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Read Ebook: Pastiches et mélanges by Proust Marcel

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Ebook has 227 lines and 61715 words, and 5 pages

? certains, les millions ne suffisaient pas; tout de suite ils les auraient jou?s ? la Bourse; et, achetant des valeurs au plus bas cours la veille du jour o? elles remonteraient--un ami les aurait renseign?s--verraient centupler leur capital en quelques heures. Riches alors comme Carnegie, ils se garderaient de donner dans l'utopie humanitaire. Mais, laissant le luxe aux vaniteux, ils rechercheraient seulement le confort et l'influence, se feraient nommer pr?sident de la R?publique, ambassadeur ? Constantinople, auraient dans leur chambre un capitonnage de li?ge qui amort?t le bruit des voisins. Ils n'entreraient pas au Jockey-Club, jugeant l'aristocratie ? sa valeur. Un titre du pape les attirait davantage. Peut-?tre pourrait-on l'avoir sans payer. Mais alors ? quoi bon tant de millions? Bref, ils grossiraient le denier de saint Pierre tout en bl?mant l'institution. Que peut bien faire le pape de cinq millions de dentelles, tant de cur?s de campagne meurent de faim?

Mais quelques-uns, en songeant que la richesse aurait pu venir ? eux, se sentaient pr?ts ? d?faillir; car ils l'auraient mise aux pieds d'une femme dont ils avaient ?t? d?daign?s jusqu'ici, et qui leur aurait enfin livr? le secret de son baiser et la douceur de son corps. Ils se voyaient avec elle, ? la campagne, jusqu'? la fin de leurs jours, dans une maison tout en bois blanc, sur le bord triste d'un grand fleuve. Ils auraient connu le cri du p?trel, la venue des brouillards, l'oscillation des navires, le d?veloppement des nu?es, et seraient rest?s des heures avec son corps sur leurs genoux, ? regarder monter la mar?e et s'entre-choquer les amarres, de leur terrasse, dans un fauteuil d'osier, sous une tente ray?e de bleu, entre des boules de m?tal. Et ils finissaient par ne plus voir que deux grappes de fleurs violettes, descendant jusqu'? l'eau rapide qu'elles touchent presque, dans la lumi?re crue d'un apr?s-midi sans soleil, le long d'un mur rouge?tre qui s'effritait. ? ceux-l?, l'exc?s de leur d?tresse ?tait la force de maudire l'accus?; mais tous le d?testaient, jugeant qu'il les avait frustr?s de la d?bauche, des honneurs, de la c?l?brit?, du g?nie; parfois de chim?res plus ind?finissables, de ce que chacun rec?lait de profond et de doux, depuis son enfance, dans la niaiserie particuli?re de son r?ve.

Le r?cit d?bute par une sc?ne qui, mieux conduite, aurait pu donner de M. Flaubert une id?e assez favorable, dans ce genre tout imm?diat et impromptu du croquis, de l'?tude prise sur la r?alit?. Nous sommes au Palais de justice, ? la chambre correctionnelle, o? se juge l'affaire Lemoine, pendant une suspension d'audience. Les fen?tres viennent d'?tre ferm?es sur l'ordre du pr?sident. Et ici un ?minent avocat m'assure que le pr?sident n'a rien ? voir, comme il semble en effet plus naturel et convenable, dans ces sortes de choses, et ? la suspension m?me s'?tait certainement retir? dans la chambre du conseil. Ce n'est qu'un d?tail si l'on veut. Mais vous qui venez nous dire le nombre des ?l?phants et des onagres dans l'arm?e carthaginoise, comment esp?rez-vous, je vous le demande, ?tre cru sur parole quand, pour une r?alit? si prochaine, si ais?ment v?rifiable, si sommaire m?me et nullement d?taill?e, vous commettez de telles b?vues! Mais passons: l'auteur voulait une occasion de d?crire le pr?sident, il ne l'a pas laiss?e ?chapper. Ce pr?sident a <>. Passe encore pour le visage de pitre! L'auteur est d'une ?cole qui ne voit jamais rien dans l'humanit? de noble ou d'estimable. Pourtant M. Flaubert, bas Normand s'il en fut, est d'un pays de fine chicane et de haute sapience qui a donn? ? la France assez de consid?rables avocats et magistrats, je ne veux point distinguer ici. Sans m?me se borner aux limites de la Normandie, l'image d'un pr?sident Jeannin sur lequel M. Villemain nous a donn? plus d'une indication d?licate, d'un Mathieu Marais, d'un Saumaise, d'un Bouhier, voire de l'agr?able Patru, de tel de ces hommes distingu?s par la sagesse du conseil et d'un m?rite si n?cessaire, serait aussi int?ressante, je crois, et aussi vraie que celle du pr?sident ? <> qui nous est ici montr?e. Va pourtant pour visage de pitre! Mais s'il a des <>, qu'en savez-vous, puisque aussi bien il n'a pas encore ouvert la bouche? Et de m?me, un peu plus loin, l'auteur, dans le public qu'il nous d?crit, nous montrera du doigt un <>. C'est une d?signation assez fr?quente aujourd'hui. Mais ici, je le demande encore ? M. Flaubert: <> L'auteur, ?videmment, s'amuse, et tous ces traits sont invent?s ? plaisir. Mais ce n'est rien encore, poursuivons. L'auteur continue ? peindre le public, ou plut?t de purs <> b?n?voles qu'il a group?s ? loisir dans son atelier: <> Voyageur! vous n'avez ? la bouche que les mots de v?rit?, d'<>, vous en faites profession, vous en faites parade; mais, sous cette pr?tendue impersonnalit?, comme on vous reconna?t vite, ne serait-ce qu'? ce n?gre, ? cette orange, tout ? l'heure ? ce perroquet, fra?chement d?barqu?s avec vous, ? tous ces accessoires rapport?s que vous vous d?p?chez bien vite de venir plaquer sur votre esquisse, la plus bigarr?e, je le d?clare, la moins v?ridique, la moins ressemblante o? se soit jamais ?vertu? votre pinceau.

Enfin l'audience est reprise , l'avocat de Werner a la parole, et M. Flaubert nous avertit qu'en se tournant vers le pr?sident il fait, chaque fois, <>. Qu'il y ait eu de tels avocats, et m?me au barreau de Paris, <>, comme dit l'auteur, devant la cour et le minist?re public, c'est bien possible. Mais il y en a d'autres aussi--cela, M. Flaubert ne veut pas le savoir--et il n'y a pas si longtemps que nous avons entendu le bien consid?rable Chaix d'Est-Ange r?pondre fi?rement ? une sommation hautaine du minist?re public: <> Ce jour-l?, l'aimable juriste qui ne pouvait certes trouver autour de lui l'atmosph?re, la r?sonance divine du dernier ?ge de la R?publique, avait su pourtant, tout comme un Cic?ron, lancer la fl?che d'or.

