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Read Ebook: L'autre monde; ou Histoire comique des Etats et Empires de la Lune by Cyrano De Bergerac Robida Albert Illustrator

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Ebook has 284 lines and 48912 words, and 6 pages

Quelques-uns de la compagnie me r?gal?rent d'un grand ?clat de rire.

--Ainsi peut-?tre, leur dis-je, se moque-t-on maintenant, dans la Lune, de quelque autre, qui soutient que ce globe-ci est un monde.

Var: plusieurs grands hommes.

Cette pens?e, cependant, dont la hardiesse biaisait ? mon humeur, affermie par la contradiction, se plongea si profond?ment chez moi, que, pendant tout le reste du chemin, je demeurai gros de mille d?finitions de Lune, dont je ne pouvais accoucher: de sorte qu'? force d'appuyer cette croyance burlesque par des raisonnements presque s?rieux, il s'en fallait peu que je n'y d?f?rasse d?j?, quand le miracle ou l'accident, la fortune, ou peut-?tre ce qu'on nommera vision, fiction, chim?re ou folie, si on veut, me fournit l'occasion qui m'engagea ? ce discours.

Etant arriv? chez moi, je montai dans mon cabinet, o? je trouvai sur la table un livre ouvert que je n'y avais point mis. C'?tait celui de Cardan, et, quoique je n'eusse pas dessein d'y lire, je tombai de la vue, comme par force, justement sur une histoire de ce philosophe qui dit qu'?tudiant un soir ? la chandelle, il aper?ut entrer, au travers des portes ferm?es, deux grands vieillards, lesquels, apr?s beaucoup d'interrogations qu'il leur fit, r?pondirent qu'ils ?taient habitants de la Lune, et en m?me temps disparurent. Je demeurai si surpris, tant de voir un livre qui s'?tait apport? l? tout seul, que du temps et de la feuille o? il s'?tait rencontr? ouvert, que je pris toute cette encha?nure d'incidents pour une inspiration de faire conna?tre aux hommes que la Lune est un monde.

--Quoi! disais-je en moi-m?me, apr?s avoir tout aujourd'hui parl? d'une chose, un livre qui est peut-?tre le seul au monde o? cette mati?re se traite si particuli?rement, voler de ma biblioth?que sur ma table, devenir capable de raison, pour s'ouvrir justement ? l'endroit d'une aventure si merveilleuse; entra?ner mes yeux dessus, comme par force, et fournir ensuite ? ma fantaisie les r?flexions, et ? ma volont? les desseins que je fais!--Sans doute, continuais-je, les deux vieillards qui apparurent ? ce grand homme sont ceux-l? m?mes qui ont d?rang? mon livre et qui l'ont ouvert sur cette page pour s'?pargner la peine de me faire la harangue qu'ils ont faite ? Cardan.--Mais, ajoutais-je, je ne saurais m'?claircir de ce doute, si je ne monte jusque-l??--Et pourquoi non? me r?pondais-je aussit?t. Prom?th?e fut bien autrefois au Ciel y d?rober du feu. Suis-je moins hardi que lui? et ai-je lieu de n'en pas esp?rer un succ?s aussi favorable?

A ces boutades, qu'on nommera peut-?tre des acc?s de fi?vre chaude, succ?da l'esp?rance de faire r?ussir un si beau voyage: de sorte que je m'enfermai, pour en venir ? bout, dans une maison de campagne assez ?cart?e, o?, apr?s avoir flatt? mes r?veries de quelques moyens proportionn?s ? mon sujet, voici comment je montai au Ciel.

J'avais attach? autour de moi quantit? de fioles pleines de ros?e, sur lesquelles le Soleil dardait ses rayons si violemment, que la chaleur, qui les attirait, comme elle fait les plus grosses nu?es, m'?leva si haut, qu'enfin je me trouvai au-dessus de la moyenne r?gion. Mais, comme cette attraction me faisait monter avec trop de rapidit?, et qu'au lieu de m'approcher de la Lune, comme je pr?tendais, elle me paraissait plus ?loign?e qu'? mon d?part, je cassai plusieurs de mes fioles, jusqu'? ce que je sentis que ma pesanteur surmontait l'attraction, et que je redescendais vers la terre.

