Read Ebook: La Domination by Noailles Anna De
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Ebook has 961 lines and 43370 words, and 20 pages
Et comme Martin voulait doucement s'indigner, Antoine Arnault, l'interrompant, lui fit part de la lettre re?ue, de sa prochaine vill?giature chez l'?crivain illustre.
Martin le f?licita. Toute la gr?ce de son coeur, toujours visible dans son regard, rayonnait. Mais il ajouta: <
Il ?tait tard. Les deux jeunes hommes se lev?rent et travers?rent le Bois, se dirigeant vers Paris.
La nuit, entre les branches noires, d?couvrait son visage myst?rieux.
Antoine Arnault se taisait: il se sentait seul et sans joie. Martin se r?jouissait du ciel ?toil?, de la connaissance qu'il avait des astres, des progr?s de la science.
Et Antoine pensait:
<
Martin, reconnaissant du bel ?t?, des proches vacances, dans son coeur religieux b?nissait des dieux inconnus.
Mais son compagnon songeait:
<
De retour chez lui, Antoine Arnault, solitaire, sentait vaciller ses chances et sa vie. Il souffrait d'?tre le seul t?moin de soi-m?me. Le silence et la nuit restreignaient sa faible unit?.
Il savait qu'il ne dormirait pas; il prit un livre, mais l'agitation de son coeur et l'indiff?rence de ses yeux l'emp?chaient de lire.
Il tournait les pages, et voici, voici qu'une phrase plus brillante et plus dure se r?v?le et s'impose!
<
Antoine regarde ces mots. <
<
Alors l'?clat de ces deux noms divins, ces larmes, ce qu'il y a chez le h?ros d'humain et de surhumain fondirent le coeur du jeune homme, exalt?rent en lui l'orgueil et l'?pre volont?.
Et Antoine Arnault, empli d'amour, pleura. Il pleura sur ce qu'il sentait en lui de force, et de passion, et de bouillonnement, tandis que la molle nuit, indiff?rente, sous les arbres de l'avenue continuait sa douce course...
Depuis plus de huit jours Antoine Arnault ?tait l'h?te de son ma?tre illustre, lorsqu'il ?crivit ? Martin Len?tre. Assis dans une chambre claire, portant par instants, ?bloui, ses regards sur la campagne, il r?digeait ainsi sa lettre:
< >>Par des matin?es incomparables, je me prom?ne le long d'une fra?che rivi?re, aupr?s de l'homme le plus instruit, le plus noblement inspir?... Ce sont de beaux instants, Martin; je l'?coute, je le v?n?re, et, involontairement, je touche le fond de son coeur et de ses moyens. >>Ah! me dis-je, voici donc cet homme illustre dont l'oeuvre vingt fois traduite est aussi douce ? l'univers que le miel et que la paix! Son chapeau est trop large pour son front et lui rabat les oreilles... Il ne regarde pas la nature et ne regarde pas en soi-m?me: il est occup? de l'impression qu'il fait sur moi... Si son ?me un instant s'isole et r?ve, sa r?verie est d'un enfant, il appara?t pu?ril et vieux. Il est ? cet ?ge o? les hommes qui ne sont pas bien portants paraissent ne plus garder assez de force physique pour avoir du courage; leur attitude est aigre et prudente; ils attendent tout du respect qu'ils inspirent. Il parle, et bient?t ne se croit plus oblig? de m'int?resser. Alors, je le consid?re avec un m?lange de douleur et de joie, et je pense: < >>Je le regarde. Pendant que nous nous promenons, la chaleur d?tend et humecte son visage. Il a ?t? aim?. Les femmes les plus pr?cieuses de son pays l'ayant entendu nommer, lui disaient: < >>Son peuple l'a aim?; on l'a choisi et honor? dans d'importantes querelles. >>Il sait sa gloire. Quand il est seul, il ?coute son nom; son nom est autour de lui comme une pr?sence, comme un parfum qui toujours monte et de toute part l'encense. Maintenant cet homme est si triomphant que l'id?e de son tombeau lui semble encore ?clatante et victorieuse... >>Pourtant, Martin, lorsque je marche pr?s de lui, mon orgueil, loin de s'abattre, s'?l?ve. Je m'?crie: Ah! qu'importe, je le sens bien, nul ?tre