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Read Ebook: L'esprit dans l'histoire: Recherches et curiosités sur les mots historiques by Fournier Edouard

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Ebook has 604 lines and 76980 words, and 13 pages

L'ESPRIT

DANS L'HISTOIRE

LIBRAIRIE DE E. DENTU, ?DITEUR

PALAIS-ROYAL

DU M?ME AUTEUR:

L'ESPRIT DES AUTRES RECUEILLI ET RACONT?, 6e ?dition, 1 vol. in-18 5 fr. >>

LA COM?DIE DE JEAN DE LA BRUY?RE. 2 vol. in-18 6 fr. >>

HISTOIRE DU PONT-NEUF. 2 vol. in-18 6 fr.

LE VIEUX-NEUF. Histoire ancienne des inventions et d?couvertes modernes. 3 vol. in-18 15 fr. >>

PARIS-CAPITALE, 1 vol. in-18 3 fr. 50

Paris.--Typ Ch. UNSINGER, 83, rue du Bac.

L'ESPRIT

DANS L'HISTOIRE

RECHERCHES ET CURIOSIT?S

SUR LES MOTS HISTORIQUES

PAR

?DOUARD FOURNIER

CINQUI?ME ?DITION

PARIS E. DENTU, ?DITEUR

LIBRAIRE DE LA SOCI?T? DES GENS DE LETTRES PALAIS-ROYAL, 15-17-19, GALERIE D'ORL?ANS

L'ESPRIT DANS L'HISTOIRE

C'est ? l'histoire tout enti?re que je voulais d'abord me prendre, principalement pour les ?poques anciennes, les beaux temps des mensonges; mais j'ai recul? devant ce grand effort, apr?s l'avoir un peu mesur?.

J'aurais, par exemple, abord? franchement l'histoire grecque. J'aurais dit ? l'?gyptien C?crops: Vous en avez menti quand vous avez pr?tendu que vous veniez d'?gypte; au ph?nicien Cadmus: Il n'est point vrai que vous soyez arriv? de Ph?nicie. J'aurais cherch? ce qu'il faut croire de la grande affaire des Thermopyles. M'aventurant dans une autre s?rie de souvenirs, j'aurais dit ? ?sope son fait; tout au moins l'aurais-je d?pouill? de sa bosse proverbiale, et cela de par l'autorit? tout acad?mique de M. de M?ziriac. Pour le proc?s que les fils de Sophocle firent ? leur p?re, j'en aurais appel? devant la V?rit?. Je me serais encore curieusement enquis de ce qu'?tait Sapho, et peut-?tre aurais-je ramen? son fameux suicide du saut de Leucade ? la r?alit? toute prosa?que d'une mort tr?s naturelle. J'aurais voulu chercher un peu ce qu'il y a de vrai dans l'histoire de Denys le Tyran devenu ma?tre d'?cole ? Corinthe, et aussi dans la fameuse lettre que Philippe aurait ?crite ? Aristote pour le charger de l'?ducation de son fils Alexandre; serrer de pr?s, en compagnie de MM. Littr?, Rossignol et Paul de R?musat, l'histoire d'Hippocrate refusant les pr?sents d'Artaxerces; voir ce qu'?taient le pr?tendu tonneau de Diog?ne et sa fameuse lanterne, enfin mille autres choses encore; car je ne d?taille ici, bien entendu, que le tr?s maigre sommaire de mon programme.

Pour l'histoire romaine, j'aurais fait bien davantage, sans m?me avoir besoin de recommencer les destructions historiques de Nieb?hr, ni ces profanations dont s'indignait Amp?re, lorsqu'il voyait par exemple ce qu'on aurait voulu faire, en Allemagne, de l'histoire de Lucr?ce: <>

C'est aussi juste que bien dit, la l?gende de Lucr?ce n'aurait donc certainement eu ? craindre de ma part aucun attentat.

Pour beaucoup d'autres, dans l'entreprise de rectification dont j'esquisse le sommaire, ma discr?tion n'e?t pas ?t? si grande.

Dans l'histoire des fils de Brutus envoy?s ? la mort par leur p?re, j'aurais montr? sans peine le crime et la f?rocit? o? l'on a cherch? la vertu et la force d'?me; dans celle de Virginie et d'Appius Claudius, qui est une question de droit autant qu'une question d'histoire, je me serais mis en peine de savoir qui a dit vrai de Denis d'Halicarnasse ou de Tite-Live; et, pour une fois, c'est celui-ci peut-?tre qui se serait le plus rapproch? de la v?rit?, en s'?loignant le moins de la vraie question juridique, si utile ? bien conna?tre dans cette affaire, comme dans celle des Gracques.