Mon opinion ne fut point fausse, car j'y retombai quelque temps apr?s; et, ? compter de l'heure que j'en ?tais parti, il devait ?tre minuit. Cependant, je reconnus que le Soleil ?tait alors au plus haut de l'horizon, et qu'il ?tait l? midi. Je vous laisse ? penser combien je fus ?tonn?: certes, je le fus de si bonne sorte que, ne sachant ? quoi attribuer ce miracle, j'eus l'insolence de m'imaginer qu'en faveur de ma hardiesse, Dieu avait encore une fois reclou? le Soleil aux Cieux, afin d'?clairer une si g?n?reuse entreprise. Ce qui accrut mon ?tonnement, ce fut de ne point conna?tre le pays o? j'?tais, vu qu'il me semblait qu'?tant mont? droit, je devais ?tre descendu au m?me lieu d'o? j'?tais parti. Equip? pourtant comme j'?tais, je m'acheminai vers une esp?ce de chaumi?re, o? j'aper?us de la fum?e; et j'en ?tais ? peine ? une port?e de pistolet, que je me vis entour? d'un grand nombre d'hommes tout nus. Ils parurent fort surpris de ma rencontre, car j'?tais le premier, ? ce que je pense, qu'ils eussent jamais vu habill? de bouteilles. Et, pour renverser encore toutes les interpr?tations qu'ils auraient pu donner ? cet ?quipage, ils voyaient qu'en marchant je ne touchais presque point ? la terre: aussi ne savaient-ils pas qu'au moindre branle que je donnais ? mon corps, l'ardeur des rayons de midi me soulevait avec ma ros?e, et que, sans que mes fioles n'?taient plus en assez grand nombre, j'eusse ?t? possible ? leur vue enlev? dans les airs.

Je les voulus aborder; mais, comme si la frayeur les e?t chang?s en oiseaux, un moment les vit perdre dans la for?t prochaine. J'en attrapai un toutefois, dont les jambes sans doute avaient trahi le coeur. Je lui demandai, avec bien de la peine , combien l'on comptait de l? ? Paris, et depuis quand en France le monde allait tout nu, et pourquoi ils me fuyaient avec tant d'?pouvante. Cet homme, ? qui je parlais, ?tait un vieillard oliv?tre, qui d'abord se jeta ? mes genoux; et, joignant les mains en haut derri?re la t?te, ouvrit la bouche et ferma les yeux. Il marmotta longtemps entre ses dents, mais je ne discernai point qu'il articul?t rien: de fa?on que je pris son langage pour le gazouillement enrou? d'un muet.

A quelque temps de l?, je vis arriver une compagnie de soldats tambour battant, et j'en remarquai deux se s?parer du gros, pour me reconna?tre. Quand ils furent assez proches pour ?tre entendus, je leur demandai o? j'?tais.

--Vous ?tes en France, me r?pondirent-ils, mais qui Diable vous a mis en cet ?tat? et d'o? vient que nous ne vous connaissons point? Est-ce que les vaisseaux sont arriv?s? En allez-vous donner avis ? monsieur le Gouverneur? et pourquoi avez-vous divis? votre eau-de-vie en tant de bouteilles?

Var: le mar?chal de l'H?pital.

--Ho, ho, me dirent-ils, me prenant les bras, vous faites le gaillard? Monsieur le Gouverneur vous conna?tra bien, lui!

Le Canada ou Nouvelle-France.