<>. Mais, je le demande, que viennent faire ici les p?trels? L'auteur visiblement recommence ? s'amuser, tranchons le mot, ? nous mystifier. On peut n'avoir pas pris ses us en ornithologie et savoir que le p?trel est un oiseau fort commun sur nos c?tes, et qu'il n'est nul besoin d'avoir d?couvert le diamant et fait fortune pour le rencontrer. Un chasseur qui en a souvent poursuivi m'assure que son cri n'a absolument rien de particulier et qui puisse si fort ?mouvoir celui qui l'entend. Il est clair que l'auteur a mis cela au hasard de la phrase. Le cri du p?trel, il a trouv? que cela faisait bien et, dare-dare, il nous l'a servi. M. de Chateaubriand est le premier qui ait ainsi fait entrer dans un cadre ?tudi? des d?tails ajout?s apr?s coup et sur la v?rit? desquels il ne se montrait pas difficile. Mais lui, m?me dans son annotation derni?re, il avait le don divin, le mot qui dresse l'image en pied, pour toujours, dans sa lumi?re et sa d?signation, il poss?dait, comme disait Joubert, le talisman de l'Enchanteur. Ah! post?rit? d'Atala, post?rit? d'Atala, on te retrouve partout aujourd'hui, jusque sur la table de dissection des anatomistes! etc.

PAR HENRI DE R?GNIER

Le diamant ne me pla?t gu?re. Je ne lui trouve pas de beaut?. Le peu qu'il en ajoute ? celle des visages est moins un effet de la sienne qu'un reflet de la leur. Il n'a ni la transparence marine de l'?meraude, ni l'azur illimit? du saphir. Je lui pr?f?re le rayon saure de la topaze, mais surtout le sortil?ge cr?pusculaire des opales. Elles sont embl?matiques et doubles. Si le clair de lune irise une moiti? de leur face, l'autre semble teinte par les feux roses et verts du couchant. Nous ne nous divertissons pas tant des couleurs qu'elles nous pr?sentent, que nous ne sommes touch?s du songe que nous nous y repr?sentons. ? qui ne sait rencontrer au del? de soi-m?me que la forme de son destin, elles en montrent le visage alternatif et taciturne.

Elles se trouvaient en grand nombre dans la ville o? Hermas me conduisit. La maison que nous habitions valait plus par la beaut? du site que par la commodit? des ?tres. La perspective des horizons y ?tait mieux m?nag?e, que l'am?nagement des lieux n'y ?tait bien entendu. Il ?tait plus agr?able d'y songer qu'il n'?tait ais? d'y dormir. Elle ?tait plus pittoresque, que confortable. Accabl?s par la chaleur pendant le jour, les paons faisaient entendre toute la nuit leur en fatidique et narquois qui, ? vrai dire, est plus propice ? la r?verie qu'il n'est favorable au sommeil. Le bruit des cloches emp?chait d'en trouver pendant la matin?e, ? d?faut de celui qu'on ne go?te bien qu'avant le jour, un second qui r?pare au moins dans une certaine mesure la fatigue d'avoir ?t? enti?rement priv? du premier. La majest? des c?r?monies dont leurs sonneries annon?aient l'heure, compensait mal le contretemps d'?tre r?veill? ? celle o? il convient de dormir, si l'on veut ensuite pouvoir profiter des autres. La seule ressource ?tait alors de quitter la toile des draps et la plume de l'oreiller pour aller se promener dans la maison. L'entreprise, ? vrai dire, si elle offrait du charme, pr?sentait aussi du danger. Elle ?tait divertissante sans laisser d'?tre p?rilleuse. On aimait encore mieux en r?pudier le plaisir que d'en poursuivre l'aventure. Les parquets que M. de S?ryeuse avait rapport?s des ?les ?taient multicolores et disjoints, glissants et g?om?triques. Leur mosa?que ?tait brillante et in?gale. Le dessin de ses losanges, tant?t rouges et tant?t noirs, offrait aux regards un plus plaisant spectacle que la boiserie ici exhauss?e, l? rompue, ne garantissait aux pas une promenade assur?e.

L'agr?ment de celle qu'on pouvait faire dans la cour n'?tait pas achet? par tant de risques. On y descendait vers midi. Le soleil chauffait les pav?s, ou la pluie d?gouttait des toits. Parfois le vent faisait grincer la girouette. Devant la porte close, monumentale et verdie, un Herm?s sculpt? donnait ? l'ombre qu'il projetait la forme de son caduc?e. Les feuilles mortes des arbres voisins descendaient en tournoyant jusqu'? ses talons et repliaient sur les ailes de marbre leurs ailes d'or. Votives et pansues, des colombes venaient se percher dans les voussures de l'archivolte ou sur l'?brasement du pi?destal, et en laissaient souvent tomber une boule fade, ?cailleuse et grise. Elle venait aplatir sur le gravier ou sur le gazon sa masse intermittente et grenue, et poissait de l'herbe qu'elle avait ?t? celle dont abondait la pelouse et dont ne manquait pas l'all?e de ce que M. de S?ryeuse appelait son jardin.

Lemoine venait souvent s'y promener.

C'est l? que je le vis pour la premi?re fois. Il paraissait plut?t ajust? dans la souquenille du laquais qu'il n'?tait coiff? du bonnet du docteur. Le dr?le pourtant pr?tendait l'?tre et en plusieurs sciences o? il est plus profitable de r?ussir qu'il n'est souvent prudent de s'y livrer.

Il ?tait midi quand son carrosse arriva en d?crivant un cercle devant le perron. Le pav? r?sonna des sabots de l'attelage, un valet courut au marchepied. Dans la rue, des femmes se sign?rent. La bise soufflait. Au pied de l'Herm?s de marbre, l'ombre caduc?enne avait pris quelque chose de fugace et de sournois. Pourchass?e par le vent, elle semblait rire. Des cloches sonn?rent. Entre les vol?es de bronze d'un bourdon, un carillon hasarda ? contretemps sa chor?graphie de cristal. Dans le jardin, une escarpolette grin?ait. Des graines s?ch?es ?taient dispos?es sur le cadran solaire. Le soleil brillait et disparaissait tour ? tour. Agatis? par sa lumi?re, l'Herm?s du seuil s'obscurcissait plus de sa disparition qu'il n'e?t fait de son absence. Successif et ambigu, le visage marmor?en vivait. Un sourire semblait allonger en forme de caduc?e les l?vres expiatrices. Une odeur d'osier, de pierre ponce, de cin?raire et de marqueterie s'?chappait par les persiennes ferm?es du cabinet et par la porte entr'ouverte du vestibule. Elle rendait plus lourd l'ennui de l'heure. M. de S?ryeuse et Lemoine continuaient ? causer sur le perron. On entendait un bruit ?quivoque et pointu comme un ?clat de rire furtif. C'?tait l'?p?e du gentilhomme qui heurtait la cornue de verre du spagirique. Le chapeau ? plumes de l'un garantissait mieux du vent que le serre-t?te de soie de l'autre. Lemoine s'enrhumait. De son nez qu'il oubliait de moucher, un peu ce morve avait tomb? sur le rabat et sur l'habit. Son noyau visqueux et ti?de avait gliss? sur le linge de l'un, mais avait adh?r? au drap de l'autre et tenait en suspens au-dessus du vide la frange argent?e et fluente qui en d?gouttait. Le soleil en les traversant confondait la mucosit? gluante et la liqueur dilu?e. On ne distinguait plus qu'une seule masse juteuse, convulsive, transparente et durcie; et dans l'?ph?m?re ?clat dont elle d?corait l'habit de Lemoine, elle semblait y avoir immobilis? le prestige d'un diamant momentan?, encore chaud, si l'on peut dire, du four dont il ?tait sorti, et dont cette gel?e instable, corrosive et vivante qu'elle ?tait pour un instant encore, semblait ? la fois, par sa beaut? menteuse et fascinatrice, pr?senter la moquerie et l'embl?me.