Quant ? quelques autres contes, comme celui de Porcia qui se tue en avalant des charbons, il m'e?t suffi d'en prouver l'invraisemblance. Le possible est l'important. Si l'on prouve par exemple que Julien, bless? ? mort, n'eut la force que de pousser quelques cris inarticul?s, on n'aura plus besoin de disserter longuement pour savoir laquelle des deux phrases: <> ou celle-ci: <> il pronon?a en mourant. On mettra tout le monde d'accord, en faisant voir qu'il ne put rien dire. Or, pour Julien, comme pour Desaix, quinze si?cles plus tard, c'est ce qu'il y a de plus probable.

Plus d'un grand homme e?t perdu ? mon analyse quelque vertu peu authentique, quelque belle parole devenue c?l?bre sans contr?le; en revanche, il serait arriv? aussi que les maudits de l'histoire, ? la sc?l?ratesse plus fameuse que suffisamment prouv?e, se seraient souvent bien trouv?s de mon examen, et en seraient sortis d?charg?s de quelques crimes. Il y aurait eu ainsi compensation, et d'ailleurs, comme a dit Lessing, <>

Le premier est le plus vivace des deux, et celui qui tient le plus profond?ment. Ailleurs les paroles volent; ici c'est tout le contraire, elles restent et s'incrustent; or Bacon a dit: <>

Nous devons dire aussi que, bien que la v?rit? soit une, il y a mensonge et mensonge. Tous ne tirent pas ?galement ? cons?quence. Il est m?me telles inventions qui, une fois reconnues pour ce qu'elles sont, me semblent devoir rester dans la circulation ? cause des beaux exemples qu'elles propagent et de l'honneur qui en ressort pour l'humanit?. En ce point la po?sie, qui les transmet et les colore, est, je ne dirai pas, comme Aristote, <> mais aussi utile.

Il est bon que l'enfant, ? qui s'adressent ces choses, ait de l'homme la meilleure opinion possible; il faut donc, pour lui, recourir aux fables, et m?me lui laisser croire que ce sont des v?rit?s, jusqu'au temps o? le spectacle des r?alit?s humaines lui fera penser ou que l'homme est bien d?chu, ou que ces belles choses ne furent jamais vraisemblables: <> Puisque pour la morale et la r?gle du devoir, l'id?al n'est ainsi qu'en des mensonges sublimes, laissons passer ceux qui sont cr??s, et tirons-en des le?ons que la v?rit?, telle que les hommes l'ont forc?e d'?tre, ne saurait pas fournir. Tant pis pour l'humanit? si rien n'est vrai de ce que l'on croit beau dans les actions humaines! La meilleure preuve de notre inf?riorit?, et du besoin que nous ressentons d'une nature sup?rieure, o? le vrai sera enfin dans le beau et dans le grand, se trouve l?.

Il est encore d'autres mensonges pour lesquels il convient d'?tre indulgent: ce sont ceux qui naissent d'eux-m?mes, comme les fleurs h?ro?ques d'une ?poque dont ils transmettent couleur et parfum. Ils n'ont rien du mensonge officieux, cr?? par l'imagination de celui dont il sert les int?r?ts; ils surgissent naturellement dans l'ardent esprit du peuple, et les l?gendes y trouvent une mati?re extensible et souple, tandis que l'histoire cherche o? se prendre dans ce que lui apporte l'insaisissable et rigide v?rit?. Ils ne sont pas pour le souvenir fid?le, mais pour le sentiment charm?. N?s de l'imagination, c'est ? elle qu'ils retournent pour l'aider ? r?pandre la lumi?re et les couleurs sur les aridit?s du r?el. Il leur suffit d'?tre conformes au g?nie du peuple dont ils grossissent les traditions, et ? l'esprit du temps o? ils naissent. M. Michelet a dit d'un r?cit l?gendaire qui satisfaisait ? toutes ces conditions: <> Selon le m?me historien, inventer ainsi, dans le sens de la r?alit?, ce n'est pas commettre un mensonge.

Napol?on ?tait du m?me avis, lorsque trouvant dans les trag?dies de Corneille des h?ros sup?rieurs ? ce qu'il leur ?tait possible d'?tre, mais toujours grandis d'apr?s la mesure logique de leur caract?re, et devenus par l?, comme exemples, d'une v?rit? plus utile et plus rayonnante que la s?che v?rit? des historiens, il disait: <>

L'exemple en cela leur venait des Romains. Dans le bagage litt?raire import? de Gr?ce ? Rome, se trouva l'histoire toute faite. Il ne fallut qu'arranger ? la romaine ce qui ?tait ? la grecque. Tite-Live et les autres s'en charg?rent. De cette mani?re, telle tradition qui figure dans les origines hell?niques se retrouve plaqu?e sur les origines romaines.

