Read Ebook: La Domination by Noailles Anna De
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Ebook has 961 lines and 43370 words, and 20 pages
COMTESSE MATHIEU DE NOAILLES
La Domination --ROMAN--
Pyrrhus ne pouvait ?tre heureux ni avant ni apr?s avoir conquis le monde.
Pascal.
PARIS CALMANN-L?VY, ?DITEURS 3, RUE AUBER, 3
CALMANN-L?VY, ?DITEURS
DU M?ME AUTEUR
Format in-18.
LE COEUR INNOMBRABLE 1 vol. L'OMBRE DES JOURS 1 -- LA NOUVELLE ESP?RANCE 1 -- LE VISAGE ?MERVEILL? 1 --
Droits de reproduction et de traduction r?serv?s pour tous les pays, y compris la Su?de, la Norv?ge et la Hollande.
A. N.
LA DOMINATION
Antoine Arnault riait doucement de plaisir en regardant devant lui l'azur du soir, o? chaque marronnier semblait un jardin solitaire et haut.
A demi couch? dans la gr?le voiture qui le conduisait le long de l'avenue, satisfait, il pensait ? soi.
Il se sentait en cet instant le coeur l?ger et libre. La vie devant lui ?tait si belle qu'il la prenait dans ses deux mains, lui souriait, la baisait comme un visage.
Il avait vingt-six ans. Le second livre qu'il venait d'?crire le rendait c?l?bre, et, las d'une liaison qui durait depuis trois ann?es, il avait la veille rompu avec sa ma?tresse.
Ah! comme il se sentait empli de force, de plaisir, d'adresse et de m?lancolie!
La t?te renvers?e, il regardait le soleil couchant, la cime p?lie des arbres, toutes les douces formes de l'espace et il pensait:
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Et le jeune homme se rappela le visage de sa ma?tresse.
Depuis six mois il ne l'aimait plus. Un jour, il avait senti la fin de cet amour comme on sent l'ab?me. Il avait lutt?, non par tendresse pour l'autre, mais pour se sauver soi-m?me, pour ne point p?rir, pour arracher aux t?n?bres et continuer, s'il se pouvait, tant de sensations d'adolescence, de r?verie, de confiance et de plaisir. Ce fut en vain. Cette ma?tresse maternelle et ardente, dont le d?vouement ne pouvait pas changer, brusquement, un matin, sans raison, lui apparut d?m?l?e de lui, seule, soi-m?me, ayant ? parcourir d?sormais une route descendante, ? l'?cart de la colline d'or o? Antoine Arnault s'?lan?ait. De semaine en semaine, ressentant sa d?ception sans compatir ? l'affreuse douleur de son amie, il l'accoutumait ? l'abandon, et enfin, il l'avait quitt?e, all?guant la n?cessit? de la solitude ou des voyages pour son travail.
Antoine Arnault ?tait arriv? chez lui. Il entra, prit chez le concierge les lettres qui ?taient l?, une dont l'?criture ne lui ?tait point connue, et l'autre de madame Maille, sa ma?tresse.
Il ?prouva, en voyant cette lettre, une tristesse inattendue, et constata ainsi, avec regret, qu'ayant laiss? toute la peine ? l'autre, il lui en fallait pourtant porter soi-m?me quelques parcelles. Il ouvrit cette lettre en montant l'escalier, la parcourut, et, arriv? chez lui, s'assit et la relut encore. L'?criture ?tait si lasse, si sourde, si d?color?e, qu'elle vacillait comme une voix ?puis?e: Antoine crut entendre cette voix.
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Pourtant, la piti? l'envahissait; accoud? ? sa fen?tre et regardant la cour de la maison, il imagina cette femme qui, tout ? l'heure, tandis qu'il ?tait sorti, venait d?poser sa lettre. Il la voyait entrant chez le concierge, dans cet angle de mur froid, et demandant: <
La concierge avait d? r?pondre avec brusquerie: <
Et Antoine ?voquait les yeux de madame Maille, attach?s sur l'?paisse et rude m?nag?re; un regard qui sans doute disait: <
Antoine ouvrit la seconde lettre. Il ne crut pas bien lire, tant la surprise ?tait forte! Il allait de l'adresse ? la signature sans parcourir le texte; cela d?j? suffisait. L'homme le plus illustre de son pays, le plus grand ?crivain avait trac? ces mots! Et lorsqu'il vit que, dans la lettre, ? de sympathiques ?loges pour son livre se joignait une invitation ? venir voir ? la campagne, chez lui, le grand homme, Antoine d?faillit comme si l'aurore ?tait entr?e dans son coeur.
Les mille mouvements qu'il ne faisait pas l'?touffaient. Il e?t voulu bondir ou s'an?antir, et, retrouvant par hasard sous sa main la lettre de madame Maille, il l'?loigna.