DANS LE <>

<> PAR MICHELET

DANS UN FEUILLETON DRAMATIQUE DE M. ?MILE FAGUET

Admirez mes bont?s et le peu qu'on vous vend Le tr?sor merveilleux que ma main vous dispense. ? grande puissance De l'orvi?tan!

Lemoine est arr?t?, Werner redemande son argent, le lord anglais ne dit plus mot; du coup, nous ne marchons plus, et comme toujours, en pareil cas, nous sommes furieux d'avoir march? et nous passons notre mauvaise humeur sur... Parbleu! l'auteur est l? pour quelque chose, je pense. Werner aussit?t demande au juge de faire saisir l'enveloppe o? est le fameux secret. Le juge y consent imm?diatement. Personne de plus aimable que ce juge. Mais l'avocat de Lemoine dit au juge que la chose est ill?gale. Le juge renonce aussit?t; personne de plus versatile que ce juge. Quant ? Lemoine, il veut absolument aller se balader avec le juge, les avocats, les experts, etc., jusqu'? Amiens o? est son usine, pour leur prouver qu'il sait faire du diamant. Et chaque fois que le juge aimable et versatile lui r?p?te qu'il a escroqu? Werner, Lemoine r?pond: <> ? quoi le juge peur lui donner la r?plique: <> Personne de plus vers? dans la r?pertoire moli?riste que ce juge. Etc.

PAR ERNEST RENAN

Si Lemoine avait r?ellement fabriqu? du diamant, il e?t sans doute content? par l?, dans une certaine mesure, ce mat?rialisme grossier avec lequel devra compter de plus en plus celui qui pr?tend se m?ler des affaires de l'humanit?; il n'e?t pas donn? aux ?mes ?prises d'id?al cet ?l?ment d'exquise spiritualit? sur lequel, apr?s si longtemps, nous vivons encore. C'est d'ailleurs ce que para?t avoir compris avec une rare finesse le magistrat qui fut commis pour l'interroger. Chaque fois que Lemoine, avec le sourire que nous pouvons imaginer, lui proposait de venir ? Lille, dans son usine, o? l'on verrait s'il savait ou non faire du diamant, le juge Le Poittevin, avec un tact exquis, ne le laissait pas poursuivre, lui indiquait d'un mot, parfois d'une plaisanterie un peu vive, toujours contenue par un rare sentiment de la mesure, qu'il ne s'agissait pas de cela, que la cause ?tait ailleurs. Rien, du reste, ne nous autorise ? affirmer que m?me ? ce moment o? se sentant perdu Lemoine ait jamais pr?tendu qu'il savait fabriquer le diamant. Le lieu o? il proposait aux experts de les conduire et que les traductions nomment <>, d'un mot qui a pu pr?ter au contresens, ?tait situ? ? l'extr?mit? de la vall?e de plus de trente kilom?tres qui se termine ? Lille. M?me de nos jours, apr?s tous les d?boisements qu'elle a subis, c'est un v?ritable jardin, plant? de peupliers et de saules, sem? de fontaines et de fleurs. Au plus fort de l'?t?, la fra?cheur y est d?licieuse. Nous avons peine ? imaginer aujourd'hui qu'elle a perdu ses bois de ch?taigniers, ses bosquets de noisetiers et de vignes, la fertilit? qui en faisait au temps de Lemoine un s?jour enchanteur. Un Anglais qui vivait ? cette ?poque, John Ruskin, que nous ne lisons malheureusement que dans la traduction d'une platitude pitoyable que Marcel Proust nous en a laiss?e, vante la gr?ce de ses peupliers, la fra?cheur glac?e de ses sources. Le voyageur sortant ? peine des solitudes de la Beauce et de la Sologne, toujours d?sol?es par un implacable soleil, pouvait croire vraiment, quand il voyait ?tinceler ? travers les feuillages leurs eaux transparentes, que quelque g?nie, touchant le sol de sa baguette magique, en faisait ruisseler ? profusion le diamant. Lemoine, probablement, ne voulut jamais dire autre chose. Il semble qu'il ait voulu, non sans finesse, user de tous les d?lais de la loi fran?aise, qui permettaient ais?ment de prolonger l'instruction jusqu'? la mi-avril, o? ce pays est particuli?rement d?licieux. Aux haies, le lilas, le rosier sauvage, l'?pine blanche et rose sont en fleurs et tendent au long de tous les chemins une broderie d'une fra?cheur de tons incomparable, o? les diverses esp?ces d'oiseaux de ce pays viennent m?ler leurs chants. Le loriot, la m?sange, le rossignol ? t?te bleue, quelquefois le bengali, se r?pondent de branche en branche. Les collines, rev?tues au loin des fleurs roses des arbres fruitiers, se d?ploient sur le bleu du ciel avec des courbes d'une d?licatesse ravissante. Aux bords des rivi?res qui sont rest?es le grand charme de cette r?gion, mais o? les scieries entretiennent aujourd'hui ? toute heure un bruit insupportable, le silence ne devait ?tre troubl? que par le brusque plongeon d'une de ces petites truites dont la chair assez insipide pourtant est pour le paysan picard le plus exquis des r?gals. Nul doute qu'en quittant la fournaise du Palais de justice, experts et juges n'eussent subi comme les autres l'?ternel mirage de ces belles eaux que le soleil ? midi vient vraiment diamanter. S'allonger au bord de la rivi?re, saluer de ses rires une barque dont le sillage raye la soie changeante des eaux, distraire quelques bribes azur?es de ce gorgerin de saphir qu'est le col du paon, en poursuivre gaiement de jeunes blanchisseuses jusqu'? leur lavoir en chantant un refrain populaire, tremper dans la mousse du savon un pipeau taill? dans le chaume ? la fa?on de la fl?te de Pan, y regarder perler des bulles qui unissent les d?licieuses couleurs de l'?charpe d'iris et appeler cela enfiler des perles, former parfois des choeurs en se tenant par la main, ?couter chanter le rossignol, voir se lever l'?toile du berger, tels ?taient sans doute les plaisirs auxquels Lemoine comptait convier les honorables MM. Le Poittevin, Bordai et consorts, plaisirs d'une race vraiment id?aliste, o? tout finit par des chansons, o? d?s la fin du dix-neuvi?me si?cle la l?g?re ivresse du vin de Champagne para?t trop grossi?re encore, o? l'on ne demande plus la gaiet? qu'? la vapeur qui, de profondeurs parfois incalculables, monte ? la surface d'une source faiblement min?ralis?e.

