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Read Ebook: Nymphes dansant avec des satyres by Boylesve Ren

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Ebook has 503 lines and 29843 words, and 11 pages

REN? BOYLESVE DE L'ACAD?MIE FRAN?AISE

NYMPHES DANSANT AVEC DES SATYRES

PARIS CALMANN-L?VY, ?DITEURS 3, RUE AUBER, 3

DU M?ME AUTEUR

CONTES

LES BAINS DE BADE 1 vol. LE BONHEUR A CINQ SOUS 1 -- LA LE?ON D'AMOUR DANS UN PARC 1 -- LA MARCHANDE DE PETITS PAINS POUR LES CANARDS 1 --

ROMANS

LE M?DECIN DES DAMES DE N?ANS 1 vol. SAINTE-MARIE-DES-FLEURS 1 -- LE PARFUM DES ILES BORROM?ES 1 -- MADEMOISELLE CLOQUE 1 -- LA BECQU?E 1 -- L'ENFANT A LA BALUSTRADE 1 -- LE BEL AVENIR 1 -- MON AMOUR 1 -- LE MEILLEUR AMI 1 -- LA JEUNE FILLE BIEN ?LEV?E 1 -- MADELEINE JEUNE FEMME 1 --

E. GREVIN--IMPRIMERIE DE LAGNY

Droits de reproduction et de traduction r?serv?s pour tous les pays.

AU LECTEUR

Les contes que je r?unis ici ont ?t? ?crits vers 1894 et 1898; ce sont mes premiers essais dans le genre du r?cit, et ? cause de cela j'avais n?glig? de les publier en librairie.

Le titre m?me du pr?sent recueil est de ce temps-l?; il m'a plu toujours, non seulement parce qu'il ?voque une harmonieuse image, mais parce que le balancement qu'il exprime entre la gr?ce de formes pures et le rictus souvent d?sol? ou amer de cette malignet? que je vois ? la face du monde, me para?t caract?riser une disposition d'esprit qui se retrouve dans tous mes livres.

R. B.

DIVUS ARETINUS

A l'heure d?licieuse du soir qui pr?c?de la chute du soleil, messer Pierre Ar?tin, ayant retenu ? souper quelques-uns de ses visiteurs, se tenait avec eux au balcon de cette maison fameuse. Il y avait l? son bon ami le Titien, grand peintre, et le sculpteur Sansovino non moins c?l?bre; Nicolo Franco, secr?taire d'Ar?tin, et plusieurs femmes de grande beaut?, d'humeur alerte, et dont les propos avaient la gr?ce et l'agilit? des oiseaux libres qu'on voit en abondance dans les jardins enchant?s de l'?le de Murano. Et certes, s'il ?tait agr?able de contempler du balcon le spectacle mouvant du Canal, il arrivait aussi que nombre de gondoliers et de barcarols se missent d'eux-m?mes ? ralentir le balancement cadenc? de leur rame, pour fournir aux promeneurs l'occasion d'admirer l'entourage magnifique d'Ar?tin, le fl?au des princes. Les dames, d?j? par?es pour le souper, d?passaient par la splendeur de leur accoutrement les plus riches pi?ces d'orf?vrerie; leurs cheveux ?taient teints et s?ch?s, et leurs ?paules et leur gorge parfum?es et fard?es s'?panouissaient hors des brocarts et sous les perles, pareilles ? ces fleurs cultiv?es dont on ne sait au juste si l'attrait vient de l'excessive beaut? ou de l'artifice. Le ma?tre attirait les regards par l'?clat de son teint, sa longue barbe, son pourpoint cramoisi o? brillait une cha?ne d'or bien ouvrag?e, dernier gage d'amiti? de Sa Saintet? le Pape. Titien, qui adorait les couleurs, ?tait v?tu d'?toffes de velours noir d'une demi-douzaine de tons diff?rents. Sansovino, de qui la sobri?t? faisait l'objet d'amicales railleries, portait la longue robe de serge noire attach?e au cou simplement par des pi?ces d'argent.

L'on avait devis? tout le jour, en faisant de la musique et buvant des vins. Ar?tin avait tenu sur vingt hauts seigneurs les propos les plus hardis en m?me temps que les plus l?ches et les plus extravagants; il avait fort scandalis? son auditoire et l'avait beaucoup diverti. Maintes fois le bon sculpteur avait ?t? sur le point de se f?cher contre lui, et autant de fois il avait ?t? d?sarm? par ses reparties inopin?es et son exub?rance aussi pu?rile que d?concertante. Titien, plus pr?occup? de l'heureux effet de l'assemblage des choses que de la valeur isol?e de chacune, et sensible extr?mement aux saillies ainsi qu'? la belle humeur, regardait son ?trange ami d'un oeil sans cesse indulgent. Outre cela, Ar?tin connaissait les arts et les jugeait avec grand discernement et sinc?re amour; de sorte que l'illustre peintre ne croyait pas se tromper en admirant ? l'aveugle cette force extraordinaire, cette prodigieuse vitalit? qui, poussant Ar?tin ? tous les extr?mes, vous laissaient augurer de son audace l'enfantement de quelque chose d'excellent tout aussi bien que d'ex?crable.

