Read Ebook: L'esprit dans l'histoire: Recherches et curiosités sur les mots historiques by Fournier Edouard
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Ebook has 604 lines and 76980 words, and 13 pages
C'?tait bien l'espoir de cet impudent de Paul Jove, <
De notre temps, le roman a fait sa proie de l'histoire, et l'on a bien eu raison de s'en plaindre. Il n'agissait pourtant ainsi que par droit de l?gitime ?change. Lorsqu'il s'arrangeait sur le domaine de la muse s?v?re un lot de petites v?rit?s ? transformer en mensonges, il ne faisait que lui rendre la pareille. Il s'y prenait avec elle comme elle s'y ?tait prise avec lui, lorsque, levant sur son terrain une large d?me de romanesques inventions, elle en avait fait tout autant de bonnes v?rit?s si bien viables, si solidement constitu?es, qu'elles courent encore.
Ce qui est fort bien dit, ? ce point m?me que Beaumarchais ne crut pouvoir mieux dire, et prit tout le passage pour en grossir l'esprit de son Figaro. Il pensa que la phrase ?tait faite pour lui, et il s'en empara; elle ?tait certes, vu la mati?re trait?e ici, fort bien faite aussi pour nous, mais nous nous contentons de la citer.
Les conteurs du moyen ?ge, pr?tres ou la?ques, ont sem?, plus que personne, de ces beaux mensonges ? destin?e singuli?re, qui, soutenus d'?ge en ?ge par la cr?dulit? na?ve, sont parvenus ? se faire en pleine histoire une floraison inattendue.
Le moine, qui plus est, la donne comme bien ant?rieure ? son temps, puisqu'il la fait se passer sous le r?gne de Charlemagne; encore la raconte-t-il moins comme une v?rit? que comme une fiction: <
L'aventure de P?pin, abattant d'un seul coup de sabre la t?te d'un lion furieux dans la cour de l'abbaye de Ferri?re, doit ?tre aussi rang?e parmi les contes dont on ne conna?t pas le h?ros v?ritable, et pour lesquels chaque nation, chaque ?poque ont un acteur de rechange.
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Tel est le fait, tr?s agr?able ? raconter certainement, et dont, ? cause de ce charme m?me, on se garderait presque de v?rifier ? fond l'authenticit?, de peur de ne pouvoir plus apr?s en illustrer son livre. Voici maintenant la r?futation, d'autant plus hardie, qu'il y a l?, je le r?p?te, un r?cit qui tient fortement dans l'esprit des historiens et dans le souvenir du public. Mais les historiens ne le feront pas moins, et le public y croira toujours.
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Et pour combien d'autres n'en est-il pas de m?me! La v?rit?, cette supr?me loi, se subordonne aux convenances. Nous le prouverons par plus d'un fait encore; mais, pour le moment, il ne s'agit que de Charlemagne et des Normands.
Je ne veux pas quitter ceux-ci sans vous dire en passant que l'histoire du mariage de Rollon, leur chef, avec Giselle, fille de Charles le Simple, ? l'occasion du trait? de Saint-Clair-sur-Epte, en 911, n'est pas moins imaginaire que toutes celles qui pr?c?dent, par la raison que Rollon avait alors environ soixante-quinze ans, et pour cette autre plus d?cisive, que Giselle n'?tait probablement pas n?e encore. Quel moyen de faire conclure un mariage, m?me politique, entre un septuag?naire et une fille ? na?tre?
La plupart des traditions de notre histoire ? l'?poque m?rovingienne les ont rencontr?s tout aussi inexorablement sceptiques. Il faut voir quel bon march? ils font de la v?rit? historique des ?v?nements les plus populaires du r?gne de Child?ric et de celui de Clovis; comment ils rejettent parmi les fables, en d?pit d'Aimoin et de Gr?goire de Tours, tout le roman du mariage de Child?ric avec la reine Basine, que l'abb? Velly avait pomponn? de si jolies phrases; comment, malgr? les m?mes historiens, ils rel?guent au nombre des l?gendes: et la fameuse histoire du vase de Soissons, et celle du mariage de Clovis et de Clotilde, et celle encore de l'?p?e et des ciseaux que cette derni?re princesse re?ut des rois Childebert et Clotaire, comme pr?sents symboliques lui annon?ant qu'il lui fallait choisir, pour ses petits-fils, entre la mort par le glaive et la tonsure du moine.