DANS LES M?MOIRES DE SAINT-SIMON

Cette ann?e-l? vit le mariage de la bonne femme Blumenthal avec L. de Talleyrand-P?rigord dont il a ?t? maintes fois parl?, avec force ?loges, et tr?s m?rit?s au cours de ces M?moires. Les Rohan en firent la noce o? se trouv?rent des gens de qualit?. Il ne voulut pas que sa femme f?t assise en se mariant, mais elle osa la housse sur sa chaise et se fit incontinent appeler duchesse de Montmorency, dont elle ne fut pas plus avanc?e. La campagne continua contre les Imp?riaux qui malgr? les r?voltes d'Hongrie, caus?es par la chert? du pain, remport?rent quelques succ?s devant Ch?teau-Thierry. Ce fut l? qu'on vit pour la premi?re fois l'ind?cence de M. de Vend?me trait? publiquement d'Altesse. La gangr?ne gagna jusqu'aux Murat et ne laissait pas de me causer des soucis contre lesquels je soutenais difficilement mon courage si bien que j'?tais all? loin de la cour, passer ? la Fert? la quinzaine de P?ques en compagnie d'un gentilhomme qui avait servi dans mon r?giment et ?tait fort consid?r? par le feu Roi, quand la veille de Quasimodo un courrier que m'envoyait Mme de Saint-Simon me rendit une lettre par laquelle elle m'avisait d'?tre ? Meudon dans le plus bref d?lai qu'il se pourrait, pour une affaire d'importance, concernant M. le duc d'Orl?ans. Je crus d'abord qu'il s'agissait de celle du faux marquis de Ruffec, qui a ?t? marqu?e en son lieu; mais Byron l'avait ?cum?e, et par quelques mots ?chapp?s ? Mme de Saint-Simon, de pierreries et d'un fripon appel? Le Moine, je ne doutai plus qu'il ne s'ag?t encore d'une de ces affaires d'alambics qui, sans mon intervention aupr?s du chancelier, avaient ?t? si pr?s de faire--j'ose ? peine ? l'?crire--enfermer M. le duc d'Orl?ans ? la Bastille. On sait en effet que ce malheureux prince, n'ayant aucun savoir juste et ?tendu sur les naissances, l'histoire des familles, ce qu'il y a de fond? dans les pr?tentions, l'absurdit? qui ?clate dans d'autres et laisse voir le tuf qui n'est que n?ant, l'?clat des alliances et des charges, encore moins l'art de distinguer dans sa politesse le rang plus ou moins ?lev?, et d'enchanter par une parole obligeante qui montre qu'on sait le r?el et le consistant, disons le mot, l'intrins?que des g?n?alogies, n'avait jamais su se plaire ? la cour, s'?tait vu abandonn? par la suite de ce dont il s'?tait d?tourn? d'abord, tant et si loin qu'il en ?tait tomb?, encore que premier prince du sang, ? s'adonner ? la chimie, ? la peinture, ? l'Op?ra, dont les musiciens venaient souvent lui apporter leurs livres et leurs violons qui n'avaient pas de secrets pour lui. On a vu aussi avec quel art pernicieux ses ennemis, et par-dessus tous le mar?chal de Villeroy, avaient us? contre lui de ce go?t si d?plac? de chimie, lors de la mort ?trange du dauphin et de la dauphine. Bien loin que les bruits affreux qui avaient ?t? alors sem?s avec une pernicieuse habilet? par tout ce qui approchait la Maintenon eussent fait repentir M. le duc d'Orl?ans de recherches qui convenaient si peu ? un homme de sa sorte, on a vu qu'il les avait poursuivies avec Mirepoix, chaque nuit, dans les carri?res de Montmartre, en travaillant sur du charbon qu'il faisait passer dans un chalumeau o?, par une contradiction qui ne se peut concevoir que comme un ch?timent de la Providence, ce prince qui tirait une gloire abominable de ne pas croire en Dieu m'a avou? plus d'une fois avoir esp?r? voir le diable.

Les affaires du Mississipi avaient tourn? court et le duc d'Orl?ans venait, contre mon avis, de rendre son inutile ?dit contre les pierreries. Ceux qui en poss?daient, apr?s avoir montr? de l'empressement et ?prouv? de la peine ? les offrir, pr?f?rent les garder en les dissimulant, ce qui est bien plus facile que pour l'argent, de sorte que malgr? tous les tours de gobelets et diverses menaces d'enfermerie, la situation des finances n'avait ?t? que fort peu et fort passag?rement am?lior?e. Le Moine le sut et pensa faire croire ? M. le duc d'Orl?ans qu'elle le serait s'il le persuadait qu'il ?tait possible de fabriquer du diamant. Il esp?rait du m?me coup flatter par l? les d?testables go?ts de chimie de ce prince et qu'il lui ferait ainsi sa cour. C'est ce qui n'arriva pas tout de suite. Il n'?tait pourtant pas difficile d'approcher M. le duc d'Orl?ans pourvu qu'on n'e?t ni naissance, ni vertu. On a vu ce qu'?taient les soupers de ces rou?s d'o? seule la bonne compagnie ?tait tenue ? l'?cart par une exacte cl?ture. Le Moine, qui avait pass? sa vie, enterr? dans la crapule la plus obscure et ne connaissait pas ? la cour un homme qui se put nommer, ne sut pourtant ? qui s'adresser pour entrer au Palais Royal; mais ? la fin, la Mouchi en fit la planche. Il vit M. le duc d'Orl?ans, lui dit qu'il savait faire du diamant, et ce prince, naturellement cr?dule, s'en coiffa. Je pensai d'abord que le mieux ?tait d'aller au Roi par Mar?chal. Mais je craignis de faire ?clater la bombe, qu'elle n'atteignit d'abord celui que j'en voulais pr?server et je r?solus de me rendre tout droit au Palais Royal. Je commandai mon carrosse, en p?tillant d'impatience et je m'y jetai comme un homme qui n'a pas tous ses sens ? lui. J'avais souvent dit ? M. le duc d'Orl?ans que je n'?tais pas homme ? l'importuner de mes conseils, mais que lorsque j'en aurais, si j'osais dire, ? lui donner, il pourrait penser qu'ils ?taient urgents et lui demandais qu'il me f?t alors la gr?ce de me recevoir de suite car je n'avais jamais ?t? d'une humeur ? faire antichambre. Ses valets les plus principaux me l'eussent ?vit?, du reste, par la connaissance que j'avais de tout l'int?rieur de sa cour. Aussi bien me fit-il entrer ce jour-l? sit?t que mon carrosse se f?t rang? dans la derni?re cour du Palais Royal, qui ?tait toujours remplie de ceux ? qui l'acc?s e?t d? en ?tre interdit, depuis que, par une honteuse prostitution de toutes les dignit?s et par la faiblesse d?plorable du R?gent, ceux des moindres gens de qualit?, qui ne craignaient m?me plus d'y monter en manteaux longs, y pouvaient p?n?trer aussi bien et presque sur le m?me rang que ceux des ducs. Ce sont l? des choses qu'on peut traiter de bagatelles, mais auxquelles n'auraient pu ajouter foi ceux des hommes du pr?c?dent r?gne, qui, pour leur bonheur, sont morts assez t?t pour ne les point voir. Aussit?t entr? aupr?s du r?gent que je trouvai sans un seul de ses chirurgiens ni de ses autres domestiques, et apr?s que je l'eusse salu? d'une r?v?rence fort m?diocre et fort courte qui me fut exactement rendue:--Eh bien, qu'y a-t-il encore? me dit-il d'un air de bont? et d embarras.--Il y a, puisque vous me commandez de parler, Monsieur, lui dis-je avec feu en tenant mes regards fich?s sur les siens qui ne les purent soutenir, que vous ?tes en train de perdre aupr?s de tous le peu d'estime et de consid?ration--ce furent l? les termes dont je me servis--qu'a gard? pour vous le gros du monde.