Le soir, comme je m'allais coucher, il entra dans ma chambre, et me dit:

--Monsieur, lui r?pliquai-je, voici les raisons ? peu pr?s qui nous obligent ? le pr?juger. Premi?rement, il est du sens commun de croire que le Soleil a pris la place au centre de l'univers, puisque tous les corps qui sont dans la Nature ont besoin de ce feu radical; qu'il habite au coeur de ce Royaume, pour ?tre en ?tat de satisfaire promptement ? la n?cessit? de chaque partie, et que la cause des g?n?rations soit plac?e au milieu de tous les corps, pour y agir ?galement et plus ais?ment: de m?me que la sage Nature a plac? les parties g?nitales dans l'homme, les p?pins dans le centre des pommes, les noyaux au milieu de leur fruit; et de m?me que l'oignon conserve, ? l'abri de cent ?corces qui l'environnent, le pr?cieux germe o? dix millions d'autres ont ? puiser leur essence; car cette pomme est un petit univers ? soi-m?me, dont le p?pin, plus chaud que les autres parties, est le soleil, qui r?pand autour de soi la chaleur conservatrice de son globe; et ce germe, dans cette opinion, est le petit Soleil de ce petit monde, qui r?chauffe et nourrit le sel v?g?tatif de cette petite masse. Cela donc suppos?, je dis que la Terre ayant besoin de la lumi?re, de la chaleur, et de l'influence de ce grand feu, elle tourne autour de lui pour recevoir ?galement en toutes ses parties cette vertu qui la conserve. Car il serait aussi ridicule de croire que ce grand corps lumineux tourn?t autour d'un point dont il n'a que faire que de s'imaginer, quand nous voyons une alouette r?tie, qu'on a, pour la cuire, tourn? la chemin?e alentour. Autrement, si c'?tait au Soleil ? faire cette corv?e, il semblerait que la m?decine e?t besoin du malade; que le fort d?t plier sous le faible; le grand servir au petit; et qu'au lieu qu'un vaisseau cingle le long des c?tes d'une province, la province tournerait autour du vaisseau. Que si vous avez peine ? comprendre comme une masse si lourde se peut mouvoir, dites-moi, je vous prie, les Astres et les Cieux, que vous faites si solides, sont-ils plus l?gers? Encore est-il plus ais? ? nous, qui sommes assur?s de la rondeur de la Terre, de conclure son mouvement par sa figure. Mais pourquoi supposer le Ciel rond, puisque vous ne le sauriez savoir, et que, de toutes les figures, s'il n'a pas celle-ci, il est certain qu'il ne se peut mouvoir? Je ne vous reproche point vos excent?ques, ni vos ?picicles, lesquels vous ne sauriez expliquer que tr?s confus?ment, et dont je sauve mon syst?me. Parlons seulement des causes naturelles de ce mouvement. Vous ?tes contraints, vous autres, de recourir aux intelligences qui remuent et gouvernent vos globes? Mais moi, sans interrompre le repos du Souverain Etre, qui sans doute a cr?? la Nature toute parfaite, et de la sagesse duquel il est de l'avoir achev?e, de telle sorte que, l'ayant accomplie pour une chose, il ne l'ait pas rendue d?fectueuse pour une autre; je dis que les rayons du Soleil, avec ses influences, venant ? frapper dessus, par leur circulation, la font tourner, comme nous faisons tourner un globe en le frappant de la main; ou de m?me que les fum?es, qui s'?vaporent continuellement de son sein, du c?t? que le Soleil la regarde, r?percut?es par le froid de la moyenne r?gion, rejaillissent dessus, et de n?cessit?, ne la pouvant frapper que de biais, la font ainsi pirouetter. L'explication des deux autres mouvements est encore moins embrouill?e. Consid?rez un peu, je vous prie...

--Mais, me dit-il, si, comme vous assurez, les ?toiles fixes sont autant de Soleils, on pourrait conclure de l? que le monde serait infini, puisqu'il est vraisemblable que les peuples de ce monde qui sont autour d'une ?toile fixe, que vous prenez pour un Soleil, d?couvrent encore au-dessus d'eux d'autres ?toiles fixes que nous ne saurions apercevoir d'ici, et qu'il en va de cette sorte ? l'infini.

