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Read Ebook: Jours de famine et de détresse: roman by Doff Neel

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Ebook has 910 lines and 32481 words, and 19 pages

an?ais: je me rappelle fort bien que ma m?re, quand j'?tais petite, parlait le fran?ais avec son fr?re de Li?ge, et que <> revenait souvent dans la conversation. O? as-tu entendu ces mots?

Je ne voulais rien dire. Mina soutenait mordicus que je les inventais. Je n'inventais jamais rien: les termes inusit?s dont je me servais, je les avais lus ou entendus, et je les r?p?tais ? la grande exasp?ration de ma famille; mais jamais je ne m'?tais servi d'aucun comme de ceux-ci.

Devant une injustice, je criais: <> Quand on voulait me prendre mes joujoux, je tr?pignais: <> Enfin <> ?taient devenus pour moi les mots supr?mes de la protestation, et j'en avais si bien saisi la signification que je suis s?re de ne les avoir jamais dits ? contresens.

A L'?COLE CATHOLIQUE

Comme les deux bras de mon p?re ne pouvaient suffire ? nourrir dix bouches, et que ma m?re, ? cause de ses huit enfants, avait d? abandonner son m?tier de dentelli?re, la mis?re ?tait continue chez nous. Aussi, de temps ? autre, ma m?re ?crivait-elle ? quelques dames charitables pour obtenir des secours; parfois, on nous en donnait.

Peu de gens savent ?tre bons sans se m?ler de vos affaires. Une de ces dames avait d?cid? que je ne pouvais continuer ? fr?quenter l'?cole communale et que je devais aller ? une ?cole catholique. Elle avait, en payant cinq florins pour l'admission, le droit de placer une enfant dans cette ?cole.

La premi?re fois que je m'y rendis, je portais une petite robe en indienne lilas, un tablier blanc propre, et un ruban bleu dans les cheveux. Une soeur novice me conduisit jusqu'? la classe que je devais suivre, et dit ? la soeur qui la dirigeait: <>, en nommant la dame qui avait vers? les cinq florins. Je fus saisie et regardai rapidement les petites filles pour voir si elles avaient entendu. Il y en avait une qui, tout de suite, me d?visagea avec d?dain. Les autres me re?urent tr?s bien. Celle qui se trouvait derri?re moi me demanda mon nom. Je lui r?pondis:

--Keetje Oldema.

Elle se mit ? me caresser les cheveux et le cou: cela me parcourait des pieds ? la t?te exquisement, et puis la nouveaut? de la chose me charmait. Ici, on n'allait donc pas me traiter en paria. Je devais bient?t d?chanter. La petite qui me caressait, avait d? apercevoir mes cro?tes et mes poux, sous mes beaux cheveux blonds ondul?s. Je l'entendis chuchoter avec sa voisine et dire: <> Celle qui avait surpris le nom de la dame l'avait r?p?t? aux autres et, ? la sortie de l'?cole, on me traitait d?j? avec m?pris. Au bout de quelques jours, j'?tais, comme partout, la b?te noire de tous. Si je m'approchais, on se taisait; si je disais quelque chose, on me tournait en ridicule ou on s'?loignait.

La fille d'un cireur de bottes, mais que sa m?re tenait propre, avait invent? que mon p?re, ? moi, ?tait l'aveugle bien connu du b?guinage, qui vendait des allumettes, et on ne m'appelait plus que: <>, mots dont il se servait pour offrir ses allumettes aux passants. Ma r?volte et mon humiliation ne connurent plus de bornes. ?a, mon p?re! quand mon p?re ?tait un admirable Frison, haut de six pieds, beau comme une statue, aux yeux bleus limpides et aux cheveux boucl?s. Ce vieillard caduque, ignoble, mon p?re! quand mon p?re ?tait jeune et souple, et sautait, de la croupe ? la t?te, par dessus un cheval. J'en hurlais de rage; je tr?pignais, je leur expliquais, mais ma fr?n?sie augmentait encore leur joie. Elles finirent par me tirer les cheveux: mes cro?tes s'ouvrirent et le sang me d?goulina dans le cou.

