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Read Ebook: Nymphes dansant avec des satyres by Boylesve Ren

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Ebook has 503 lines and 29843 words, and 11 pages

A l'abri de l'autorit? du grand peintre, tout le monde se pressa autour de cet homme aux caprices terribles, et les regards de tous l'imploraient.

--Mesdames, dit Ar?tin, galamment, et vous, messieurs, ? table! Nous avons ce soir des foies de coq de bruy?re que notre comp?re Titien nous a fait venir de sa maison de campagne de Cadore; il convient de les f?ter tant pour leur excellence que pour la qualit? du donateur, artiste divin... Pour ma part, j'ai grand app?tit.

La chaleur du repas d?tourna les esprits de se pr?occuper excessivement de la sc?ne qui se devait jouer dans le m?me temps sur le Grand Canal, ? la faveur de la nuit. Le ma?tre prit place entre madame Angela Zaffetta, fort excellente courtisane dont les ?paules et la gorge ?taient aussi arrondies que l'humeur, et la c?l?bre chanteuse Franceschina, ? qui il arrivait de se d?piter, parce que l'on saisissait mal le sens de ses paroles, absorb? que l'on ?tait par la musique enchanteresse de sa voix. Il y avait encore l? plusieurs autres personnes remarquables, soit par leur beaut?, soit par la vivacit? ou l'aisance de leurs passions.

L'on s'exclama, d?s que l'on fut assis, sur la magnificence de la verrerie qui d?corait la table. C'?tait une surprise qu'Ar?tin m?nageait ? ses convives et c'?tait en m?me temps une r?volution dans les arts, qu'il accomplissait de la mani?re la plus ?l?gante. La fabrique de Murano commen?ait de s'?tioler dans la r?p?tition des m?mes mod?les, quand Ar?tin, recevant en hommage une reproduction des arabesques et autres ornements que Jean d'Udine avait ex?cut?s pour la d?coration du Vatican, con?ut l'id?e d'appliquer ces charmants dessins ? l'embellissement des verres de Murano. On venait de lui adresser les plus satisfaisantes ?preuves de cette tentative, et il exposait ces merveilles que son initiative allait r?pandre par le monde, en cr?ant pour son pays une nouvelle source de richesse.

Titien, que la vue d'un bel objet ?mouvait jusqu'aux larmes, perdait le boire et le manger ? retourner les d?licats chefs-d'oeuvre dans sa main s?re et puissante. Il en faisait jouer les teintes diverses ? la lumi?re; et les mille caprices des entrelacs, les mascarons, et les t?tes de satyres enla?aient, lutinaient et ?tourdissaient son esprit dans les d?tours de leur voluptueux labyrinthe. Sansovino, plus r?serv?, contemplait et jugeait en silence. Il avait la repartie brusque et m?me violente, ainsi que les personnes d'une grande probit?. La Zaffetta, qui ?tait ? sa droite et qui ?tait plus accoutum?e de voir l'?clat de la passion des hommes que la sagesse qui leur permet de la faire servir ? la bont? de leurs actes, craignit que certains mouvements d'humeur de l'apr?s-midi ne poussassent le sculpteur ? appr?cier d?favorablement l'id?e d'Ar?tin. Elle se pencha sur son bras et, le pressant de toute sa chair fleurie, elle lui montra du doigt le fils de V?nus, que l'on voyait tirant son arme redoutable, dans la transparence du verre, et lui dit:

--Prenez garde, messer Sansovino, car ce petit coquin est si bien fait que l'on croit qu'il nous va transpercer l'un ou l'autre...

Et elle s'approcha si pr?s que le bonhomme ne pouvait faire autrement que de lui baiser l'?paule, et sa l?vre ?tait d?j? toute fr?missante.

--Eh bien! non! dit-il, se levant tout ? coup, si je m'accorde ce soir le rago?t d'un baiser, ce ne sera pas ? la Zaffetta, qui est belle sans discontinuit?, que j'en ferai la faveur, mais ? mon comp?re Ar?tin, qui a moins de constance dans la vertu, mais s'y hausse parfois jusqu'au sublime, comme on le voit ? cet ouvrage, qui cr?e une seconde fois Murano. Et je souhaite que ces beaux verres soient nomm?s Ar?tins!

Et le grand artiste, quittant sa place, alla embrasser Ar?tin, aux applaudissements de la compagnie qui, tour ? tour, ou confus?ment, imita son exemple.

Titien dit:

--Ar?tin, je ferai, ? cause du plaisir que j'ai eu, la copie de la figure de Notre-Seigneur, frapp? par des soldats, avec le buste de Tib?re dans le fond, au-dessus de la porte du pr?toire, et qui est destin?e ? Sa Majest? l'Empereur, et je te la donnerai.

C'?tait un cadeau royal qui fut fait effectivement le jour de No?l de la m?me ann?e.