--N'en doutez point, lui r?pliquai-je, comme Dieu a pu faire l'?me immortelle, il a pu faire le monde infini, s'il est vrai que l'?ternit? n'est rien autre chose qu'une dur?e sans bornes, et l'infini, une ?tendue sans limites. Et puis, Dieu serait fini lui-m?me, suppos? que le monde ne f?t pas infini, puisqu'il ne pourrait pas ?tre o? il n'y aurait rien, et qu'il ne pourrait accro?tre la grandeur du monde qu'il n'ajout?t quelque chose ? sa propre ?tendue, commen?ant d'?tre o? il n'?tait pas auparavant. Il faut donc croire que, comme nous voyons d'ici Saturne et Jupiter, si nous ?tions dans l'un ou dans l'autre, nous d?couvririons beaucoup de mondes que nous n'apercevons pas, et que l'univers est ? l'infini construit de cette sorte.

--Ma foi! me r?pliqua-t-il, vous avez beau dire, je ne saurais du tout comprendre cet infini.

Il me dit qu'? la v?rit? sa demande ?tait bl?mable, mais que je reprisse mon id?e.

Je m'en allais, d?s qu'elle ?tait lev?e, r?vant, parmi les bois, ? la conduite et ? la r?ussite de mon entreprise; et enfin, une veille de Saint-Jean, qu'on tenait conseil dans le Fort pour d?terminer si l'on donnerait secours aux Sauvages du pays contre les Iroquois, je m'en allai tout seul, derri?re notre habitation, au coupeau d'une petite montagne, o? voici ce que j'ex?cutai. J'avais fait une machine que je m'imaginais capable de m'?lever autant que je voudrais, en sorte que, rien de tout ce que j'y croyais n?cessaire n'y manquant, je m'assis dedans, et me pr?cipitai en l'air, du haut d'une roche. Mais, parce que je n'avais pas bien pris mes mesures, je culbutai rudement dans la vall?e. Tout froiss? n?anmoins que j'?tais, je m'en retournai dans ma chambre, sans perdre courage, et je pris de la moelle de boeuf, dont je m'oignis tout le corps, car j'?tais tout meurtri, depuis la t?te jusqu'aux pieds; et, apr?s m'?tre fortifi? le coeur d'une bouteille d'essence cordiale, je m'en retournai chercher ma machine; mais je ne la trouvai point, car certains soldats, qu'on avait envoy?s dans la for?t couper du bois pour faire le feu de la Saint-Jean, l'ayant rencontr?e par hasard, l'avaient apport?e au Fort, o?, apr?s plusieurs explications de ce que ce pouvait ?tre, quand on eut d?couvert l'invention du ressort, quelques-uns dirent qu'il y fallait attacher quantit? de fus?es volantes, parce que, leur rapidit? les ayant enlev?es bien haut, et le ressort agitant ses grandes ailes, il n'y aurait personne qui ne pr?t cette machine pour un dragon de feu. Je la cherchai longtemps, cependant, mais enfin je la trouvai, au milieu de la place de Qu?bec, comme on y mettait le feu.

La douleur de rencontrer l'oeuvre de mes mains en un si grand p?ril me transporta tellement que je courus saisir le bras du soldat qui y allumait le feu. Je lui arrachai sa m?che, et me jetai tout furieux dans ma machine pour briser l'artifice dont elle ?tait environn?e; mais j'arrivai trop tard, car ? peine y eus-je les deux pieds, que me voil? enlev? dans la nue. L'horreur dont je fus constern? ne renversa point tellement les facult?s de mon ?me que je ne me sois souvenu depuis de tout ce qui m'arriva en cet instant. Car, d?s que la flamme eut d?vor? un rang de fus?es, qu'on avait dispos?es six ? six, par le moyen d'une amorce qui bordait chaque demi-douzaine, un autre ?tage s'embrasait, puis un autre; en sorte que le salp?tre, prenant feu, ?loignait le p?ril en le croissant. La mati?re, toutefois, ?tant us?e, fit que l'artifice manqua, et, lorsque je ne songeais plus qu'? laisser ma t?te sur celle de quelque montagne, je sentis, sans que je remuasse aucunement, mon ?l?vation continu?e, et, ma machine prenant cong? de moi, je la vis retomber vers la terre.

