Read Ebook: La peur by Haraucourt Edmond
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Ebook has 1543 lines and 55916 words, and 31 pages
Le p?re avait esp?r? qu'un changement d'existence, des plaisirs mondains et des honneurs auraient promptement raison d'une amourette ancienne: la jeunesse oublie vite! Mais do?a Merc?d?s n'oubliait pas plus vite que mon fr?re: leurs lettres en font foi.
Je poss?de un coffret rempli de celles que la comtesse adressait ? Miguel; elles datent du premier jour, et sans interruption se succ?dent pendant plus de trois ann?es; elles sont pleines d'une passion tenace que n'entament ni l'absence ni sa dur?e, et du remords aussi d'avoir trop faiblement lutt? jadis contre les pressions ?trang?res, d'avoir manqu? de courage; on y sent vibrer les rancunes d'un orgueil outrag? qui se r?volte, et m?me le regret des ivresses que l'on n'a pas os? conna?tre, dans le temps o? elles ?taient possibles; surtout on y sent un espoir qui ne renonce ni ? la vengeance, ni au bonheur; ? maintes reprises, on y voit don Jos? brutal et narquois, haineux plus qu'amoureux, prof?rant des menaces contre sa femme, parfois avec un cynisme dont la phrase suivante peut indiquer le ton:
<
Au reste, les amants ne s'effraient gu?re; ils le tromperaient sans scrupule. Miguel ?crit:
<
Mais les amants attendent leur jour, avec la certitude qu'il viendra: s'ils doivent ou non payer de la vie un bonheur plus pr?cieux que la vie, peu leur importe! Ils auraient tort, d'ailleurs, de s'inqui?ter outre mesure, puisque l'?troite surveillance de don Jos? ne r?ussit m?me pas ? emp?cher une correspondance qui se renouvelle presque r?guli?rement, de semaine en semaine, par les moyens les plus simplement classiques.
Cette singuli?re alliance, tant bien que mal, dure trois ans et quatre mois.
Elle proposa cette combinaison, mais don Jos? refusa net, d'abord parce que l'id?e ne venait pas de lui, mais surtout parce que, sans doute, il ?prouvait quelque s?rieuse m?fiance. Merc?d?s insista, fit t?l?graphier par son p?re; don Jos? n'en fut que davantage confirm? dans ses soup?ons et dans ses refus; sa femme d?clara qu'une pareille tyrannie ?tait exorbitante, capable de provoquer toutes les repr?sailles.
--Ne vous y risquez pas, r?pondit don Jos?.
La guerre ?tait d?clar?e: il partit.
Au bout d'une semaine, par le premier paquebot, Merc?d?s se mettait en route ? son tour, et la surprise du comte ne fut pas excessive, lorsqu'un jour, d?barquant ? Santiago, il apprit que sa femme venait d'y arriver, et qu'elle ?tait chez son p?re.
--Je vous l'avais d?fendu, Madame, parce que je vous devine: mais prenez garde!
Les rapports entre les deux ?poux se faisaient alors plus tendus que jamais: leur aversion ?tait devenue r?ciproque, et nulle d?cence n'att?nuait plus l'expression de cette mutuelle rancune: le mari ex?crait sa femme d'avoir pu lui tenir t?te, et il se complaisait ? lui hurler sa haine, dans des acc?s de furie; il la brutalisait, allant parfois jusqu'? s'imposer ? elle par la violence et comme un ch?timent, pour l'humilier en lui prouvant sa faiblesse.
Elle ?tait bien r?solue ? ne plus revenir en Europe, et il le pressentait.
Elle ?crit: <
Brusquement, le 22 juin au matin, ordre lui fut transmis d'avoir ? rallier l'?le de Navaza, en compagnie de trois autres torpilleurs. Qu'il soit parti bravement, dans la joie du soldat qu'on appelle ? l'action, cela n'est rien moins que probable: il laissait sa femme trop pr?s de son rival, et la jalousie le torturait de craintes.
Quoiqu'il en soit, vers midi, la flottille des torpilleurs disparut ? l'horizon.
Mon fr?re la regardait du haut de sa passerelle; quand les derni?res fum?es s'?vanouirent dans la brise, au bas du ciel, il se retourna vers la ville, heureux de penser que Merc?d?s y ?tait libre et seule, pour quelques jours du moins. Quant ? b?n?ficier lui-m?me des circonstances, pour se rapprocher de son amie, il ne pouvait l'esp?rer, car rien ne faisait pr?voir que les rigueurs de la consigne dussent ?tre prochainement adoucies, et son devoir l'emprisonnait ? bord.