Franco versait des torrents d'inventions libertines dans le sein de la courtisane Pocofila. Le rire frais de cette jeune femme, plus renomm?e par la puret? de ses formes que par ses qualit?s spirituelles, r?pandait sur la table heureuse l'illusion d'un jaillissement d'eau claire; ses cris charmants allaient ?veiller l'?cho dans la gorge des Ar?tines; une ?clatante gaiet? animait l'assistance, et chacun r?clamait du ma?tre le r?cit de quelques-unes de ces <> fameuses, dont l'impertinence surpassait ce qui s'?tait ?crit jusqu'alors pour le divertissement des dames.

L'Ar?tin, seul, sous les dehors d'une joie bruyante, gardait l'apparence d'un souci, et il lui arrivait de tourner la t?te vivement lorsque la porte s'ouvrait. Mais, ? la v?rit?, tout le monde en ayant d?j? oubli? la cause, on n'y prenait point garde.

--Par la Madone, dit-il, j'abandonnerai aujourd'hui la royaut? de la priap?e ? mon excellent Franco, qui s'y exer?a tant?t avec adresse dans le giron de mes plus belles amies, tandis que j'y fus, quant ? moi, assez mal pr?par? en ouvrant la journ?e par la mise en langue vulgaire d'un des Psaumes de la p?nitence...

Et, tandis que l'on riait ? ces mots, il prit texte de l'un des versets sacr?s pour ?chafauder une si scandaleuse nouvelle, que plusieurs des convives qui n'?taient point sujets ? se montrer pudibonds en rougirent et s'en r?p?t?rent mentalement les termes les plus frappants pour en ?prouver l'effet sur les personnes de leur connaissance.

Un tumulte se fit, ? ce moment, du c?t? des portes, et l'Ar?tin ne put dissimuler une ?motion soudaine en reconnaissant son domestique Tommaso, qui revenait de l'exp?dition du Grand Canal en assez piteux appareil et soutenu par chaque bras, comme s'il allait d?faillir.

Ar?tin se leva pr?cipitamment:

--Tommaso, dit-il, as-tu accompli ta mission?

Tommaso fit signe que oui.

--Eh bien! je t'?coute, fit le ma?tre avec impatience; parleras-tu?

--Seigneur... balbutia Tommaso, et il chancela.

--Parle! par tous les diables! as-tu le nom?

Tommaso fit un violent effort, et il dit:

--Je l'ai, seigneur!

Ar?tin commanda qu'on avan??t un si?ge au malheureux. On lui fit prendre un peu de vin ?pic?; il revint ? lui. Les femmes s'?taient lev?es et l'entouraient, voulaient savoir s'il ?tait bless?; mais Ar?tin, pench? sur lui, les yeux fix?s sur les mouvements de ses l?vres, n'?tait attentif qu'? ce nom de femme qui allait ?tre prononc?, et gr?ce ? quoi il poursuivrait jusqu'au bout du monde la cr?ature de s?duction qui lui ?tait apparue ce soir, d?t-il remuer tous les ?tats de l'Europe.

Tommaso recouvra assez de force pour parler:

--J'ai ex?cut?, dit-il, les ordres de Votre Seigneurie; je suis venu en barque ? l'encontre de la gondole, et j'ai adress? ? la jeune femme, puis au jeune homme, une bonne r?v?rence. Mais, avant que j'eusse parl?, celui-ci, qui a le sang vif, seigneur, a mis la main ? sa dague... Je tenais ferme le stylet de Votre Seigneurie, et, sans faire un geste, je demandais seulement ? conna?tre le nom et je me penchais fortement vers la jeune femme, qui avait fort peur. Je pensais qu'elle me le donnerait pour couper court ? cette sc?ne. Une partie de ma pr?vision se r?alisa, car cette dame, s'apercevant de l'attitude mena?ante de son compagnon, me jeta son nom; mais, au m?me moment, je re?us par derri?re, entre les deux ?paules, une mauvaise piq?re...

--Cet homme est bless?! s'?cri?rent ? la fois la Zaffetta, la Franceschina et la Pocofila, et elles tendaient les mains pour d?faire son v?tement.

--Et ce nom! ce nom! hurlait l'Ar?tin, sur la bouche de Tommaso.

--Elle se nomme P?rina Riccia, seigneur, c'est une colombe du bon Dieu, une enfant qui tiendrait dans la main de Votre Seigneurie...

Ar?tin pronon?a tout bas et savoura par avance les syllabes de ce nom: P?rina Riccia; il les baisait des l?vres ? mesure que leur aimable consonance tintait.

--O? est-elle ? cette heure? demanda-t-il imp?rieusement au messager qui faiblissait.