Cette aventure extraordinaire me gonfla le coeur d'une joie si peu commune que, ravi de me voir d?livr? d'un danger assur?, j'eus l'impudence de philosopher l?-dessus. Comme donc je cherchais, des yeux et de la pens?e, ce qui en pouvait ?tre la cause, j'aper?us ma chair boursoufl?e, et grasse encore de la moelle dont je m'?tais enduit pour les meurtrissures de mon tr?buchement; je connus qu'?tant alors en d?cours, et la Lune pendant ce quartier ayant accoutum? de sucer la moelle des animaux, elle buvait celle dont je m'?tais enduit, avec d'autant plus de force que son globe ?tait plus proche de moi, et que l'interposition des nu?es n'en affaiblissait point la vigueur.

Quand j'eus perc?, selon le calcul que j'ai fait depuis, beaucoup plus des trois quarts du chemin qui s?pare la Terre d'avec la Lune, je me vis tout d'un coup choir les pieds en haut, sans avoir culbut? en aucune fa?on; encore, ne m'en fuss?-je pas aper?u, si je n'eusse senti ma t?te charg?e du poids de mon corps. Je connus bien ? la v?rit? que je ne retombais pas vers notre monde; car, encore que je me trouvasse entre deux Lunes, et que je remarquasse fort bien que je m'?loignais de l'une ? mesure que je m'approchais de l'autre, j'?tais assur? que la plus grande ?tait notre globe; parce qu'au bout d'un jour ou deux de voyage, les r?fractions ?loign?es du Soleil venant ? confondre la diversit? des corps et des climats, il ne m'avait plus paru que comme une grande plaque d'or: cela me fit imaginer que je baissais vers la Lune; et je me confirmai dans cette opinion, quand je vins ? me souvenir que je n'avais commenc? de choir qu'apr?s les trois quarts du chemin.

--Car, disais-je en moi-m?me, cette masse ?tant moindre que la n?tre, il faut que la sph?re de son activit? ait aussi moins d'?tendue, et que, par cons?quent, j'aie senti plus tard la force de son centre.

Enfin, apr?s avoir ?t? fort longtemps ? tomber , le plus loin dont je me souviens, c'est que je me trouvai sous un arbre, embarrass? avec trois ou quatre branches assez grosses que j'avais ?clat?es par ma chute, et le visage mouill? d'une pomme qui s'?tait ?cach?e contre.

L?, de tous c?t?s, les fleurs, sans avoir eu d'autre Jardinier que la Nature, respirent une haleine si douce, quoique sauvage, qu'elle r?veille et satisfait l'odorat; l?, l'incarnat d'une rose sur l'?glantier, et l'azur ?clatant d'une violette sous des ronces, ne laissant point de libert? pour le choix, font juger qu'elles sont toutes deux plus belles l'une que l'autre; l?, le Printemps compose toutes les Saisons; l?, ne germe point de plante v?n?neuse, que sa naissance ne trahisse sa construction; l?, les ruisseaux, par un agr?able murmure, racontent leurs voyages aux cailloux; l?, mille petits gosiers emplum?s font retentir la for?t au bruit de leurs m?lodieuses chansons; et la tr?moussante assembl?e de ces divins musiciens est si g?n?rale, qu'il semble que chaque feuille, dans ce bois, ait pris la langue et la figure d'un rossignol; et m?me l'Echo prend tant de plaisir ? leurs airs, qu'on dirait, ? les lui entendre r?p?ter, qu'elle ait envie de les apprendre.

A c?t? de ce bois se voient deux prairies, dont le vert-gai continu fait une ?meraude ? perte de vue. Le m?lange confus des peintures, que le Printemps attache ? cent petites fleurs, en ?gare les nuances l'une dans l'autre avec une si agr?able confusion, qu'on ne sait si ces fleurs, agit?es par un doux z?phyr, courent plut?t apr?s elles-m?mes qu'elles ne fuient pour ?chapper aux caresses de ce vent fol?tre. On prendrait m?me cette prairie pour un Oc?an, ? cause qu'elle est comme une mer qui n'offre point de rivage, en sorte que mon oeil, ?pouvant? d'avoir couru si loin sans d?couvrir le bord, y envoyait vitement ma pens?e; et ma pens?e, doutant que ce f?t l'extr?mit? du monde, se voulait persuader que des lieux si charmants avaient peut-?tre forc? le Ciel de se joindre ? la Terre.