Et, le sentant outr? de douleur, sans m'arr?ter, pour me d?barrasser en une fois de la f?cheuse pilule qu'il me fallait lui faire prendre, et ne pas lui laisser le temps de m'interrompre, je lui repr?sentai avec le plus terrible d?tail en quel abandon il vivait ? la cour, quel progr?s ce d?laissement, il fallait dire le vrai; mot, ce m?pris, avaient fait depuis quelques ann?es; combien ils s'augmenteraient de tout le parti que les cabales ne manqueraient pas de tirer sc?l?ralement des pr?tendues inventions du Moine pour jeter contre lui-m?me des accusations ineptes, mais dangereuses au dernier point; je lui rappelai--et je fr?mis encore parfois, la nuit quand je me r?veille, de la hardiesse que j'eus d'employer ces mots m?mes--qu'il avait ?t? accus? ? plusieurs reprises d'empoisonnement contre les princes qui lui barraient la voie au tr?ne; que ce grand amas de pierreries qu'on ferait accepter comme vraies l'aiderait ? atteindre plus facilement ? celui d'Espagne, pour quoi on ne doutait point qu'il y eut concert entre lui, la cour de Vienne, l'empereur et Rome; que par la d?testable autorit? de celle-ci il r?pudierait Mme d'Orl?ans dont c'?tait pour lui une gr?ce de la Providence que les derni?res couches eussent ?t? heureuses, sans quoi eussent ?t? renouvel?es les inf?mes rumeurs d'empoisonnement; qu'? vrai dire, pour vouloir la mort de madame sa femme, il n'?tait pas comme son fr?re convaincu du go?t italien--ce furent encore mes termes--mais que c'?tait le seul vice dont on ne l'accus?t pas , puisque ses relations avec Mme la duchesse de Berry paraissaient ? beaucoup ne pas ?tre celles d'un p?re; que s'il n'avait pas h?rit? l'abominable go?t de Monsieur pour tout le reste, il en ?tait bien le fils par l'habitude des parfums qui l'avaient mis mal avec le roi qui ne les pouvait souffrir, et plus tard avaient favoris? les bruits affreux d'avoir attent? ? la vie de la dauphine, et par avoir toujours mis en pratique la d?testable maxime de diviser pour r?gner ? l'aide des redites de l'un a l'autre qui ?taient la peste de sa cour, comme elles l'avaient ?t? de celle de Monsieur, son p?re, o? elles avaient emp?ch? de r?gner l'unisson; qu'il avait gard? pour les favoris de celui-ci une consid?ration qu'il n'accordait ? pas un autre, et que c'?taient eux--je ne me contraignis pas ? nommer Effiat--qui, aid?s de Mirepoix et de la Mouchi, avaient fray? un chemin au Moine; que n'ayant pour tout bouclier que des hommes qui ne comptaient plus depuis la mort de Monsieur et ne l'avaient pu pendant sa vie que par l'horrible conviction o? ?tait chacun, et jusqu'au roi qui avait ainsi fait le mariage de Mme d'Orl?ans, qu'on obtenait tout d'eux par l'argent, et de lui par eux entre les mains de qui il ?tait, on ne craindrait pas de l'atteindre par la calomnie la plus odieuse, la plus touchante, qu'il n'?tait que temps, s'il l'?tait encore, qu'il releva enfin sa grandeur et pour cela un seul moyen, prendre dans le plus grand secret les mesures pour faire arr?ter Le Moine et, aussit?t la chose d?cid?e, n'en point retarder l'ex?cution et ne le laisser de sa vie rentrer en France.

M. le duc d'Orl?ans, qui s'?tait seulement ?cri? une ou deux fois au commencement de ce discours, avait ensuite gard? le silence d'un homme an?anti par un si grand coup; mais mes derniers mots en firent sortir enfin quelques-uns de sa bouche. Il n'?tait pas m?chant et la r?solution n'?tait pas son fort:

--Eh quoi! me dit-il d'un ton de plainte, l'arr?ter? Mais enfin si son invention ?tait vraie?

--Comment, Monsieur, lui dis-je ?tonn? au dernier point d'un aveuglement si extr?me et si pernicieux, vous en ?tes l?, et si peu de temps apr?s avoir ?t? d?tromp? sur l'?criture du faux marquis de Ruffec. Mais enfin, si vous avez seulement un doute, faites venir l'homme de France qui se conna?t le mieux ? la chimie comme ? toutes les sciences, ainsi qu'il a ?t? reconnu par les acad?mies et par les astronomes, et dont aussi le caract?re, la naissance, la vie sans tache qui l'a suivie, vous garantissant la parole. Il comprit que je voulais parler du duc de Guiche et avec la joie d'un homme emp?tr? dans des r?solutions contraires et ? qui un autre ?te le souci d'avoir ? prendre celle qui conviendra:

--Oh bien! nous avons eu la m?me id?e, me dit-il. Guiche en d?cidera, mais je ne peux le voir aujourd'hui. Vous savez que le roi d'Angleterre, voyageant tr?s incognito sous le nom de comte de Stanhope, vient demain parler avec le Roi des affaires d'Hollande et d'Allemagne; je lui donne une f?te ? Saint-Cloud o? Guiche se trouvera. Vous lui parlerez et moi pareillement, apr?s le souper. Mais ?tes-vous s?r qu'il y viendra? ajoute-t-il d'un air embarrass?.