ne m'est sup?rieur! >>Oui, Martin, les chants du jeune Shakespeare ne l'enivraient pas davantage que ne m'enivrent les parfums de mon coeur. >>La puissance d'enivrement, voil? le bien incomparable pour lequel rien ne nous est utile que nous-m?me. Dans de sombres biblioth?ques, assis jusqu'apr?s minuit, combien de fois n'ai-je pas saisi avec passion les livres les plus fameux, les plus caress?s par la faveur ?ternelle! je prends ces beaux coquillages, je les tiens un instant contre mon oreille, et je les laisse retomber, car leur m?lodie m'a appris quelque chose qui est au del? d'eux-m?mes. >>Martin, le succ?s que je pr?vois pour moi lasse d?j? mon imagination. Sur quels hommes r?gnerais-je? Il faudrait encore que nos esclaves eussent notre propre valeur; c'est le seul amusement. >>Je songe ? l'amour. Il n'y a que l'amour qui prenne totalement notre empreinte: les femmes que nous avons fait un peu souffrir contre notre coeur gardent notre souvenir. Je me rappelle une actrice espagnole que son g?nie et sa passion rendaient illustre. Son amant l'avait quitt?e; elle se souvenait. Ah! Martin, elle ?tait humble et basse, et toute marqu?e comme une route sur laquelle un homme a march?! Ame salubre des jeunes femmes, elle boit nos fi?vres, elle en reste satur?e, ainsi de douces oranges, ayant aspir? les vapeurs des marais, m?lent ce venin au sucre innocent de leur chair. >>Martin, je veux vivre, je veux vivre et chanter par-dessus les monts et les eaux. Que mon jeune si?cle s'?lance comme une colonne pourpr?e, et porte ? son sommet mon image!>> Lorsque Antoine Arnault eut achev? cette lettre, il la relut et en fut satisfait. Il se demandait s'il allait l'envoyer ? son ami ou la joindre aux feuillets qui composeraient son prochain ouvrage. Mais comme en cet instant il se moquait sinc?rement de la litt?rature, il l'adressa, sans en faire de copie, ? Martin Len?tre. Puis, comme l'heure du repas approchait, il s'habilla et rejoignit son h?te. Les r?unions de la journ?e et du soir se tenaient dans une fra?che salle bois?e. Celui que l'on v?n?rait avait sa place pr?s de la fen?tre; autour de lui, ses deux filles a?n?es, mari?es et maussades, veillaient au bon ordre de la maison; les deux gendres, dont l'un ?tait officier et l'autre avocat, paraissaient go?ter ? la gloire de leur beau-p?re avec cet entrain et cette vulgarit? des gens qui font enfin, r?guli?rement, une bonne ch?re dont ils n'avaient pas l'usage. La plus jeune fille du ma?tre, qui s'appelait Corinne, et qui, ?g?e de dix-huit ans, ?tait d'une beaut? charmante, retenait les regards d'Antoine Arnault, lequel pourtant d?sesp?rait d'entendre sa voix ou de la voir sourire, tant elle ?tait sage, furtive et mod?r?e. Aussi, priv? du plaisir qu'il e?t eu ? s'entretenir avec elle, Antoine Arnault reportait avec amertume son attention sur le petit groupe qui formait l'entourage de l'homme illustre. Il y avait l? des camarades de sa jeunesse, ?g?s d'une cinquantaine d'ann?es. Les plus sots ?taient avec lui familiers, et les autres trop timides. Il y avait les ?crivains de quarante ans, plus vaniteux de leur m?tier, de leur situation, de leur futile et adroit labeur que le grand homme ne l'?tait de son g?nie. Ceux-l? parlaient de la po?sie, du roman ou du th??tre, avec le ton soucieux et l'assurance de personnes charg?es de la conduite d?finitive d'un genre o? elles pensent exceller. Antoine Arnault les m?prisait, fumait ses cigarettes ? l'?cart de ce groupe, et ne se rapprochait du grand homme que quand il le voyait solitaire. Alors, assis aupr?s de lui, timide et audacieux comme un enfant qui distrait un roi, il l'interrogeait ? sa pr?f?rence, et la d?votion que lui inspirait ce front lumineux se m?lait de rire et d'impi?t? quand le jeune homme se sentait forc? d'?lever