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Read Ebook: Femmes nouvelles by Margueritte Paul Margueritte V Victor

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Ebook has 1260 lines and 64044 words, and 26 pages

<> Elle en eut au coeur un afflux de tendresse, une piti? filiale. Cette femme, si absorb?e de soucis, toujours en proie aux mille d?tails de sa mission, comme elle avait ?t? bonne! Comme elle s'?tait int?ress?e au d?veloppement de sa pens?e! Jamais H?l?ne n'oublierait les ch?res causeries o? Minna, touch?e de sa jeune ferveur, lui avait, en mots de flamme, trac? le r?le de la femme nouvelle. Entretiens passionnants: le monde, ? la voix r?v?latrice, lui ?tait apparu dans sa lente ?volution, marche ? t?tons vers le progr?s, avenir lumineux auquel on s'?l?ve par des chemins obscurs, tout le pi?tinement de l'imparfaite humanit? dans l'?go?sme, dans l'injustice.

Aux calmes champs de la terre normande succ?daient maintenant les petites maisons ? toits rouges et les toits de verre de quartiers ouvriers. On devinait, aux files de locomotives, aux approvisionnements de charbon sous les hangars, la proximit? de la ville. Le train longea les murs nus d'une grande fabrique, o? d'?normes lettres noires proclamaient un nom, une raison sociale. La banlieue de Rouen apparut, avec son d?cor brumeux d'usines, de docks, de magasins; un enchev?trement lointain de vergues et de m?ts suscita l'agitation commerciale des quais, la vie marini?re du fleuve; de hautes chemin?es fumaient dans l'azur. Minna les d?signa d'un geste attrist?:

--La femme bourgeoise et ses droits, certes, toute une conqu?te ? poursuivre! Mais qui affranchira les femmes ouvri?res? Ou du moins, puisque la cruaut? des lois ?conomiques les forcent par troupeaux ? s'emprisonner sous le plafond bas des ateliers, des salles d'usine, qui adoucira leur servage? Pour gagner leur pain ? la sueur de leur front, elles peinent douze heures par jour. Que reste-t-il pour le foyer? Si encore elles rapportaient de quoi vivre!... Et elle r?p?ta, avec un accent amer:--Tout le monde a le droit de vivre!

H?l?ne regardait fuir les chemin?es fumantes.

--Vous avez vu cela de pr?s, dit-elle, touchant d'une caresse la cicatrice que Minna portait ? la main gauche.

L'Anglaise en effet, tenant ? se rendre compte par elle-m?me, s'?tait fait jadis embaucher dans une des industries o? le labeur physique est le plus rude; elle avait travaill? trois mois dans une raffinerie, et gardait, d'un accident, la trace d'une forte br?lure.

Le rapide entrait en gare.

--D?j?! fit H?l?ne.

Minna ?tait debout, tirant du filet le n?cessaire de la jeune fille qui, pour descendre ? la station de Mantes, devait changer de train. Une tristesse furtive assombrit leurs visages.

--Au revoir, ma ch?rie, dit Minna en l'?treignant.

Et comme elle voyait passer dans les yeux d'H?l?ne une inqui?tude, ? l'id?e de la vie de famille qu'il fallait reprendre, de la lutte in?vitable:

--Bon courage, dit-elle, patience et fermet?. On obtient plus avec du calme qu'avec de br?ves col?res. Adieu.

H?l?ne, en traversant le quai, emportait la persistante caresse du regard limpide et courageux, presque maternel, qui la suivait. Elle en gardait encore le r?confort dans le wagon, o?, assise entre une grosse dame et un pr?tre qui lisait son br?viaire, elle regardait l'?ternel d?fil? des grandes prairies, des pommiers bas.