De l'existence de Pharamond comme premier roi des Francs, les fr?res Grimm n'en parlent m?me pas. Ils savent que c'est une croyance sur laquelle, ? moins d'?tre le continuateur patent? de M. Le Ragois, l'on a pass? condamnation depuis plus d'un si?cle.
Les fr?res Grimm n'ont pas dit un mot de la Sainte-Ampoule. S'ils doutent des l?gendes, jugez ce qu'ils pensent des miracles!
J'avais, dans la premi?re ?dition de ce livre, fait une chicane aux historiens pour leur traduction des paroles de saint Remy baptisant Clovis. M. ?douard Thierry m'a fort courtoisement prouv? que j'avais eu tort, et je vais prouver ? mon tour que j'approuve ses raisons, en les reproduisant ici:
On est presque heureux des erreurs qui vous attirent de semblables rectifications. Elles deviennent ainsi des bonnes fortunes pour la v?rit?.
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Cette bataille de Brenneville a jou? de malheur avec la v?rit?. Quelques historiens pr?tendent qu'il n'y eut l? qu'un seul homme de tu?. Or, je ne crois pas beaucoup plus ? cette mort unique qu'au mot de Louis le Gros. Elle me fait souvenir du fameux bulletin du g?n?ral Beurnonville, apr?s les affaires de Pellygen et de Grew-Machern, en 1791.
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Paris s'amusa beaucoup de cette gasconnade. On en fit le sujet d'une chanson qui avait pour refrain:
Hol?! citoyen Beurnonville, Le petit doigt n'a pas tout dit.
Quelques jours apr?s, un loustic de r?giment ?crivit au ministre que <
Bien souvent il est arriv? que lorsqu'un fait r?ellement vrai avait ?t? rev?tu par les historiens des formes menteuses de leur style, celles-ci faisaient mettre en doute la v?rit? du fond, et rel?guer le tout dans la cat?gorie de leurs fables coutumi?res.
Il en a ?t? ainsi pour cette grande sc?ne o? tous les historiens des deux derniers si?cles, mais aucun avec autant de pompe et de faux apparat que l'abb? Velly, nous repr?sentent Philippe-Auguste, le matin de la bataille de Bouvines, posant sa couronne sur l'autel, en disant ? ses barons: <>
< Il vous semblera sans doute, comme ? moi, que l'histoire gagne beaucoup ? ce simple r?cit o? la pratique d'un pieux usage, cette communion de la bataille, si ch?re ? Du Guesclin lui-m?me, fait le fond de la sc?ne. On ne peut nier qu'il substitue au mieux ses na?vet?s chevaleresques ? la pompe d?clamatoire de ces narrations de seconde main, dans lesquelles, ? force d'?tre frelat?e et fard?e, la v?rit? elle-m?me n'?tait plus vraisemblable. Des vieux textes retrouv?s ou mieux lus sont sortis, sous les mains de la jeune g?n?ration savante, un grand nombre de v?rit?s nouvelles, de lumi?res impr?vues qui ont fait le jour ou dissip? le doute sur des ?v?nements qu'on h?sitait ? accepter. M. M?rim?e dit quelque part: < Autrefois l'on s'?merveillait fort des audiences donn?es par saint Louis sous le ch?ne de Vincennes ou sous les ombrages du jardin du palais; aujourd'hui l'on ram?ne ? la simple v?rit? le simple r?cit de Joinville. On y trouve bien moins un acte de royale bonhomie, qu'un fait de politique ?clair?e: le roi par qui fut inaugur?e l'?re des l?gistes donnait ainsi l'exemple; il pr?chait pour la loi en la faisant observer lui-m?me comme juge; il ?levait la profession de l?giste en prouvant qu'elle n'?tait pas au-dessous de lui. Saint Louis y perd comme bonhomie, je le r?p?te, mais comme politique il y gagne, et, quoi qu'on dise, pour