Je compris qu'il n'osait faire mander le duc de Guiche au Palais Royal, o?, comme on peut bien penser et par le genre de gens que M. le duc d'Orl?ans voyait et avec lesquels Guiche n'avait nulle familiarit?, hors avec Besons et avec moi, il venait le moins souvent qu'il pouvait, sachant que c'?taient les rou?s qui y tenaient le premier rang plut?t que des hommes du sien. Aussi le R?gent craignant toujours qu'il chant?t pouilles sur lui, vivait ? son ?gard dans des inqui?tudes et des mesures perp?tuelles. Fort attentif ? rendre ? chacun ce qui lui ?tait d? et n'ignorant pas ce qui l'?tait au propre fils de Monsieur, Guiche le visitait aux occasions seulement, et je ne cro?s pas qu'on l'e?t revu au Palais Royal depuis qu'il ?tait venu lui faire sa cour pour la mort de Monsieur et la grossesse de Mme d'Orl?ans. Encore ne rest?t-il que quelques instants, avec un air de respect il est vrai, mais qui savait montrer avec discernement qu'il s'adressait, plut?t qu'? la personne, au rang de premier prince du sang. M. le duc d'Orl?ans le sentait et ne laissait pas d'?tre touch? d'un traitement si amer et si cuisant.

Comme je quittais le Palais Royal, au d?sespoir de voir remettre au parvulo de Saint-Cloud un parti pris et qui ne serait peut-?tre pas ex?cut? s'il ne l'?tait ? l'instant m?me, tant ?taient grandes la versatilit? et les cavillations habituelles de M. le duc d'Orl?ans, il m'arriva une curieuse aventure que je ne rapporte ici que parce qu'elle n'annon?ait que trop ce qui devait se passer ? ce parvulo. Comme je venais de monter dans mon carrosse o? m'attendait Mme de Saint-Simon, je fus au comble de l'?tonnement en voyant que se pr?parait ? passer devant lui le carrosse de S. Murat, si connu par sa valeur aux arm?es, et celle de tous les siens. Ses fils s'y sont couverts d'honneur par des traits dignes de l'antiquit?; l'un, qui y a laiss? une jambe, brille partout de beaut?; un autre est mort, laissant des parents qui ne se pourront consoler; tellement qu'ayant montr? des pr?tentions aussi insoutenables que celles des Bouillon, ils n'ont point perdu comme eux l'estime des honn?tes gens.

Dans le m?me temps, Delaire ?pousa une Rohan et prit tr?s ?trangement le nom de comte de Cambac?r?s. Le marquis d'Albuf?ra, qui, ?tait fort de mes amis et dont la m?re l'?tait, porta force plaintes qui, malgr? l'estime infime et, on le verra par la suite, bien m?rit?e que le Roi avait pour lui, rest?rent sans effet. Et il en est maintenant de ces beaux comtes de Cambac?r?s , comme des comtes ? la m?me mode de Montgomery et de Brye que le Fran?ais ignorant croit descendre de G. de Montgomery, si c?l?bre pour son duel sous Henri II, et appartenir ? la famille de Briey, dont ?tait mon amie la comtesse de Briey, laquelle a souvent figur? dans ces M?moires et qui appelait plaisamment les nouveaux comtes de Brye, d'ailleurs gentilshommes de bon lieu quoique d'un moins haut parage, <>.

Un autre et plus grand mariage retarda la venue du roi d'Angleterre, qui n'int?ressait pas que ce pays. Mlle Asquith, qui ?tait probablement la plus intelligente d'aucun, et semblait une de ces belles figures peintes ? fresque qu'on voit en Italie, ?pousa le prince Antoine Bibesco, qui avait ?t? l'idole de ceux o? il avait r?sid?. Il ?tait fort l'ami de Morand, envoy? du Roi aupr?s de leurs Majest?s Catholiques, duquel il sera souvent question au cours de ces M?moires, et le mien. Ce mariage fit grand bruit, et partout d'applaudissement. Seul, un peu d'Anglais mal instruits, crurent que Mlle Asquith ne contractait pas une assez grande alliance. Elle pouvait certes pr?tendre ? toutes, mais ils ignoraient que ces Bibesco en ont avec les Noailles, les Montesquieu, les Chimay, et les Bauffremont qui sont de la race cap?tienne et pourraient revendiquer avec beaucoup de raison la couronne de France, comme j'ai souvent dit.

Pas un des ducs ni un homme titr? n'alla ? ce parvulo de Saint-Cloud, hors moi, ? cause de Mme de Saint Simon par la place de dame d'atour de Mme la duchesse de Bourgogne, accept?e de vive force, sur le p?ril du refus et la n?cessit? d'ob?ir au Roi, mais avec toute la douleur et les larmes qu'on a vues et les instances infinies de M. le duc et de Mme la duchesse d'Orl?ans; les ducs de Villeroy et de La Rochefoucauld par ne pouvoir se consoler de n'?tre plus que de peu, on peut dire de rien et vouloir pomper un dernier petit fumet d'affaires, qui s'en servirent, aussi comme d'une occasion d'en faire leur cour au r?gent; le chancelier, faute de conseil, dont il n'y avait pas ce jour-l?; ? des moments, Artagnan, capitaine des gardes, quand il vint dire que le Roi ?tait servi, un peu apr?s, ? son fruit, apporter des biscotins pour ses chiennes couchantes; enfin quand il annon?a que la musique ?tait commenc?e, dont il voulut ardemment tirer une distinction qui ne put venir ? terme.

Il ?tait de la maison de Montesquiou; une de ses soeurs avait ?t? fille de la Reine, s'?tait accommod?e et avait ?pous? le duc de Gesvres. Il avait pri? son cousin Robert de Montesquiou-Fezensac, de se trouver ? ce parvulo de Saint-Cloud. Mais celui-ci r?pondit par cet admirable apophtegme qu'il descendait des anciens comtes de Fezensac, lesquels sont connus avant Philippe-Auguste, et qu'il ne voyait pas pour quelle raison cent ans--c'?tait le prince Murat qu'il voulait dire--devraient passer avant mille ans. Il ?tait fils de T. de Montesquiou qui ?tait fort dans la connaissance de mon p?re et dont j'ai parl? en son lieu, et avec une figure et une tournure qui sentaient fort ce qu'il ?tait et d'o? il ?tait sorti, le corps toujours ?lanc?, et ce n'est pas assez dire, comme renvers? en arri?re, qui se penchait, ? la v?rit?, quand il lui en prenait fantaisie, en grande affabilit? et r?v?rences de toutes sortes, mais revenait assez vite ? sa position naturelle qui ?tait toute de fiert?, de hauteur, d'intransigeance ? ne plier devant personne et ? ne c?der sur rien, jusqu'? marcher droit devant soi sans s'occuper du passage, bousculant sans para?tre le voir, ou s'il voulait f?cher, montrant qu'il le voyait, qui ?tait sur le chemin, avec un grand empressement toujours autour de lui des gens des plus de qualit? et d'esprit ? qui parfois il faisait sa r?v?rence de droite et de gauche, mais le plus souvent leur laissait, comme on dit, leurs frais pour compte, sans les voir, les deux yeux devant soi, parlant fort haut et fort bien ? ceux de sa familiarit? qui riaient de toutes les dr?leries qu'il disait, et avec grande raison, comme j'ai dit, car il ?tait spirituel autant que cela se peut imaginer, avec des gr?ces qui n'?taient qu'? lui et que tous ceux qui l'ont approch? ont essay?, souvent sans le vouloir et parfois m?me sans s'en douter, de copier et de prendre, mais pas un jusqu'? y r?ussir, ou ? autre chose qu'? laisser para?tre en leurs pens?es, en leurs discours et presque dans l'air de l'?criture et le bruit de la voix qu'il avait toutes deux fort singuli?res et fort belles, comme un vernis de lui qui se reconnaissait tout de suite et montrait par sa l?g?re et ind?l?bile surface, qu'il ?tait aussi difficile de ne pas chercher ? l'imiter que d'y parvenir.