Il faut que je vous avoue qu'? la vue de tant de belles choses, je me sentis chatouill? de ces agr?ables douleurs, qu'on dit que sent l'embryon, ? l'infusion de son ?me. Le vieux poil me tomba pour faire place ? d'autres cheveux plus ?pais et plus d?li?s. Je sentis ma jeunesse se rallumer, mon visage devenir vermeil, ma chaleur naturelle se rem?ler doucement ? mon humide radical; enfin, je reculai sur mon ?ge environ quatorze ans.

J'avais chemin? une demi-lieue ? travers une for?t de jasmins et de myrtes, quand j'aper?us, couch? ? l'ombre, je ne sais quoi qui remuait. C'?tait un jeune adolescent, dont la majestueuse beaut? me for?a presque ? l'adoration. Il se leva pour m'en emp?cher:

--Ce n'est pas ? moi, s'?cria-t-il, c'est ? Dieu que tu dois ces humilit?s!

Variante: Dont je ne suis que la cr?ature.

Il y a dans l'?dition Le Bret: son imagination.

Il faut maintenant que je vous raconte la fa?on dont j'y suis venu.

--Mais, l'interrompis-je, comment lanciez-vous votre balle si droit au-dessus de votre chariot, qu'il ne se trouv?t jamais ? c?t??

Que je croyais moi-m?me ?tre tout en feu.

Elle m'exau?a, car, au bout d'un demi-quart de lieue, je rencontrai deux fort grands animaux, dont l'un s'arr?ta devant moi; l'autre s'enfuit l?g?rement au g?te: au moins, je le pensai ainsi, ? cause qu'? quelque temps de l? je le vis revenir accompagn? de plus de sept ou huit cents de m?me esp?ce, qui m'environn?rent. Quand je les pus discerner de pr?s, je connus qu'ils avaient la taille et la figure comme nous. Cette aventure me fit souvenir de ce que jadis j'avais ou? conter, ? ma nourrice, des sir?nes, des faunes et des satyres. De temps en temps, ils ?levaient des hu?es si furieuses caus?es sans doute par l'admiration de me voir que je croyais quasi ?tre devenu monstre. Enfin, une de ces b?tes-hommes, m'ayant pris par le col, de m?me que font les loups quand ils enl?vent des brebis, me jeta sur son dos et me mena dans leur ville, o? je fus plus ?tonn? que devant, quand je reconnus en effet que c'?taient des hommes, de n'en rencontrer pas un qui ne march?t ? quatre pattes.

Lorsque ce peuple me vit si petit , et mon corps soutenu de deux pieds seulement, ils ne purent croire que je fusse un homme, car ils tenaient que, la Nature ayant donn? aux hommes, comme aux b?tes, deux jambes et deux bras, ils s'en devaient servir comme eux. Et, en effet, r?vant depuis l?-dessus, j'ai song? que cette situation de corps n'?tait point trop extravagante, quand je me suis souvenu que les enfants, lorsqu'ils ne sont encore instruits que de la Nature, marchent ? quatre pieds et qu'ils ne se l?vent sur deux que par le soin de leurs nourrices, qui les dressent dans de petits chariots et leur attachent des lani?res pour les emp?cher de choir sur les quatre, comme la seule assiette o? la figure de notre masse incline de se reposer.