Comment allait-elle retrouver les siens? Ce p?re bon et tendre qui avait accueilli avec indulgence ses id?es agressives, ses r?voltes, continuerait-il cependant ? la sacrifier ? son fr?re, comme si Andr?, unique repr?sentant de la famille, avait seul droit ? une vie libre et sup?rieure, que tous devaient pr?parer, faciliter, servir? Dans la bonhomie de M. Dugast, amus? par ce qu'il consid?rait comme des boutades d'enfant g?t?e, que de d?dain au fond pour la condition m?me de la femme! Cet homme, qui adorait sa fille et vouait ? sa compagne un v?ritable culte, cachait, sous les c?lineries du p?re et les ?gards du mari, un m?pris informul?, une piti? protectrice pour le sexe...

Sa m?re, en qui elle admirait une cr?ature de devoir, d'abn?gation, esclave heureuse dans le mariage, sa m?re, qui ?coutait religieusement chaque parole tomb?e de la bouche de son mari ou de son fils, allait-elle essayer de remettre sur elle une main-mise tenace, m?connaissant ses intentions, critiquant ses actes, avec la douceur d'un reproche d?guis?, la maladresse d'une femme qui a l'esprit moins large que le coeur?

Sans la tante ?dith, sans Minna, pourtant, quelle ?ducation insuffisante ces deux braves et chers ?tres lui auraient donn?e! <> Comme si le but de la vie ?tait de devenir une poup?e, toute aux futiles pratiques du monde, ou une m?nag?re born?e aux soins de la maison! Elle se r?jouit de ne pas ressembler ? ses cousines Germaine et Yvonne, jolies perruches, plumage et ramage , ni ? leur chaperon, la tante Portier, confite en recettes de cuisine, en maximes arri?r?es!

Et son fr?re! cet Andr? qu'elle ch?rissait pourtant, malgr? ses habitudes de s?cheresse courtoise, d'?go?sme discret... Elle avait souffert dans sa tendresse, sinon repouss?e, du moins sans cesse remise ? sa place; elle avait souffert dans son orgueil. Pourtant elle lui rendait justice, reconnaissait ses qualit?s: d?cision, volont?, force de travail. L'oncle Marcel avait trouv? en lui le plus pr?cieux des collaborateurs. L'usine, sans le jeune ing?nieur, e?t-elle rapport? ses ?normes b?n?fices?

Quant ? l'oncle, sans doute elle respectait en en lui le fr?re de son p?re, l'a?n? des Dugast. Mais c'?tait une affection due, sans tendresse spontan?e. Chez elle, une contrainte visible; chez lui, une morgue dominatrice, volontiers taquine. Il ?tait ? ses yeux le pharisien qui pr?ne bien haut le mensonge social sous toutes ses formes, moins par conviction que par int?r?t. Les principes tout faits, les grands mots de morale, d'autorit?, de progr?s, sonnaient dans sa bouche avec affectation. Toujours du c?t? du manche; au mieux avec les d?put?s, journalistes, financiers. Enrichi par un labeur incessant, il n'e?t pas fait tort d'un centime au dernier de ses ouvriers, mais son despotisme comme sa philanthropie,--car il pratiquait le bien--par syst?me, avait quelque chose d'antipathique et d'absolu.

H?l?ne avec satisfaction se r?p?ta:

<>

Elle supputa la fortune en possession de laquelle elle allait entrer, sa dot, h?ritage de sa marraine, la vieille cousine ?milie Pierron,--deux cent mille francs que son p?re avait plac?s dans la filature, les int?r?ts ? 7 et 8 pour 100 accumul?s depuis cinq ans... Et le projet longuement m?ri, la stupeur des siens,--coup de t?te, folie! diraient-ils,--l'irritation de l'oncle Marcel, lui donn?rent d'avance une d?licieuse petite fi?vre.

Le train ralentissait. Elle reconnut les abords de la gare de Mantes. D?j? elle ?tait ? la porti?re; un petit choc d'arr?t, et, sautant sur le quai, elle fut surprise de voir, ? c?t? de son fr?re, Jacques Du Marty, le mari de Germaine. Snob au possible, avec son haut de forme gris et son complet bleu-paon d'une ?l?gance recherch?e, son monocle viss? ? l'oeil, ses longues moustaches de chat, il tenait ? la main une valise d'un cuir ?blouissant. Derri?re eux, Germaine guettait les voyageuses qui descendaient de wagon. Son visage rose, ses yeux d'un marron lumineux, sa bouche rouge comme une framboise riaient, sous la voilette blanche. Elle donnait une impression de fleur, mince et souple dans sa robe mauve ? volants de dentelle. Ce fut Jacques qui le premier aper?ut H?l?ne. Il se pr?cipita:

--Ah! ma cousine, d?sol? de partir quand vous arrivez... Forc? d'aller ? Paris; un rendez-vous. C'est stupide!