la voix pour satisfaire l'ou?e affaiblie du vieillard. Il rougissait de s'entendre prononcer ? voix si haute des paroles qu'il jugeait insignifiantes et propres ? le rendre ridicule, et, contrari? en m?me temps qu'amus?, il pensait avec impertinence: < Quelquefois, Corinne venait s'asseoir aupr?s de son p?re et d'Antoine Arnault. Dans ces instants-l?, Antoine souhaitait que, par une chance qu'il ne pr?voyait pas bien, l'homme admirable l'entret?nt du petit livre dont il ?tait si fier, et pour lequel, d'ailleurs, son h?te l'avait compliment? et attir? chez lui. Mais il ne lui en reparlait jamais, et, un jour qu'Antoine avait fait allusion ? un ?pisode qui s'y trouvait cont?, il avait surpris le regard du ma?tre distrait et insensible. Le jeune homme e?t aim? attirer l'attention de Corinne et l'?blouir. Que pouvait-il faire pour gagner sa sympathie? G?n?ralement, il lui disait, vers le milieu de la journ?e < D'autres fois, il la taquinait, mais il n'?tait point habile ? cela, car, dans la m?fiance et l'essai, il avait l'esprit un peu rude et grossier, et il ne pouvait t?moigner sa d?licatesse que dans l'autorit? et ce qu'il appelait en riant sa cl?mence. D'ailleurs, ayant pendant quelques jours r?fl?chi au parti qu'il aurait pu tirer de l'amiti? de cette jeune fille, il vit bien qu'il se contenterait de son indiff?rence. < Et bient?t Antoine Arnault ne t?moigna plus ? Corinne que cette politesse ?l?gante et froide qu'il ?tait toujours fier de marquer. Il ?crivait ? Martin des lettres peu ? peu maussades, et s'irritait de recevoir de son ami de longues ?p?tres heureuses, pareilles ? ces narrations enfantines des vacances, o? tout prend de l'impr?vu, du soleil et de la gaiet?. < >>Cher Martin, pensa Antoine Arnault, la duret? de la vie, et ta science, n'ont point pr?valu contre la douceur de ton sang et contre les histoires que ta m?re te contait, assise sous le frais feuillage, quand le laurier, au soleil tombant, fait une ombre noire sur les cailloux, et que le taureau rentre ? l'?table, f?roce et humili?, par la porte basse. >>Ta femme est pr?s de toi; elle te semble charmante et in?puisable; tu ne regardes plus qu'elle, mais, avant elle, toutes les femmes te semblaient charmantes, parce que ton coeur est respectueux. Moi, Martin, je ne suis pas, comme toi, respectueux de toute la vie; je suis respectueux de la douleur, du malaise aimable, de l'inqui?tude de tous les petits ?tres qui cherchent leur providence. Les oiseaux des Iles, que Corinne nourrit dans une cage, m'attendrissent, parce qu'ils ne savent plus o? est la chaleur et le bonheur; et ils tremblent, et nous regardent. Et Rarahu aussi m'attendrit quand Loti nous dit d'elle que, br?l?e de phtisie et de langueur, elle voulait < < >>D'ailleurs, que fais-je ici? pensa Antoine Arnault avec un peu d'aigreur, car il constatait qu'il ne go?tait pas dans cette demeure la situation pr?pond?rante qu'il jugeait seule tol?rable, et que g?n?ralement la solitude lui donnait. Voici un mois que je loge chez un ma?tre que je respectais davantage quand je ne le connaissais point; le don qu'il m'a fait de sa pr?sence me prive de la v?n?ration qu'il m'inspirait; il est mon d?biteur, mais je pense ?crire sur lui un petit essai aimable, sinc?re, aigu, et nous serons quittes. >>?tait-ce, continuait-il,--car il se lib?rait d?j? en portant son s?jour dans le pass?,--?tait-ce une vie digne de moi? Je me voyais contraint de sourire ? chaque parole de mon h?te et d'?tre de son avis; si je me hasardais un instant ? ne pas l'?tre, c'?tait pour mieux lui rendre les armes... Les deux gendres, qui ne font pas de litt?rature, me consid?raient comme quelqu'un venu pour bien manger, et ne cessaient d'attirer mon attention sur les mets.
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