Mais que devins-je l'hiver? Comme, ? cause du froid, on ne laissait pas retourner les enfants chez eux, ils apportaient leur d?je?ner. Nous traversions justement une p?riode de famine noire: mon p?re n'avait pas de travail. Le premier jour, je pr?textai que j'avais oubli? mon d?je?ner, et la soeur me laissa partir. Mais la seconde fois, voyant que je n'avais rien apport?, elle m'appela et je dus avouer notre mis?re. Cette pieuse fille, mais peu psychologue, s'adressa aux enfants, en disant qu'une de leurs petites camarades n'avait rien ? manger, que celles qui avaient trop de tartines devaient lui en donner.

Je me trouvais ? c?t? de la soeur, tremblante de honte et de mortification. Je pr?f?rais la faim. La faim, ?a me connaissait: la faim est silencieuse et, si vous savez vous taire ?galement, elle vous d?truit en douceur. Mais ces petits anges, ? qui on faisait appel, me terrifiaient. Je d?clarai ? la soeur que je n'avais besoin de rien, que ma m?re ?tait sortie quand j'avais d? partir pour l'?cole, et que je mangerais le soir.

Je lui avais confi? tout bas notre d?tresse, mais ceci, je le disais haut pour ?tre entendue des autres.

La soeur ne le prit point ainsi: elle me traita d'orgueilleuse et de menteuse, ajoutant:

--Il n'y a aucune honte ? avouer sa pauvret?, et vos petites camarades vont montrer qu'elles sont meilleures que vous.

Il y en eut qui m'apport?rent une cro?te rong?e. D'autres me donn?rent des morceaux mordus. Je ne voulus de rien, d?cid?e ? ne plus venir ? l'?cole plut?t que de subir pareilles humiliations.

A la sortie, toutes m'attendaient et commenc?rent ? me houspiller. Je me d?fendis des pieds et des mains, et en mordis cruellement une qui me griffait la figure. Mais elles m'accul?rent ? un mur, et ensemble me cognaient, me tiraient par mes boucles et me crachaient au visage, quand un homme, ? grands coups de pied dans le tas, vint me d?livrer. A la maison, je suppliai ma m?re de ne plus m'envoyer en classe, puisque partout on me maltraitait ? cause de mes poux et de notre pauvret?.

Elle r?pondit que je devrais forc?ment rester ? la maison pour garder les enfants: qu'elle allait ?tre oblig?e de courir les ?tablissements de charit? afin d'obtenir des secours, car p?re, n'ayant pas de travail, ?tait parti en chercher dans une autre ville.

Tous nos pauvres petits ont ?t? trait?s de la sorte ? l'?cole. Kees et Naatje rentraient ordinairement, la figure tum?fi?e, et en pleurs. Kees ?tait si innocent qu'il disait ? ceux qui voulaient maltraiter sa soeur:

--Prends garde, si tu oses frapper mon petit fr?re!

Et il pleurait de grosses larmes, en la prot?geant.

LA SOUPE AUX POIS

Ma m?re avait re?u quatre cartes pour quatre portions de soupe aux pois. Il fallait aller la chercher. Nous nettoy?mes le mieux possible notre unique petit seau en bois, qui servait ? tous usages. Et, avec un plat blanc comme couvercle, cela nous semblait convenable.

Nous n'?tions jamais all?s chercher de soupe. Ma m?re ?tait fort g?n?e de ce seau, qui indiquait clairement o? nous nous rendions. Les gamins criaient apr?s nous: <> Aussi, pour ?viter une grande art?re tr?s fr?quent?e, fit-elle un long d?tour par les ruelles ? bouges pour matelots.

En arrivant ? l'orphelinat luth?rien, o? on distribuait la soupe, nous d?mes faire queue. Ma m?re n'osait pas: elle me passa le seau et alla m'attendre aux environs.

Je revins, le seau rempli de bonne soupe bien chaude. Il y avait du verglas; j'avais de grands sabots de ma m?re aux pieds; je me tenais, de ma main libre, aux cha?nes du perron de l'orphelinat. Le verglas me fit glisser sous les cha?nes, et je tombai sur le dos en r?pandant la moiti? de la soupe.