--Comme tu as bonne mine, fit Andr? en baisant sa soeur sur les deux joues.

Elle ?tait maintenant dans les bras de Germaine. Apr?s la virile accolade de son fr?re, un peu s?che, elle ?prouvait une seconde petite d?ception ? l'?treinte molle et parfum?e de la jeune femme; elle la sentait si diff?rente.

--Et p?re, s'inqui?ta-t-elle, et maman?

--Ils arrivent, r?pondit Andr?. Cette vieille b?te de Junon s'est mise ? boiter en route. Une pierre dans le sabot.

Germaine souriait, satisfaite:

--Nous sommes venus en automobile.

--Teuf! Teuf! ?a va plus vite, dit Jacques.

--Le progr?s, mesdames! conclut Andr?.

Du Marty s'assurait d'un coin. Debout sur le marche-pied, comme l'employ? criait:--En voiture! il prit cong?, avec son urbanit? exquise qui fatiguait, ? la longue. Et d'un geste th??tral au comique voulu, d?signant sa femme, il dit ? H?l?ne et ? Andr?:

--Je vous la confie!

Germaine se r?criait, Andr? eut un petit rire; le train partait. Dehors, sur le trottoir, ils durent attendre un moment, pr?s de l'automobile tr?pidant au milieu d'un cercle de gamins. H?l?ne s'informa de la sant? de l'oncle Marcel.

--Papa va bien, dit Germaine.

--Yvonne?

--Bien aussi. Elle d?sole tante Portier. Tu connais ses grandes maximes?... Elle imita la voix nasillarde:--<> Yvonne, depuis qu'elle est sortie du couvent, dort jusqu'? midi. Il est vrai qu'elle se couche ? deux heures. Il y a toujours du monde ? la maison, on chante, on danse. Les Bourrel sont ? Changy. Nous avons le beau Dormoy, le cousin Simonin et le petit Schmet... Elle eut une pause, un sourire intentionnels:--Verni?res est chez sa tante, ? la Roche-Guyon... Ah! la voiture!--et elle agita son ombrelle.

Avec un sourire attendri, H?l?ne voyait s'avancer le landau de famille, au trot pacifique des deux carrossiers; c'est vrai, Junon boitait. Le vieux Pierre, digne sous sa livr?e noire, souriait respectueusement; il souleva son chapeau. D?j? M. Dugast ouvrait la porti?re. H?l?ne aidait sa m?re ? descendre; elles s'embrass?rent. M. Dugast attendait son tour. Puis, tenant H?l?ne aux ?paules, il la regarda longuement:

--Nous sommes embellie, fit-il avec un bon rire. Monte vite, on prendra tes bagages. Et tante ?dith?

Il la for?ait ? s'asseoir pr?s de sa m?re. Devant eux l'automobile se mettait en marche, avec un petit bruit saccad?, une d?sagr?able odeur de machine. On vit peu ? peu la voiture acc?l?rer sa course, et, dans un geste ironique d'adieu, Germaine retourn?e sourire, sous son chapeau fleuri, tandis qu'immobile, dos raide, la raie correcte de ses cheveux blonds surmont?e de la casquette du chauffeur, Andr? maintenait la direction. Bient?t ils disparurent.

Le landau roulait, d'un trot ?gal. Sa marche lente, son aspect bourgeois, les ?paules tass?es de Pierre, les visages fatigu?s des vieux parents formaient un contraste si vif qu'H?l?ne en fut frapp?e. Elle se retrouvait en plein pass?. M. Dugast, en face d'elle, souriait dans sa barbe blanche; sa m?re, calme comme ? son ordinaire, avait un regard paisible. La s?r?nit? de leurs traits disait clairement: rien n'a chang?. Les plis du front, des joues, l'expression des yeux gardaient l'empreinte ineffa?able; ils demeuraient ce que la vie les avaient faits, avec leurs mani?res d'?tre, leurs habitudes prises, leurs id?es.