un roi celle-ci vaut beaucoup. Les petits comm?rages qui couraient sur sa m?re, Blanche de Castille, et sur ses amours avec le comte de Champagne, m?disances int?ress?es qui donnaient aux mauvais esprits leur revanche contre le saint roi, sont aujourd'hui compt?s pour ce qu'ils valent. La vertu de la noble reine est sortie saine et sauve de l'examen que lui ont fait subir MM. Bourquelot et ?d. de Barth?lemy. Les gens que le m?rite g?ne, qu'un ?loge trop soutenu jette dans l'humeur noire, devront se d?cider, d?sormais, ? n'admirer le fils qu'apr?s avoir admir? la m?re. J'ai du regret pour ce que perd l'h?ro?sme, et de la joie pour ce que la v?rit? peut enlever au scandale. Malheureusement, c'est de ce c?t?-l? qu'il n'y a presque toujours rien ? ?ter. Douteux ou faux par le d?tail, il r?siste par le fond. L'histoire de l'adult?re de la reine, femme de Louis le Hutin, est, par exemple, un de ces scandales bien conform?s dont il faut, quoi qu'il en co?te, laisser la tache sur notre histoire. Tout ce qu'on raconte des d?bordements de cette reine, et de ses relations impudiques avec les ?coliers qu'elle attirait de nuit au Louvre, est absolument vrai, hormis toutefois sur un point: Buridan ne fut pas, comme on l'a dit m?me en des livres s?rieux, un des galants de l'?cole pris au pi?ge du royal adult?re; loin de l?, ma?tre alors et non plus ?l?ve, il s'indigna dans sa chaire de la rue du Fouarre contre ces d?bauches, et parvint, dit-on, ? d?tourner les ?coliers de ces dangereux rendez-vous. La reine s'en vengea en le faisant saisir et pr?cipiter dans la rivi?re, ce qui fit dire ? Villon, en des vers d'o? vint l'erreur parce qu'on ne les comprit pas: Semblablement o? est la Reine Qui commanda que Buridan Fut jett? en un sac en Seine. Ainsi toujours le roman prend pied dans l'histoire. Villani lui donna beau jeu, quand, je ne sais d'apr?s quelles preuves, il fit un si beau r?cit de l'entrevue de Philippe le Bel avec Bertrand de Goth, archev?que de Bordeaux, dans la for?t de Saint-Jean-d'Ang?ly, entrevue qui aurait abouti ? un ?change de promesses bient?t r?alis?es: pour Bertrand, la tiare; pour Philippe, la pleine autorit? sur le saint-si?ge. < Il n'est pas que vous n'ayez vu citer partout les derni?res paroles du grand ma?tre des Templiers qui, du haut de son b?cher flamboyant, assigna devant Dieu, pour le quaranti?me jour apr?s son supplice, le pape qui l'avait livr?; et pour un d?lai qui ne d?passait point l'ann?e, le roi qui avait sign? sa condamnation. Vous vous souvenez aussi que l'?v?nement donna raison ? cet appel, et que la mort du pape Cl?ment, ainsi que celle du roi Philippe le Bel, survenues dans l'espace de temps marqu? par Jacques Molay, en firent une sorte de proph?tie. Ce hasard, cette rencontre du fait pr?dit avec le fait accompli, suffirent, et non sans raison, pour rendre la chose peu croyable, ? notre ?poque peu croyante. Il se fit de notre temps, autour de ce fait qui pendant quatre si?cles n'avait pas trouv? un incr?dule, une sorte de conspiration du doute: < M?zeray dit bien, il est vrai: < Je pr?f?re, ? la r?futation ind?cise de la pr?diction du Templier, une autre qui est vraiment irr?cusable, triomphante; je parle de celle que, gr?ce ? un texte mieux lu, l'on a faite, dans ces derniers temps, d'une des paroles qui ont eu le plus de cr?dit chez les historiens des premiers Valois, et qui leur ont inspir? les plus belles