Sa ma?tresse ne lui apparaissait plus que comme une victime ?trang?re, comme une petite forme humaine qui s'en va de son c?t?, toute seule dans la vie, selon la loi de tout destin, comme une bu?e d'automne qui meurt autour de nos pieds...
Ne pouvant se r?soudre ? passer seul une si ?mouvante soir?e, Antoine alla demander ? d?ner ? son ami Martin Len?tre.
Il l'aimait. Il lui pardonnait ce qu'il lui reprochait, son humeur douce et les d?fauts de sa logique.
Martin Len?tre, ?g? de vingt-huit ans, m?decin ? l'h?pital Lebrun, parfaitement studieux et savant, pensait moins qu'il ne r?vait, et la science que lui-m?me maniait le surprenait, l'amusait, l'attendrissait comme un miracle. N? dans des campagnes vertes et mouill?es, toujours nostalgique de son enfance, il faisait de la m?decine avec la douceur d'un botaniste.
Les sureaux, la belladone, l'aconit, blanc et ros? dans les plaines, l'?mouvaient, il se sentait troubl? comme Rousseau quand il s'?crie: <
Lorsque ? vingt-sept ans Martin Len?tre s'?tait mari?, Antoine avait craint de moins le voir. Pourtant leur intimit? ne s'?tait pas trouv?e modifi?e. Antoine s'amusait seulement de la gravit? nouvelle de son ami, qui, uni ? une jeune femme insensible et lasse, v?n?rait en elle tout l'ardent secret f?minin.
Ce soir-l?, les deux jeunes hommes, apr?s le repas, craignant de fatiguer madame Len?tre, achev?rent dehors la chaude soir?e.
Ils all?rent s'asseoir dans un des caf?s ?tincelants et bocagers du Bois de Boulogne.
<
Mais d?j? Martin l'entretenait d'un professeur, dont la d?couverte en chimie bouleversait la science, et, offens? que le g?nie des artistes ne f?t pas la seule idole, Antoine se taisait, sentait diminuer son bonheur.
Avec douceur et avec de bienveillantes remarques, Martin Len?tre observait les hommes et les femmes assis dans ce jardin, autour des tables. Antoine les regardait et pensait:
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Antoine regarda les femmes. Il les trouvait imp?rieuses, arrogantes, satisfaites d'elles-m?mes dans leurs toilettes luisantes et tendues, sous leurs chapeaux de fleurs, avec leur air volontaire et restreint. Mais il les regardait aussi avec sympathie, <
Il ?voquait leurs tendres plaintes; il les voyait toujours incompl?tes, insatisfaites, penchantes, achev?es seulement par les caresses des hommes.
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Et tandis que Martin fumait, causait un peu, Antoine lui r?pondant n?gligemment, continuait sa r?verie.
< >>Les femmes, concluait-il, ne me font pas peur; je go?te et je cherche en elles ce que les autres hommes n'estiment pas suffisamment: leur confusion et leur douceur. Mon esprit, ma curiosit?, la richesse et la s?cheresse de mon intelligence sont sur elles comme des doigts l?gers et adroits. Que m'importent leurs durs regards, leurs vaines et frivoles paroles, leur pr?cieuse pudicit?? Je tiens leur ?me renvers?e sous mon coeur; je sais que la musique des violons le soir, le chant du rossignol, le clair de lune et la chaleur de leur propre corps les poss?dent comme nous les poss?dons, tendres victimes qui s'affolent, courb?es sous tout l'univers.>> Martin, en souriant, fit remarquer ? Antoine un jeune homme et une jeune femme qui, venant s'asseoir ? une table voisine, avaient amen? leur petite fille de huit ou neuf ans. La lumi?re suspendue ? la branche d'un arbre tombait sur la figure de l'enfant, recul?e dans une grande capeline de broderie. Elle avait cet air indiff?rent des enfants doux, riches et bien ?lev?s. Antoine Arnault un peu touch?, regardait cette petite fille. Il la regardait avec bont? et amusement, et il dit ? Martin: --Martin, cette sage petite fille m'enchante, parce qu'elle semble tr?s timide et tr?s soign?e, et, par ses parents, sa fortune, sa d?licatesse et son bien-?tre, pr?serv?e de tout l'univers; et parce que, tout de m?me, il faudra bien qu'elle soit un jour instruite et coquette, rus?e, ?perdue et d?sesp?r?e, perverse et l?che, et, finalement, sans plus aucune, sans plus aucune candeur... Et comme Martin voulait doucement s'indigner, Antoine Arnault, l'interrompant, lui fit part de la lettre re?ue, de sa prochaine vill?giature chez l'?crivain illustre.
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