--Nous avons bien souffert de la chaleur, dit M. Dugast. Les fleurs s?chent dans le jardin. Mes beaux oeillets d?p?rissent.

H?l?ne compatit. Une des petites manies de son p?re, la collection d'oeillets!

--J'avais beau faire arroser devant les fen?tres, tenir tout ferm?; c'?tait affreux, ajouta Mme Dugast.

Ah! oui, la surveillance m?ticuleuse des volets!... Combien de fois H?l?ne avait entendu ces phrases, prononc?es avec le m?me accent, soulign?es de la m?me fa?on! Vibrante d'enthousiasme, elle s'?tonna de cette immutabilit?. Le pass?, le pass?... sensation d'un charme m?lancolique. Ils ?chang?rent les propos coutumiers: ?tait-elle satisfaite de son s?jour? Que devenait sa grande amiti? pour Minna? Tante ?dith avait-elle d?chiffr? une nouvelle partition de Wagner? Et ses fameuses lectures philosophiques?

Elle per?ut l'ironie, la rancune que sa m?re gardait contre l'influence de sa soeur, ses id?es libres, ce milieu diff?rent d'o? chaque fois sa fille revenait plus ind?pendante, plus raisonneuse. M. Dugast eut beau rendre justice ? l'intelligence, ? la gr?ce d'?dith, il y eut un silence. H?l?ne sentit cette g?ne qui, souvent, lorsqu'on se retrouve apr?s une longue s?paration, paralyse l'?lan, ralentit les paroles entre les personnes qui s'aiment le plus.

On avait d?pass? le village d'Angy, on gravissait la c?te de Sainte-Flaive. Sur le damier des champs, sur l'ondulation des coteaux, le soleil couchant suspendait une brume dor?e, frappait de ses rayons obliques des toits bruns au loin. Au sommet de la c?te, H?l?ne revit avec plaisir le paysage familier, la plaine vaste qui s'?largissait, demi-cercle de bois et de labours bord? de falaises crayeuses, au pied desquelles la Seine recourbait sa boucle luisante. Le landau suivait la berge. De l'autre c?t? de la rive, sur le ciel pourpre, les hautes chemin?es, les hangars de la filature Dugast, les toits nets de Moranges se d?coup?rent. A la vue du petit village ouvrier o? malgr? le z?le, les secours de son oncle et d'Andr?, de si cruelles mis?res se perp?tuaient, le coeur d'H?l?ne se serra.

Dans son ?clat supr?me, le jour resplendissait. Sur l'eau glac?e de rose et d'argent, le bac noir traversait lentement. Les premi?res maisons de la Neuville apparurent. On distingua les murs du jardin, les grands marronniers sombres du Vert-Logis; et plus loin, derri?re les toits de tuile de leur vieille maison, les tourelles d'ardoises neuves de la Chesnaye, le ch?teau de l'oncle.

Lorsqu'au bout de l'avenue de tilleuls,--comme leur odeur ?tait douce!--ils descendirent devant les marches anciennes du perron, ils ne se parlaient plus, depuis un grand moment d?j?.

H?l?ne s'?veilla tard. La soir?e de la veille lui laissait une impression confuse; ? peine le temps d'aller embrasser ? la Chesnaye l'oncle Marcel, Yvonne, tante Portier; Germaine lui avait montr? une robe nouvelle en cr?pe de chine rose, dont elle paraissait ravie... Et le grand-p?re Pierron, la grand'm?re Pierron, pas chang?s non plus! Elle, avec son long visage ferm? de sourde, sous un tour de cheveux gris; lui, sec et glacial, avec ses favoris d'ancien procureur g?n?ral, ses quatre-vingt-cinq ans gourm?s. Comme d'habitude chaque ann?e, ils ?taient venus passer deux mois chez leur fille.

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