussade, flasque, incolore, gluante, solitaire et confite en soi, pr?tentieuse et banale, chaste jusqu'? l'espionnage, inconsciente, na?ve, burlesque, ignor?e des humains et les ignorant; en une moyenne bourgade vulgairement situ?e sur l'in?vitable affluent aux ondes gris?tres, aux gr?ves gris?tres clairsem?es de gris?tres roseaux, vague ?glise gothique, pont restaur?; en un de ces trous administratifs et mornes, dont le nom provient d'une ancienne peuplade des Gaules mentionn?e dans C?sar; en un de ces mar?cages de la sottise, v?g?taient, monotones et bouffis, son p?re et sa m?re.
Ils l'eurent--lui--troisi?me, quatri?me ou cinqui?me enfant d'une nombreuse famille, procr?? ? son heure, en son jour, dans son num?ro d'ordre, tranquillement, b?atement et suivant les laisser-aller passifs de la bourgeoise providence. Ils l'avaient appel? Albert, parce que son parrain s'appelait Albert et que sa bonne tante maternelle s'appelait Albertine.
O confiance!
Ainsi il naissait parce qu'il naissait, sans raison, sans cause appr?ciable qui expliqu?t pourquoi il naissait ? cette latitude, sous ce m?ridien, dans cet endroit, pourquoi il naissait de ces petits commer?ants plut?t que de gros industriels, plut?t que d'un banquier, ou que d'un bandit, ou que d'un baron, ou que d'une actrice, pourquoi il naissait catholique et non pas calviniste, turc, disciple de Zoroastre, indou, pa?en, m?me adorateur du grand Lama, pourquoi il naissait avec ses vices et ses qualit?s, au lieu de diff?rents, pourquoi il naissait, enfin!
Il n'avait rien d'extraordinaire qui le distingu?t du commun des nouveau-n?s: ses chairs pendillottantes, rid?es, rouges, son nez camard, ses yeux gr?les, ses bras et jambes difformes qui bougillaient impond?r?s, sa t?te ridiculement anormale, sa bouche ?dent?e qui sans cesse s'?carquillait pour glapir les vagissements ... il n'?tait ni plus laid, ni plus beau que les autres hommes--moins laid, peut-?tre,--c'?tait un homme. Mais s'il avait d?j? pu r?fl?chir , c'e?t ?t? justement de cela qu'il se serait lament?: d'?tre homme.
La b?te, la plante, le protoplasma qui ?closent trouvent ? la sortie de leur oeuf, de leur germe, de leurs ?l?ments, une nature assez bienveillante, qui, si elle ne leur fait pas oublier les douceurs du non-?tre, incline, du moins, ? ne pas leur g?ter le sort par de trop viles insuffisances, par de trop sauvages imb?cillit?s. Ils jouissent, sans autre travail que celui de leur propre et libre d?veloppement, des irradiations de la lumi?re, des nourritures du sol, des exquisit?s de l'air et des liesses de la chaleur. La sensation les sert sans leur nuire. L'id?e ne leur incombe que dans les limites de la contemplation. Quelques-uns, sans doute, sont esclaves: mais ils ne le sont que par leurs rapports avec l'homme. Ils meurent accabl?s par l'?ge ou de mort subite; et pour ceux qui inspirent la piti?, les compagnons de l'homme, tout ce que la science a de ressources s'applique ? leur escamoter les souffrances du tr?pas et l'appr?hension d'?tre d?vor?s.