Ils disaient donc qu'infailliblement j'?tais la femelle du petit animal de la Reine. Ainsi je fus, en qualit? de tel ou d'autre chose, men? droit ? l'H?tel de Ville, o? je remarquai, selon le bourdonnement et les postures que faisaient et le peuple et les Magistrats, qu'ils consultaient ensemble ce que je pouvais ?tre. Quand ils eurent longtemps conf?r?, un certain bourgeois, qui gardait les b?tes rares, supplia les Echevins de me commettre ? sa garde, en attendant que la Reine m'envoy?t qu?rir pour vivre avec mon m?le. On n'en fit aucune difficult?, et ce bateleur me porta ? son logis, o? il m'instruisit ? faire le godenot, ? passer des culbutes, ? figurer des grimaces; et, les apr?s-d?ners, il faisait prendre ? la porte un certain prix de ceux qui me voulaient voir. Mais le Ciel, fl?chi de mes douleurs et f?ch? de voir profaner le Temple de son ma?tre, voulut qu'un jour, comme j'?tais attach? au bout d'une corde, avec laquelle le charlatan me faisait sauter pour divertir le monde, j'entendis la voix d'un homme qui me demanda en grec qui j'?tais. Je fus bien ?tonn? d'entendre parler, en ce pays-l?, comme en notre monde. Il m'interrogea quelque temps; je lui r?pondis et lui contai ensuite g?n?ralement toute l'entreprise et le succ?s de mon voyage. Il me consola et je me souviens qu'il me dit:

--H? bien, mon fils, vous portez enfin la peine des faiblesses de votre monde. Il y a du vulgaire, ici comme l?, qui ne peut souffrir la pens?e des choses o? il n'est point accoutum?. Mais sachez qu'on ne vous traite qu'? la pareille et que, si quelqu'un de cette terre avait mont? dans la v?tre, avec la hardiesse de se dire homme, vos savants le feraient ?touffer comme un monstre.

Il me promit ensuite qu'il avertirait la Cour de mon d?sastre; et il ajouta qu'aussit?t qu'il avait su la nouvelle qui courait de moi, il ?tait venu pour me voir et m'avait reconnu pour un homme du monde dont je me disais parce qu'il y avait autrefois voyag? et qu'il avait demeur? en Gr?ce o? on l'appelait le D?mon de Socrate; qu'il avait, depuis la mort de ce Philosophe, gouvern? et instruit, ? Th?bes, Epaminondas; qu'ensuite, ?tant pass? chez les Romains, la justice l'avait attach? au parti du jeune Caton; qu'apr?s sa mort, il s'?tait donn? ? Brutus; que tous ces grands personnages n'ayant laiss? en ce monde ? leurs places que le fant?me de leurs vertus, il s'?tait retir?, avec ses compagnons, dans les temples et dans les solitudes.

Enfin, comme je traversais, de votre pays, en Angleterre, pour ?tudier les moeurs de ses habitants, je rencontrai un homme, la honte de son pays; car, certes, c'est une honte aux grands de votre Etat, de reconna?tre en lui, sans l'adorer, la vertu dont il est le tr?ne. Pour abr?ger son pan?gyrique, il est tout esprit, tout coeur, et il a toutes ces qualit?s, dont une jadis suffisait ? marquer un H?ros: c'?tait Tristan l'Hermite. V?ritablement, il faut que je vous avoue que, quand je vis une vertu si haute, j'appr?hendai qu'elle ne f?t pas reconnue; c'est pourquoi je t?chai de lui faire accepter trois fioles: la premi?re ?tait pleine d'huile de talk, l'autre, de poudre de projection, et la derni?re, d'or potable; mais il les refusa avec un d?dain plus g?n?reux que Diog?ne ne re?ut les compliments d'Alexandre. Enfin je ne puis rien ajouter ? l'?loge de ce grand homme, sinon que c'est le seul Po?te, le seul Philosophe, et le seul homme libre que vous ayez. Voil? les personnes consid?rables que j'ai fr?quent?es; toutes les autres, au moins de celles que j'ai connues, sont si fort au-dessous de l'homme, que j'ai vu des b?tes un peu au-dessus.

Au reste, je ne suis point originaire de votre Terre ni de celle-ci; je suis n? dans le Soleil. Mais, parce que quelquefois notre monde se trouve trop peupl?, ? cause de la longue vie de ses habitants, et qu'il est presque exempt de guerres et de maladies, de temps en temps, nos Magistrats envoient des colonies dans les mondes des environs. Quant ? moi, je fus command? pour aller au v?tre et d?clar? chef de la peuplade qu'on y envoyait avec moi. J'ai pass? depuis en celui-ci, pour les raisons que je vous ai dites; et ce qui fait que j'y demeure actuellement, c'est que les hommes y sont amateurs de la v?rit?; qu'on n'y voit point de P?dants; que les Philosophes ne se laissent persuader qu'? la raison et que l'autorit? d'un savant, ni le plus grand nombre, ne l'emportent point sur l'opinion d'un batteur en grange, quand il raisonne aussi fortement. Bref, en ce pays, on ne compte pour insens?s que les Sophistes et les Orateurs.