Je pleurais. Un homme vint ? mon secours: il me ramassa et bougonna que ce n'?tait pas une charge pour une petite fille. Il se disposait ? porter mon seau, quand je lui dis que ma m?re ?tait au milieu de la rue.

--Ta m?re! Eh bien, alors?

En effet, ma m?re nous regardait sans approcher, mortifi?e et rougissant de honte et de col?re de ce que j'avais signal? sa pr?sence. Quand l'homme me conduisit vers elle et lui manifesta son ?tonnement, elle ne trouva ? r?pondre que:

--Il n'y a rien ? faire avec cette cr?ature enfantine!

J'avais onze ans.

Elle saisit le seau, me jeta un regard furibond, et, en dandinant son corps appesanti par la grossesse et, faisant de ses sandales, <> dans la boue, elle prit le m?me d?tour par les ruelles ? prostitu?es. Je la suivis ? distance, et nous rentr?mes chez nous piteusement.

Pour comble de mis?re, la soupe avait pris le go?t du seau qui servait ? tous usages.

CAT?CHISME ET PREMI?RE COMMUNION

Je suivais depuis deux ans le cat?chisme de premi?re communion et ?tais chaque fois renvoy?e ? l'ann?e suivante, parce que je ne savais jamais ma le?on. Le tapage continuel de huit enfants dans notre unique chambre, me rendait toute ?tude impossible. Je voulais en finir: non pas que je croyais, la religion n'avait jamais eu aucune prise sur moi, mais je m'apercevais que je commen?ais ? passer pour une b?te et, cela, je ne le voulais pas. Puis, pour une fois au moins dans ma vie, je serais habill?e de neuf des pieds ? la t?te.

Je m'?tais donc jur? de faire ma premi?re communion cette ann?e. Je choisis, pour ?tudier ma le?on, un perron sur un canal: j'en nettoyai une marche avec mon jupon et me mis ? apprendre par coeur les questions et les r?ponses. Cela allait tout seul: moi qui me croyais incapable d'apprendre, je retenais, en les r?p?tant deux ou trois fois, des r?ponses de six ou sept lignes; j'?tais sauv?e.

La premi?re fois que je me repr?sentai au cat?chisme, le vieux cur? interrogea toutes les petites filles, except? moi. Je finis par lever timidement le doigt, en disant:

--Vous m'oubliez, Monsieur le Cur?.

--Non, mais tu ne sais jamais.

--Aujourd'hui je sais, Monsieur le Cur?.

--Eh bien! viens ici.

Je d?bitai ma le?on d'un trait. Quand j'eus fini, il me leva la t?te sous le menton.

--Tu sais m?me tr?s bien ta le?on, fit-il; comment as-tu fait?

--Je ne pouvais jamais l'apprendre chez nous ? cause du bruit, et parce qu'on ne me laissait pas tranquille. Maintenant je vais sur un perron: l?, je suis seule et ? l'aise.

--Sur un perron? tu apprends ta le?on sur un perron! et quand il pleut?

--Il n'a pas encore plu.

Il hocha la t?te.

Quand la pluie vint, et m?me la neige, je me r?fugiais aux latrines qui se trouvaient sous beaucoup des ponts d'Amsterdam.

Je devins bient?t une des premi?res du cat?chisme et, quand le vieux cur? voulait en avoir plus vite fini, il me choisissait souvent pour l'aider ? interroger. Un jour, il me chargea de faire r?p?ter quatre fillettes. Parmi elles ?tait une m?tis indienne du grand monde . Elle me regarda avec une telle aversion que j'en restai tout interloqu?e. <> Mais il fallait bien qu'elle ob??t: le cur? l'avait ordonn?. Elle me r?pondait ? voix si basse que je la comprenais ? peine. Cependant, pour me faire bien venir d'elle, je lui dis:

--C'est parfait, jeune Demoiselle, je dirai ? Monsieur le Cur? que vous savez tr?s bien votre le?on.

Elle retroussa ses l?vres de n?gresse et fit: <>, d'un air si d?daigneux que j'en bafouillai pour de bon.

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