L'homme, au contraire, vaincu d'avance sous les horions de son destin, condamn? ? l'accablement partiel ou total de ses volont?s les plus ch?res, p?tri dans la mis?re, la nudit?, l'inqui?tude, surm?ne son ?nergie pour des buts qu'il n'atteint pas; rong? d'ambitions, toutes l?gitimes, puisqu'elles sont ses besoins, depuis l'ambition de manger, jusqu'? celle de r?genter le monde, il vogue d'espoir en espoir et tombe de d?sastre en d?sastre; son sang ?puis?, ses tissus ?tiques couvent les miasmes et les pustules, et son ?me est le si?ge de maladies morales, d'autant plus violentes qu'une relative sant? du corps leur laisse plus de loisir pour se d?velopper; il ne peut se soustraire ? ce fatalisme, et, malgr? l'?ternelle illusion, perdant ? mesure qu'il vieillit son courage et sa vigueur, qu'exaltait jadis sa nostalgie d'assouvissement, il se r?volte, il maugr?e, il reconna?t Arimane comme son ma?tre, et il est oblig? d'inventer une vie future pour se consoler de celle dont il est le jouet.
De l? cet axiome:
Les races inf?rieures s'?panouissent, l'homme se fane.
Et, nuit et jour, Albert criait.
Sa m?re, pour l'apaiser, d?boutonnait g?n?reusement sa poitrine m?re et lui donnait le sein.
PREMI?RE LUEUR DE RAISON
De ce lait maternel il e?t fallu beaucoup plus, pour faire du r?tif nourrisson un mortel docile ou r?sign?.
La rebuffade lui ?tait inn?e.
D?j?, ses yeux consid?raient les objets avec plus d'h?sitation que de curiosit?, et, avant m?me de pouvoir les nommer, comme autant d'ennemis il s'en fallait de peu qu'il ne les redout?t. Les mines arides de son entourage ?veillaient, ? ses premiers regards, des vell?it?s circonspectes et peureuses. Singuli?res, les r?veries muettes qui composaient sa pens?e en formation s'attardaient sur ces r?pulsions ?prouv?es. Il suspectait la lumi?re du matin de ramper par la vitre jusque sur son berceau pour voir ses paupi?res clignoter douloureusement; la charrette cahotant dans la rue de d?gringoler, assourdissante, lui casser la t?te; l'interminablement maigre crucifix, l?-bas, dans le coin, ce long corps efflanqu? sur le prie-Dieu, de m?diter l'effroi ? le fixer ainsi de ses orbites immobiles; et de vouloir l'horripiler les baisers gras dont ne cessaient de le couvrir, avec des mots b?tes, le p?re, la m?re, les fr?res, les soeurs, la cuisini?re et toute la clique r?pugnante des connaissances.
On lui apprit ? marcher et ? causer.
Certes, ce fut un soulagement de n'avoir plus ? subir ces bras qui le portaient de chambre en chambre, ? la promenade, au lit, ? l'office, qui le plantaient sur des genoux pointus, le ballottaient de ci, de l?, et dont il ne pouvait se passer. Il se servit de ses jambes pour quelquefois s'enfuir hors de la maison, se perdre dans quelque jardin, dans quelque faubourg, au risque de la verge. Quant au langage, s'il connut vite l'usage de deux ou trois substantifs, il s'en abstint volontiers et pr?f?ra le geste, plus sobre, plus rapide, plus expressif. Mais, d?s qu'il ne s'agissait pas de r?clamer pain, soupe ou polichinelle, aussit?t qu'il y avait id?e ? ?mettre, jugement ? poser, il n'?tait pas rare qu'il trouv?t des paroles impr?vues, qui surprenaient parce que, peu enfantines, elles d?notaient d'anormales dispositions.
Il cr?t de la sorte.
A vrai dire, la raison n'avait pas encore jailli en une de ces ?tincelles cr?pitantes, qui ?bouriffent d'aise ou de d?tresse les parents d?contenanc?s. Elle germait cependant. Durant d'ineffables heures, Albert contemplait l'univers ambiant, comme s'il e?t voulu en respirer l'essence et s'en instruire. Il s'acclimatait abondamment ? ces nouveaut?s, ou plut?t il tentait de s'y acclimater: car s'il y e?t r?ussi, il les e?t accept?es ? la fa?on des autres hommes, sans critiquer, d?votement. Or, observant avec cet esprit--inexp?riment?, sans doute, mais exempt de pr?jug?s, puisque, ? ce moment, presque rien n'y avait ?t? mis, offrant ainsi table rase aux ph?nom?nes--un acc?s de raison ne devait pas tarder ? ?clater, f?t-ce le seul, avant la corruption fatale engendr?e par les d?sirs vitaux.