Il avait souvent aupr?s de lui un Espagnol dont le nom ?tait Yturri et que j'avais connu, lors de mon ambassade ? Madrid, comme il a ?t? rapport?. En un temps o? chacun ne pousse gu?re ses vues plus loin qu'? faire distinguer son m?rite, il avait celui, ? la v?rit? fort rare, de mettre tout le sien ? faire mieux ?clater celui de ce comte, ? l'aider dans ses recherches, dans ses rapports avec les libraires, jusque dans les soins de sa table, ne trouvant nulle t?che fastidieuse si seulement elle lui en ?pargnait quelqu'une, la sienne n'?tant, si l'on peut dire, qu'?couter et faire retentir au loin les propos de Montesquiou, comme faisaient ces disciples qu'avaient accoutum? d'avoir toujours avec eux les anciens sophistes, ainsi qu'il appert des ?crits d'Aristote et des discours de Platon. Cet Yturri avait gard? la mani?re bouillante de ceux de son pays, lesquels ? propos de tout ne vont pas sans tumulte, dont Montesquiou le reprenait fort souvent et fort plaisamment, ? la gaiet? de tous et tout le premier d'Yturri m?me, qui s'excusait en riant sur la chaleur de la race et avait garde d'y rien changer, car cela plaisait ainsi. Il se connaissait en objets d'autrefois dont beaucoup profitaient pour l'aller voir et consulter l?-dessus, jusque dans la retraite que s'?taient ajust?e nos deux ermites et qui ?tait sise, comme j'ai dit, ? Neuilly, proche de la maison de M. le duc d'Orl?ans.

Montesquiou invitait fort peu et fort bien, tout le meilleur et le plus grand, mais pas toujours les m?mes et ? dessein, car il jouait fort au roi, avec des faveurs et des disgr?ces jusqu'? l'injustice ? en crier, mais tout cela soutenu par un m?rite si reconnu, qu'on le lui passait, mais quelques-uns pourtant fort fid?lement et fort r?guli?rement, qu'on ?tait presque toujours s?r de trouver chez lin quand il donnait un divertissement, comme la duchesse Mme de Clermont-Tonnerre de laquelle il sera parl? beaucoup plus loin, qui ?tait fille de Gramont, petite-fille du c?l?bre ministre d'?tat, soeur du duc de Guiche, qui ?tait fort tourn?, comme on l'a vu, vers la math?matique et la peinture, et Mme Greffulhe, qui ?tait Chimay, de la c?l?bre maison princi?re des comtes de Bossut. Leur nom est Hennin-Li?tard et j'en ai d?j? parl? ? propos du prince de Chimay, ? qui l'?lecteur de Bavi?re fit donner la Toison d'or par Charles II et qui devint mon gendre, gr?ce ? la duchesse Sforze, apr?s la mort de sa premi?re femme, fille du duc de Nevers. Il n'?tait pas moins attach? ? Mme de Brantes, fille de Cessac, dont il a d?j? ?t? parl? fort souvent et qui reviendra maintes fois dans le cours de ces M?moires, et aux duchesses de la Roche-Guyon et de Fezensac. J'ai suffisamment parl? de ces Montesquiou ? propos de leur plaisante chim?re de descendre de Pharamond, comme si leur antiquit? n'?tait pas assez grande et assez reconnue pour ne pas avoir besoin de la barbouiller de fables, et de l'autre ? propos du duc de la Roche-Guyon, fils a?n? du duc de La Rochefoucauld et survivancier de ses deux charges, de l'?trange pr?sent qu'il re?ut de M. le duc d'Orl?ans, de sa noblesse ? ?viter le pi?ge que lui tendit l'astucieuse sc?l?ratesse du premier pr?sident de Mesmes et du mariage de son fils avec Mlle de Toiras. On y voyait fort aussi Mme de Noailles, femme du dernier fr?re du duc d'Ayen, aujourd'hui duc de Noailles, et dont la m?re est La Fert?. Mais j'aurai l'occasion de parler d'elle plus longuement comme de la femme du plus beau g?nie po?tique qu'ait vu son temps, et qui a renouvel?, et l'on peut dire agrandi, le miracle de la c?l?bre S?vign?. On sait que ce que j'en dis est ?quit? pure, ?tant assez au su de chacun en quels termes j'en suis venu avec le duc de Noailles, neveu du cardinal et mari de Mlle d'Aubign?, ni?ce de Mme de Maintenon, et je me suis assez ?tendu en son lieu sur ses astucieuses men?es contre moi jusqu'? se faire avec Canillac avocat des conseillers d'?tat contre les gens de qualit?, son adresse ? tromper son oncle le cardinal, ? bombarder Daguesseau chancelier, ? courtiser Effiat et les Rohan, ? prodiguer les gr?ces p?cuniaires ?normes de M. le duc d'Orl?ans au comte d'Armagnac pour lui faire ?pouser sa fille, apr?s avoir manqu? pour elle le fils a?n? du duc d'Albret. Mais j'ai trop parl? de tout cela pour y revenir et de ses noirs man?ges ? l'?gard de Law et dans l'affaire des pierreries et lors de la conspiration du duc et de la duchesse du Maine. Bien diff?rent, et ? tant de g?n?rations d'ailleurs, ?tait Mathieu de Noailles, qui avait ?pous? celle dont il est question ici et que son talent a rendu fameuse. Elle ?tait la fille de Brancovan, prince r?gnant de Valachie, qu'ils nomment l?-bas Hospodar, et avait autant de beaut? que de g?nie. Sa m?re ?tait Musurus qui est le nom d'une famille tr?s noble et tr?s des premi?res de la Gr?ce, fort illustr?e par diverses ambassades nombreuses et distingu?es et par l'amiti? d'un de ces Musurus avec le c?l?bre Erasme. Montesquiou avait ?t? le premier ? parler de ses vers. Les duchesses allaient souvent ?couter les siens, ? Versailles, ? Sceaux, ? Meudon, et depuis quelques ann?es les femmes de la ville les imitent par une m?canique connue et font venir des com?diens qui les r?citent dans le dessein d'en attirer quelqu'une, dont beaucoup iraient chez le Grand Seigneur plut?t que de ne pas les applaudir. Il y avait toujours quelque r?citation dans sa maison de Neuilly, et aussi le concours tant des po?tes les plus fameux que des plus honn?tes gens et de la meilleure compagnie, et de sa part, ? chacun, et devant les objets de sa maison, une foule de propos, dans ce langage si particulier ? lui que j'ai dit, dont chacun restait ?merveill?.