--Que Votre Seigneurie daigne me prendre en piti?, dit Tommaso; je n'ai pas pu sentir cette piq?re sans faire aussit?t un mouvement violent du c?t? de ce jeune seigneur, et comme ma main ?tait fortement garnie de la lame de Votre Seigneurie, celui-ci l'?prouva, un peu trop avant, sans doute, car il en chavira dans le Canal, je ne l'ai plus revu...

--Malheureux! dit quelqu'un, le gondolier te d?noncera!

--Le gondolier, dit Tommaso, est Piero Becchino, de Chioggia, c'est mon ami; il sera celui de sa Seigneurie si elle le veut bien payer...

--Et P?rina? interrompit Ar?tin.

--Elle est ici, seigneur; nous l'avons ramen?e ?vanouie, dans la gondole; elle est blanche comme la lune et elle ressemble ? Notre-Dame la Vierge...

Toute la compagnie se pr?cipita d'un bond vers le vestibule d'o? l'on acc?dait aux marches de marbre que la gondole fr?lait. Dans le tumulte on heurta l'?paule de Tommaso qui poussa un l?ger cri et mourut. Sansovino qui n'avait point de curiosit? et Franco qui n'avait pas de go?t pour les femmes maladives et p?les, ?tant demeur?s en arri?re, s'aper?urent seuls de cet accident. Le bon sculpteur allait s'?crier:

--Taisez-vous donc! fit le secr?taire d'Ar?tin, qui connaissait la pens?e du ma?tre, la perte de cet homme-ci accommode les choses ? merveille, car, lui disparu, rien ne s'oppose ? ce que la demoiselle P?rina Riccia, revenue de son sommeil, ne se croie recueillie dans une maison hospitali?re, ? la suite d'une mauvaise aventure...

Et les deux hommes transport?rent le corps de Tommaso dans un cabinet donnant sur un canal obscur.

P?rina Riccia s'?veilla dans une alc?ve ? cariatides dor?es, et ? tentures de soie ray?es de lames d'or, qu'?clairaient de la mani?re la plus agr?able plusieurs petites lanternes ? colonnes torses, suspendues au plafond, et o? des miroirs ?taient si habilement m?nag?s, que l'effet produit sur les panneaux de la chambre en ?tait comparable ? celui de peintures en clair-obscur. La lumi?re tremblotante tirait de l'ombre, ? intervalles ? peu pr?s r?guliers, de riches consoles garnies de hautes pi?ces de c?ramique, ou de vases d'or et d'argent; des vitrines remplies de beaux d?bris antiques ou de livres en cuir guilloch?; aux murs apparaissaient de belles glaces de Venise, des m?dailles, des tableaux et des instruments de musique.

La nuit ?tait avanc?e; les convives partis, les domestiques retir?s; la maison d'Ar?tin ?tait dans le complet silence. Le ma?tre seul avait tenu ? veiller la jeune femme que les m?decins appel?s en h?te avaient d?clar?e hors de danger, du moins quant au pr?sent, car elle ?tait d'une d?licatesse excessive, et sa poitrine ?tait faible.

Ar?tin, agenouill? sur un prie-Dieu, penchait la t?te sur la belle endormie, et son attention ?tait telle, au-dessus de ce fr?le visage, que l'on e?t dit qu'il ne vivait lui-m?me que du souffle presque insaisissable qu'?mettaient les gracieuses narines transparentes et pareilles ? de fines verreries couleur de lait. Il voulait voir la lente r?surrection de la cr?ature charmante de qui l'existence pass?e venait d'?tre par lui rompue et qui allait, entre ses bras, rena?tre ? une vie nouvelle. La figure s'animait peu ? peu, de l?gers mouvements nerveux ?taient visibles aux alentours des paupi?res et la tempe prenait cet aspect ind?finissable que donne la vie ? cette partie du visage.

Elle remua doucement, et le premier mot qu'elle pronon?a fut:

--Polo!...

Ce nom r?sonna dans le silence. Elle n'avait pas encore ouvert les yeux, et la r?miniscence se formait ? l'instant du r?veil. Tout ? coup elle ?clata en sanglots et poussa des cris d?chirants. Ar?tin s'appr?tait ? jouer le r?le d'une m?re, et ouvrait ses bras pour entourer cette t?te endolorie. Elle l'aper?ut et s'effraya de sa figure barbue.

--O? suis-je? dit-elle, sainte Madone, ayez piti? de moi!

--La Madone, dit Ar?tin, a pris soin de vous et vous a envoy?e reposer dans une maison amie o? seigneurs et valets sont aux pieds de votre gr?ce, ma tr?s belle...

--Ha! ha! ha! s'?cria-t-elle, je suis perdue! Et n'est-ce pas vous qui avez tu? Polo, mon amant?

--Je ne sais, mon enfant, qui vous entendez dire par ce joli nom de Polo, et mes gens vous ont trouv?e ce soir, solitaire et ?vanouie dans une barque... Je vous ai mise ici dans l'intention que vous soyez mieux ? l'aise qu'au fil de l'eau...

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