Ar?tin pench? au balcon, le coude appuy? sur un tapis levantin, laissait aller sa verve au hasard des barques fuyantes. Il distribuait des bonjours, des signes de main, des compliments ? haute voix, des sourires; et, posant parfois sur sa bouche sa main charg?e de bagues, il lan?ait ? son entourage un mot cinglant qui ruinait un homme ou brisait d'un coup l'honneur d'une patricienne. On s'exclamait, on protestait, on riait. Le rire emportait tout. Et ceux que ce divertissement trouvait rebelles, se laissaient attendrir par les beaux jeux de l'heure cr?pusculaire sur les paillettes des eaux, sur la poupe grasse des gondoles et sur les marbres qui sont fr?res de la lumi?re.

Ainsi s'achevait, dans du luxe, de la beaut?, du plaisir, de la calomnie, des saluts, des baisers, des caquetages, de la musique et des promenades, une journ?e de Venise au temps de sa gloire.

--?coutez! ?coutez! voil? les nouvelles du jour: la guerre avec le Turc! ?coutez! ?coutez!... la rupture avec Sa Majest? l'Empereur!... ?coutez! ?coutez!... le mauvais ?tat des gal?res de la R?publique! l'Arsenal vendu secr?tement!... etc., etc.

Bien que le fait ne f?t pas sans pr?c?dent et que l'on e?t vu d?s les premi?res ann?es du si?cle de pauvres gens semer des pamphlets dans la ville, du haut du Rialto, cette irruption soudaine et la gravit? des nouvelles ?nonc?es, vraisemblables apr?s tout, jet?rent en moins d'une minute un grand trouble parmi les embarcations ?l?gantes qui sillonnaient le Grand Canal. Il y eut, un instant, une forte presse aux alentours du pont. On d?p?chait les gondoliers acheter la feuille imprim?e; bient?t les vendeurs la laiss?rent tomber en pluie sur les curieux; ceux-ci leur jetaient en ?change des sequins, des pi?ces d'argent et d'or, au hasard. Plusieurs personnes tomb?rent ? l'eau; quelques-unes y p?rirent. On n'y fit gu?re attention; la fi?vre tenait tout le monde, et les V?nitiens se dispers?rent en commentant les nouvelles, laissant, en l'espace d'un quart d'heure, le Grand Canal d?sert.

Cependant, on avait pris part ? l'inqui?tude g?n?rale sur le balcon de Pierre Ar?tin. Le bon Sansovino et Titien, natures peu compliqu?es et coeurs excellents, s'?taient montr?s vivement ?mus; deux femmes avaient ?t? prises de faiblesse, et le secr?taire Franco s'occupait activement ? les all?ger de leur corsage. Un domestique nombreux avait envahi les appartements; et l'Ar?tin, imperturbable, avait montr? ? ses amis deux n?gres de sa maison profitant du tumulte pour se sauver ? la nage, chacun la ceinture garnie des meilleures pi?ces de sa vaisselle d'or.

--Vous les ferez pendre? dit le Titien.

--Mais non! fit Ar?tin, je tirerai de Sa Majest? l'Empereur un service de table nouveau...

En entendant prononcer le nom de l'Empereur, on s'approcha de l'Ar?tin.

--Vous parlez de l'Empereur avec facilit?, hasarda Sansovino; mais s'il y a du vrai sur les papiers que l'on vient de distribuer et qui ont troubl? toute la ville, Sa Majest? n'est pas sur le point de combler de pr?sents les V?nitiens, f?t-ce en la personne de leur plus illustre citoyen!...

--Messer Jacopo, dit Ar?tin, votre cervelle est, ? cette heure, de terre glaise, et vous p?n?trez la chose publique avec l'aisance qu'aurait un aveugle ? d?couvrir cette turquoise au fond du Grand Canal. Or je gage, moi, Pierre Ar?tin, qu'avant le mois ?coul?, sans prendre la peine d'?crire un sonnet, et sur le seul bruit du d?sir que je viens d'exprimer de recouvrer ma vaisselle d'or, je tiendrai de l'auguste lib?ralit? de Charles cinqui?me un service plus beau que celui que l'on me vient de d?rober, et une pierre plus grosse que celle dont les plongeurs que vous voyez d'ici vont se tirer une fortune.

--Ho! ho! s'?cria-t-on autour de lui, car, bien que l'on conn?t son imprudence coutumi?re, il semblait, cette fois-ci, d?passer la mesure. On l'?coutait avec anxi?t?; il venait de prendre ce sourire singulier qui le faisait, disait-on, ressembler ? un loup.