L'histoire de Romulus n'est qu'une version ? peine modifi?e de celle de Cyrus: <> L'histoire de Curtius se retrouve dans les traditions phrygiennes, tout ? fait semblable, ainsi qu'on en peut juger par le r?cit qu'en a fait Callisth?ne, qui vivait sous Alexandre, c'est-?-dire avant les premiers historiens de Rome.

Voltaire s'aper?ut de ces emprunts des anecdotiers, qui, accept?s par les historiens, ont jet? tant de fausse monnaie dans l'histoire. Il les en railla fort, lui qui, s'il n'eut pas en pareille affaire une conscience beaucoup plus rigoureuse, se donna du moins presque toujours la peine de cr?er de toutes pi?ces les belles paroles dont il fit honneur ? ses personnages:

A cela Voltaire n'ajoute pas de preuves; mais, sans beaucoup de peine, nous allons pouvoir en donner pour lui.

<>

Nos jur?s-experts en supposition d'esprit vous raconteront, par exemple, que Baudesson, maire de Saint-Dizier, ressemblait si fort au roi, qu'un jour qu'il ?tait venu le complimenter, la garde, le voyant passer et le prenant pour Henri IV, battit aux champs. <> s'?cria le roi en mettant la t?te ? la fen?tre. On lui expliqua que sa ressemblance avec Baudesson, qui venait d'arriver, ?tait cause de l'erreur et de l'aubade. Il le fit entrer aussit?t, et fut surpris tout le premier de se trouver un m?nechme si parfait: <>

Je vous ferai gr?ce de cent autres de m?me esp?ce, sauf une seule pourtant, dont l'origine m'?chappa longtemps et qu'il faut que je vous raconte.

Sully avait promesse du roi pour une audience. Il vient heurter ? la porte du cabinet royal; au lieu de le faire entrer, on lui dit que Sa Majest? a la fi?vre et ne pourra le recevoir que dans l'apr?s-d?ner. Il se retire et va s'asseoir tout en grondant ? quelques pas d'un petit escalier qui menait ? la chambre du roi. Une belle jeune fille voil?e, tout de vert v?tue, en descend bient?t furtivement et s'?chappe. Le roi ne tarde pas ? la suivre: <> Le roi se sentit pris; il lui frappa gaiement sur la joue, et ils s'en all?rent travailler.

Oh! le vraisemblable, le vraisemblable! C'est la mort du vrai en histoire; c'est l'espoir des mauvais historiens, et c'est la terreur des bons. Il ne faut pour la v?rit? ni deux poids ni deux mesures. Elle est nue; qu'importe! faites-la voir telle qu'elle est. Sa parole est franche jusqu'? la brutalit?; qu'importe encore! laissez-lui sa brutale parole, et faites tout pour qu'elle parvienne ? tous. L'id?al, dont elle s'est trop par?e, est un voile charmant sans doute; enlevez-le lui pourtant, et rendez-le, si c'est possible, ? la po?sie, qui, de nos jours, s'en est trop pass?e.

M. Renan a ?crit: <>

Ce n'est pas mon avis. L'exactitude, selon moi, n'est pas faite pour la d?gustation exclusive des privil?gi?s. Ce qu'elle apporte d'utile doit profiter ? tous. Sans elle, l'histoire n'a point d'enseignement pour l'humanit?; et l'humanit? ne doit ?tre frustr?e d'aucun des enseignements de l'histoire.

Aux derniers si?cles, ?poque de la flatterie et des mensonges aristocratiques, on pouvait dire, ? la grande indignation du P. Griffet: <> mais aujourd'hui c'est diff?rent. Voltaire alors pouvait se croire en droit d'?crire: <> ou bien encore, ? propos de certains faits de l'histoire de Russie: <> La raison humaine a fait assez de progr?s pour que ces r?serves prudentes soient devenues inutiles. On peut aujourd'hui lui servir les v?rit?s en primeur. Il faut surtout qu'elles lui arrivent sans avoir ?t? frelat?es d'aucune mani?re, et sans qu'on ait tent? de mettre ? leur place le vraisemblable qui n'est que leur fant?me.

En cela, je me tiens ? ce qu'a dit le P. Griffet: <>

On ne trompe pas toujours son si?cle; mais pour peu qu'on soit imprim? et qu'on ait mis un peu d'art ? fa?onner ses menteries, l'on a pour soi tous les si?cles qui suivent. La v?rit? se dit toujours la derni?re, souvent m?me elle ne se dit pas du tout, tant il y a de gens qui sont de l'humeur timor?e de Fontenelle et qui craignent d'ouvrir les mains. Le mensonge, fanfaron et bavard autant qu'elle est timide et muette, marche, court, vole cependant: l'avenir est ? lui.

C'?tait bien l'espoir de cet impudent de Paul Jove, <>

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