phrases, les plus solennels commentaires. < J'ai regret d'avoir ? biffer cette magnifique p?riode, le coeur m'en saigne; il le faut pourtant: la belle parole qui l'a inspir?e n'a jamais ?t? dite. Ce qui est pis encore, c'est que sa solennit? un peu matamore fait contre-sens avec le mot bien simple qui a r?ellement ?t? prononc? par le roi vaincu, fugitif, et courb? sous les mornes tristesses de la d?faite: Voil? ce qu'a ?crit Froissart, et cette fois vous pouvez l'en croire. Il a pour lui la pleine vraisemblance, ce qui, aupr?s de la version recueillie par M. de Chateaubriand, ?quivaut ? la pleine v?rit?. Quant ? l'origine de l'erreur reprise si malheureusement par le grand ?crivain, elle est facile ? deviner: elle vient d'une mauvaise lecture. Ceux qui publi?rent les premiers le texte du chroniqueur lurent et imprim?rent mal; ou plut?t, ?gar?s par les mauvaises habitudes historiques de leur temps, si fort engou? pour les discours et les mots fanfarons ? la Tite-Live et ? la Quinte-Curce, ils cherch?rent moins ? lire ce qui s'y trouvait que ce qu'ils d?siraient y trouver. Depuis, l'on a recouru aux manuscrits, ? celui de Breslau, qui est la meilleure copie de l'original, ? celui de Berne, ? celui de la biblioth?que de l'Arsenal, et le vrai texte a ?t? r?tabli tel que nous venons de le donner. A l'?poque o? l'abb? de Choisy s'occupait du r?gne de Charles VI, le duc de Bourgogne lui dit: < On peut se faire une id?e, par ce d?bris de conversation, de l'ind?pendance que les princes, qui pouvaient tout, permettaient alors aux historiens, m?me pour le pass?; mais il ne faut pas s'en rapporter ? la r?ponse de l'abb? pour croire que beaucoup s'affranchissaient du joug. Ils se soumettaient ? mentir, et l'abb? lui-m?me des premiers, quoi qu'il veuille pr?tendre, avec sa fanfaronnade de sinc?rit?. La s?v?rit? contre les autres oblige contre soi-m?me. Nous n'aurons donc pour notre propre livre aucune partialit? complaisante; nous en confesserons les fautes avec autant d'empressement que celles d'autrui. C'est m?me, en toute franchise, par un aveu de ce genre que nous reprendrons notre travail o? nous l'avons laiss?. Que n'en est-il de m?me pour le d?vouement d'Eustache de Saint-Pierre! Malheureusement, pour ce qu'il y a de mensonge de ce c?t? le doute n'est gu?re permis, depuis qu'au dernier si?cle Br?quigny d?couvrit, dans les archives de Londres, des pi?ces t?moignant des connivences du h?ros calaisien avec les Anglais, et prouvant, entre autres choses, qu'il re?ut du roi ?douard une pension qu'un tra?tre seul pouvait accepter; je n'ajouterai qu'un d?tail nouveau, mais, ce me semble, tout ? fait d?cisif. On pouvait s'attendre d'avance ? voir le prix remport? par quelque m?moire r?tablissant enfin dans sa glorieuse authenticit? l'?v?nement mis en doute depuis tant?t un si?cle. Si la Soci?t? devait ?tre naturellement indulgente et partiale, c'?tait certainement pour tout travail o? la question se trouverait envisag?e sous ce point de vue. Malheureusement c'?tait le moins favorable; le mauvais r?le ici ?tait du c?t? de la d?fense. Les juges, apr?s lecture des pi?ces, eurent le bon esprit de s'en apercevoir et assez de justice pour le d?clarer. Le m?moire auquel le prix fut d?cern?, et dont M. Clovis Bolard, un Calaisien! ?tait l'auteur, prouvait qu'Eustache de Saint-Pierre n'?tait rien moins qu'un h?ros. <>
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