Condisciple du premier ?ge, qui l'ench?sse d'innocence, toute p?trie d'ing?nuit?s, pourtant d'autant plus pure qu'elle a moins ?t? troubl?e par l'existence, qu'aurait ?t? la raison, sinon une vue soudainement ?vidente, par divination, par coup de th??tre, une irr?sistible vue du vrai philosophique, d?duit simplement, th?oriquement, math?matiquement de pr?misses d?couvertes tout ? coup?
La raison: clart? de l'intelligence sur les choses, abstraction faite du sentiment et des instincts.
Un vieux cur?, podagre, marmiteux, cacochyme, ratatin? comme un bout de parchemin, rid? comme une pomme br?l?e, avait pris Albert en affection. Grave et c?r?monieux, l'enfant venait boire le caf? au lait avec lui, sur sa terrasse haut perch?e, d'o? l'on dominait la petite ville et l'alentour m?lancolique des champs. Le vieux cur? le faisait asseoir dans un fauteuil trop gros, o? il enfon?ait jusqu'au ventre, et lui donnait des g?teaux ? grignoter, tandis que, le chef branlant, il l'incitait par de b?n?voles questions ? s'int?resser ? mille brimborions de science et de morale, au moyen desquels il se figurait le fa?onner pour l'avenir honn?te homme et consciencieux citoyen.
Nulle p?danterie, vraiment, mais une cr?dulit? pieuse et de touchantes superstitions en ce qu'il lui disait du grand ordre qui r?gne ici-bas, des harmonies de la nature, du roi de la cr?ation et des oiseaux chantant des louanges sur de jolies branches vertes, par un beau soleil. Que le globe ?tait bien install?, bien admirable, bien construit dans son indulgente imagination de vieux cur?! Comme tous les mignons pantins manoeuvraient d?licieusement entre les doigts de l'excellente cause supr?me! Le brave eccl?siastique s'attendrissait, mouillait des mouchoirs, pleurnichait en y songeant, tout en grattant ses articulations, dont les raideurs lui arrachaient parfois, au milieu de ses enthousiasmes, de piteux g?missements.
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A ces discours, prononc?s d'une voix ?mue et tremblotante--avec le mouchoir rouge qui allait et venait et ponctuait longuement les phrases, avec aussi les contractions p?nibles et les involontaires plaintes--Albert ne r?pondait ordinairement que par de rares signes de t?te ou d'?quivoques monosyllabes. Le vieux cur? avait-il raison de pr?ner ainsi l'universelle symphonie? Il ne le savait pas pr?cis?ment, mais il se doutait que cette apparente beaut?, si tant est qu'elle exist?t, ne devait gu?re s'obtenir sans de louches perturbations et de latents vices. Il n'avait encore ni vu beaucoup, ni appris grand'chose, mais le peu qui dans sa cervelle ?tait venu se nicher suffisait ? fomenter la d?l?t?re kyrielle des incertitudes. A la maison, chiens, chats, parents et enfants ?taient plus souvent de mauvaise humeur que de bonne; on y entendait gronder, quereller, temp?ter, japper, miauler, larmoyer, et l'on y sentait de vilaines odeurs; le repas ?tait mal cuit, il y avait des indigestions; ni libert?, ni fantaisie, mais des devoirs et une continuelle abdication de soi. Au dehors, le pav? boueux, les boutiques sombres, le passant r?barbatif. Rien n'indiquait cette joie tendre et salutaire c?l?br?e par le vieux cur?. Des corbillards emmenaient les restes.
<> s'avisa d'interroger un jour le bonhomme.--<> r?pondit Albert.
Mais, comme le magister n'en d?mordait pas et voulait lui tirer les vers du nez, f?brilement, un ressort aux l?vres, sans m?me prendre garde aux friandises ?tal?es sur son assiette, il s'?cria:
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