--Car sachez, poursuivit-il, que Sa Majest? apprenant les bruits f?cheux qui courent ? Venise au sujet des relations de l'empire avec la R?publique--et qui sont de nature ? troubler l'?conomie des ?tats chr?tiens!--Sa Majest?, dis-je, s'adressera, pour les ?touffer, au seul homme de qui le souffle en ait le pouvoir...

--Parce qu'il est le seul... hasarda Sansovino, soup?onneux ? bon droit, et d?j? tout blanc d'indignation.

--Achevez donc! fit Ar?tin, gouailleur.

--... qui les ait r?pandus! pronon?a ? demi-voix le pauvre sculpteur, en se d?tournant d?j? pour prendre la porte.

--Vous l'avez dit! s'?cria l'Ar?tin. Et il ?branla tout le palais de son large rire.

Il riait seul dans tout Venise. Durant plusieurs secondes, le retentissement de son plaisir emplit le Canal assombri, et fit vibrer les vitres des maisons o? les citoyens se rongeaient d'inqui?tude pour la farce sinistre de ce colossal bouffon.

Tandis que ce rire gagnait toute la maison de l'Ar?tin, et que Sansovino lui-m?me passait ? son comp?re cette derni?re folie--car on devient indulgent quand on est d?livr? d'un souci,--quelqu'un fit observer, dans la p?nombre qui tombait sur le Canal abandonn?, une gondole riche, dont les tapis fr?laient la surface de l'eau et qui s'avan?ait avec la lenteur ordinaire aux promenades amoureuses. Les personnes qui s'y trouvaient ?taient assur?ment fort ?trang?res aux pr?occupations actuelles de la ville; et il fallait, d'autre part, que leur attention f?t fortement tenue par ailleurs pour ne s'inqui?ter pas davantage de l'aspect insolite du Canal, ni de l'isolement complet de leur embarcation au milieu du pesant silence que brisaient seuls les ?clats du balcon d'Ar?tin.

On s'attendait ? ce que la belle humeur du ma?tre le pouss?t ? invectiver contre les promeneurs au passage. Justement, Ar?tin se penchait, et son oeil s'effor?ait de distinguer leurs silhouettes ou leurs traits, dans la clart? mourante.

La gondole approchait, paisible et muette comme une ?corce de bois qui suit le fil de l'eau.

--Je ne vois qu'une femme, dit quelqu'un.

--Moi, qu'un homme.

--Imb?ciles! fit Ar?tin, vous ne voyez pas que ce sont des amants?... Des flambeaux! que l'on apporte des flambeaux!...

Le balcon s'illumina. La gondole aussit?t esquissa un mouvement de retrait, comme ferait un animal vivant sensible ? la lumi?re; mais elle ne se retira pas assez vite pour que l'on n'e?t le temps d'apercevoir les visages.

--Par la Madone! dit Ar?tin, voici une enfant plus belle que la tr?s sainte m?re de Dieu!

--Qui conna?t cette jeune femme? dit Ar?tin.

Aucun de ceux qui ?taient l? ne l'avait vue, jamais.

--Elle n'est pas de Venise, dit Titien; elle a la chair menue et transparente que l'on voit aux Vierges des bons ma?tres de Cologne et la gr?ce pieuse des filles de Sienne illustr?es par le doux Sano di Pietro, homme tout en Dieu, ainsi qu'on l'appelle.

--Elle est d'ivoire, dit Sansovino. J'ai vu, ? Rome, dans la maison de l'illustre Agostino Chigi, des statuettes finement taill?es qui ?taient les petites soeurs de cette enfant. Leur taille est ploy?e ? demi, et elles sont si fr?les que l'on voudrait leur enlever le bambin qui semble leur peser au bras...

--Et l'homme? l'homme? qui le conna?t? dit Ar?tin avec impatience.

On ne le connaissait pas davantage. La gondole s'?loignait; Ar?tin tr?pignait. Il appela des domestiques. Il choisit le plus vigoureux, nomm? Tommaso; d?tacha le poignard qu'il portait ? la ceinture et le lui remit.

--Quitte les couleurs de l'Ar?tin, dit-il, va tout nu au besoin, et cours par les petites rues jusqu'? ce que tu croies avoir d?pass? de cent brasses la gondole qui s'en va l? du train que tu vois. A cette distance, tu regagnes le Canal, tu d?taches la premi?re barque et tu viens ? la rencontre de la gondole. Cache ton arme, mais tiens-la ? port?e de la main. Tu t'avances et demandes d'abord avec politesse ? conna?tre le nom de la dame. Si on te le donne, tu t'?loignes en saluant, et l'affaire est sans importance. Si le seigneur bondit ? ton approche, tu prends le nom, co?te que co?te. Va-t'en!

--Comp?re, dit Titien, songez que ce sont deux jeunes amants, deux fianc?s, deux ?poux peut-?tre: ils sont heureux et pleins de beaut?!...

A l'abri de l'autorit? du grand peintre, tout le monde se pressa autour de cet homme aux caprices terribles, et les regards de tous l'imploraient.

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