Il ?crit: <
Tel est le dernier billet, qu'il ne signe pas, mais qu'il date. Chiquet, son ordonnance, qui le sert depuis des ann?es et lui est ardemment d?vou?, prend un canot et porte le pli. Il revient au bout de deux heures, sans rapporter de r?ponse; il dit que la se?ora a lu le billet, qu'elle avait l'air d'?tre bien contente, mais qu'elle n'a pas ?crit.
Miguel se montre d'abord un peu d??u de ce silence; apr?s le premier moment de d?ception, il se r?signe, et durant tout le reste du jour, rien dans son attitude ne pr?sente les sympt?mes d'une pr?occupation ou d'une joie anormales.
Vers le soir, l'amiral le convie ? d?ner ? sa table; ses commensaux sont unanimes ? d?clarer qu'il fut, ? ce repas, exactement pareil ? ce qu'il avait coutume d'?tre.
A onze heures, il quitte le vaisseau amiral et regagne son bord.
Chiquet, qui guettait son retour, s'avance pour lui parler, mais l'officier de service s'interpose.
--Mon commandant, il y a une dame.
--Une dame?
--Qui vous demande; elle est dans votre cabine.
Il a devin?, il se pr?cipite. D?s qu'il ouvre la porte, Merc?d?s, avec un cri, se jette sur sa poitrine, et ils s'?treignent longuement, en silence: pendant quatre ans, ils ont attendu ce baiser, et c'est, depuis quatre ans, la premi?re fois qu'ils s'approchent, qu'ils se touchent. Ils pleurent, en se serrant, et ne peuvent articuler un mot.
Elle parle, enfin, et sa parole est comme un souffle:
--Miguel...
Il a r?entendu la voix aim?e! Mais bien vite il se ressaisit.
--Tu es venue! Comment es-tu venue ici?
--Je t'aime!
--Il ne fallait pas! Il faut que tu partes!
--Pourquoi? Ne sommes-nous pas vingt fois venues ? bord, en bandes, quand j'?tais jeune fille.
--En temps de paix, ch?rie! Mais il faut s'en aller. Pars!
--Je t'aime!
--Et moi aussi, je t'aime! Adieu, va... Adieu!
Il lui tenait la t?te, ? deux mains, et lui baisait le front pr?s des cheveux, lui baisait les paupi?res et le cou, s'enfouissait le visage dans les cheveux d?faits, en r?p?tant sans cesse: <
Mais ? son tour elle lui prit la t?te et le regarda dans les yeux, tout pr?s, avec des prunelles de folle, et elle lui parla sur la bouche:
--Je t'aime, je reste!
Sur la r?ponse qu'il allait faire, elle colla ses l?vres.
Miguel l'enla?a: elle ?tait cambr?e contre lui, la t?te renvers?e sous la pression de leur baiser, et ses cheveux lui pendaient dans le dos.
Chiquet r?dait alentour, et vit la sc?ne, car Miguel n'avait pas pris le temps de pousser la porte derri?re lui. Le matelot pensait que son ma?tre, en cette circonstance un peu bizarre, aurait ? lui donner des instructions sp?ciales, et il les attendait: il se d?cida ? frapper, ne f?t-ce que pour attirer l'attention du commandant sur la porte qui restait ouverte.
Il raconte que son chef, en l'apercevant, parut sortir d'un r?ve, et que, de nouveau, il se mit ? supplier la dame de partir, essayant de lui d?montrer que sa place n'?tait point l?; mais elle s'?tait blottie dans le creux de son ?paule <
Le matelot, qui craignait <
Elle ne parut point offens?e de cette intervention, mais elle se tourna vers Miguel, avec une mine caressante, et, d'un air tout tranquille, elle dit: <
--Et qu'il s'en aille...
<
Je n'essaie point d'att?nuer la responsabilit? de mon fr?re, qui reste notoirement coupable d'avoir re?u ? son bord, pendant cette nuit-l?, et devant l'ennemi, la femme qu'il aimait; je note simplement qu'elle ?tait venue l'y rejoindre par surprise, et qu'elle y restait en d?pit de ses pri?res.
Le matelot Chiquet, ? qui je laisse la parole, continue son r?cit en ces termes:
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