Je lui demandai combien de temps ils vivaient: il me r?pondit trois ou quatre mille ans, et continua de cette sorte:

Encore que les habitants du Soleil ne soient pas en aussi grand nombre que ceux de ce monde, le Soleil en regorge bien souvent, ? cause que le peuple, pour ?tre d'un temp?rament fort chaud, est remuant et ambitieux et dig?re beaucoup.

Ce que je vous dis ne vous doit pas sembler une chose ?tonnante, car, quoique notre globe soit tr?s vaste et le v?tre petit, quoique nous ne mourions qu'apr?s quatre mille ans, et vous, apr?s un demi-si?cle, apprenez que, tout de m?me qu'il n'y a pas tant de cailloux que de terre, ni tant de plantes que de cailloux, ni tant d'animaux que de plantes, ni tant d'hommes que d'animaux, ainsi, il n'y doit pas avoir tant de D?mons que d'hommes, ? cause des difficult?s qui se rencontrent ? la g?n?ration d'un compos? parfait.

Tant de belles choses qu'il m'expliquait me donn?rent la curiosit? de l'interroger sur sa naissance et sur sa mort; si au pays du Soleil l'individu venait au jour par les voies de g?n?ration et s'il mourait par le d?sordre de son temp?rament ou la rupture de ses organes.

--Il y a trop peu de rapport, dit-il, entre vos sens et l'explication de ces myst?res. Vous vous imaginez, vous autres, que ce que vous ne sauriez comprendre est spirituel ou qu'il n'est point; mais cette cons?quence est tr?s fausse, et c'est un t?moignage qu'il y a dans l'univers un million peut-?tre de choses, qui, pour ?tre connues, demanderaient en vous un million d'organes tous diff?rents. Moi, par exemple, je connais par mes sens la cause de la sympathie de l'aimant avec le p?le, celle du reflux de la mer, et ce que l'animal devient apr?s sa mort; vous autres ne sauriez donner jusqu'? ces hautes conceptions que par la foi, ? cause que les proportions ? ces miracles vous manquent, non plus qu'un aveugle ne saurait s'imaginer ce que c'est que la beaut? d'un paysage, le coloris d'un tableau et les nuances de l'iris; ou bien il se les figurera tant?t comme quelque chose de palpable, comme le manger, comme un son ou comme une odeur. Tout de m?me, si je voulais vous expliquer ce que j'aper?ois, par les sens qui vous manquent, vous vous le repr?senteriez comme quelque chose qui peut ?tre ou?, vu, touch?, fleur? ou savour? et ce n'est rien cependant de tout cela.

Il en ?tait l? de son discours, quand mon Bateleur s'aper?ut que la chambr?e commen?ait ? s'ennuyer de mon jargon, qu'ils n'entendaient point et qu'ils prenaient pour un grognement non articul?. Il se remit de plus belle ? tirer ma corde, pour me faire sauter, jusqu'? ce que, les spectateurs ?tant saouls de rire et d'assurer que j'avais presque autant d'esprit que les b?tes de leurs pays, ils se retir?rent chacun chez soi.

J'adoucissais ainsi la duret? des mauvais traitements de mon ma?tre par les visites que me rendait cet officieux D?mon; car, de m'entretenir avec ceux qui me venaient voir, outre qu'ils me prenaient pour un animal des mieux enracin?s dans la cat?gorie des Brutes, ni je ne savais leur langue, ni eux n'entendaient pas la mienne, et jugez ainsi quelle proportion; car vous saurez que deux idiomes seulement sont usit?s en ce pays, l'un qui sert aux grands et l'autre qui est particulier pour le peuple.

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