Mais toute m?daille a son revers. Cet homme d'un m?rite si hors de pair, o? le brillant ne nuisait pas au profond, cet homme, qui a pu ?tre dit d?licieux, qui se faisait ?couter pendant des heures avec amusement pour les autres comme pour lui-m?me, car il riait fort de ce qu'il disait comme s'il avait ?t? ? la fois l'auteur et le parleur, et avec profit pour eux, cet homme avait un vice: il n'avait pas moins soif d'ennemis que d'amis. Insatiable des derniers, il ?tait implacable aux autres, si l'on peut ainsi dire, car ? quelques ann?es de distance, c'?tait les m?mes dont il avait cess? d'?tre engou?. Il lui fallait toujours quelqu'un, sous le pr?texte de la plus futile pique, ? d?tester, ? poursuivre, ? pers?cuter, par o? if ?tait la terreur de Versailles car il ne se contraignait en rien et de sa voix qu'il avait fort haute lan?ait devant qui ne lui revenait pas les propos les plus griefs, les plus spirituels, les plus injustes, comme quand il cria fort distinctement devant Diane de Peydan de Brou, veuve estim?e du marquis de Saint-Paul, qu'il ?tait aussi f?cheux pour le paganisme que pour le catholicisme qu'elle s'appel?t ? la fois Diane et Saint Paul. C'?tait de ses rapprochements de mots dont personne ne se fut avis? et qui faisaient trembler. Ayant pass? sa jeunesse dans le plus grand monde, son ?ge m?r parmi les po?tes, revenu ?galement des uns et des autres, il ne craignait personne et vivait dans une solitude qu'il rendait de plus en plus stricte par chaque ancien ami qu'il en chassait. Il ?tait fort de ceux de Mme Straus, fille et veuve des c?l?bres musiciens Hal?vy et Bizet, femme d'?mile Straus, avocat ? la cour des Aides, et de qui les admirables r?pliques sont dans la m?moire de tous. Sa figure ?tait rest?e charmante et aurait suffi sans son esprit ? attirer tous ceux qui se pressaient autour d'elle. C'est elle qui, une fois dans la chapelle de Versailles o? elle avait son carreau, comme M. de Noyon dont le langage ?tait toujours si outr? et si ?loign? du naturel demandait s'il ne lui semblait pas que la musique qu'on entendait ?tait octogonale, lui r?pondit: <> comme ? quelqu'un qui a prononc? avant tous une chose qui vient naturellement ? l'esprit.

On ferait un volume si l'on rapportait tout ce qui a ?t? dit par elle et qui vaut de n'?tre pas oubli?. Sa sant? avait toujours ?t? d?licate. Elle en avait profit? de bonne heure pour se dispenser des Marly, des Meudon, n'allait faire sa cour au Roi que fort rarement, o? elle ?tait toujours re?ue seule et avec une grande consid?ration. Les fruits et les eaux dont elle avait fait en tous temps un usage qui surprenait, sans liqueurs, ni chocolat, lui avaient noy? l'estomac, dont Fagon n'avait pas voulu s'apercevoir depuis qu'il diminuait. Il appelait charlatans ceux qui donnent des rem?des ou n'avaient pas ?t? re?us dans les facult?s, ? cause de quoi il chassa un Suisse qui aurait pu la gu?rir. ? la fin, comme son estomac s'?tait d?shabitu? des nourritures trop fortes, son corps du sommeil et des longues promenades, elle tourna cette fatigue en distinction. Mme la duchesse de Bourgogne la venait voir et ne voulait pas ?tre conduite au del? de la premi?re pi?ce. Elle recevait les duchesses, assise, qui la visitaient tout de m?me tant c'?tait un d?lice de l'?couter. Montesquiou ne s'en faisait pas faute; il ?tait fort aussi dans la familiarit? de Mme Standish, sa cousine, qui vint ? ce parvulo de Saint-Cloud, ?tant l'amie la plus anciennement admise en tout et dans la plus grande proximit? avec la reine d'Angleterre, la plus distingu?e par elle, o? toutes les femmes ne lui c?d?rent point le pas comme cela aurait d? ?tre et ne fut pas par l'incroyable ignorance de M. le duc d'Orl?ans, qui la crut peu de chose parce qu'elle s'appelait Standish, alors qu'elle ?tait fille d'Escars, de la maison de P?russe, petite-fille de Brissac, et une des plus grandes dames du royaume comme aussi l'une des plus belles et avait toujours v?cu dans la soci?t? la plus tray?e dont elle ?tait le supr?me ?lixir. M. le duc d'Orl?ans ignorait aussi que H. Standish ?tait fils d'une Noailles, de la branche des marquis d'Arpajon. Il fallut que M. d'Hinnisdal le lui apprit. On eut donc ? ce parvulo le scandale fort remarquable du prince Murat, sur un ployant, ? c?t? du roi d'Angleterre. Cela fit un ?trange vacarme qui retentit bien loin de Saint-Cloud. Ceux qui avaient ? coeur le bien de l'?tat en sentirent les bases sap?es; le Roi, si peu vers? dans l'histoire des naissances et des rangs, mais comprenant la fl?trissure inflig?e ? sa couronne par la faiblesse d'avoir an?anti la plus haute dignit? du royaume, attaqua de conversation l?-dessus le comte A. de La Rochefoucauld, qui l'?tait plus que personne et qui, command? de r?pondre par son ma?tre, qui ?tait aussi son ami, ne craignit pas de le faire en termes si nets et si tranchants qu'il fut entendu de tout le salon o? se jouait pourtant ? gros bruit un fort lansquenet. Il d?clara que, fort attach? ? la grandeur de sa maison, il ne croyait pas pourtant que cet attachement l'aveugl?t et lui fit rien d?rober ? quiconque, quand il trouvait qu'il ?tait--pour ne pas dire plus--un aussi grand seigneur que le prince Murat; que pourtant il avait toujours c?d? le pas au duc de Gramont et continuerait ? faire de m?me. Sur quoi le roi fit faire d?fense au prince Murat de ne prendre en nulle circonstance plus que la qualit? d'Altesse et le traversement du parquet. Le seul qui eut pu y pr?tendre ?tait Achille Murat, parce qu'il a des pr?rogatives souveraines dans la Mingr?lie qui est un ?tat avoisinant ceux du czar. Mais il ?tait aussi simple qu'il ?tait brave, et sa m?re, si connue pour ses ?crits et dont il avait h?rit? l'esprit charmant, avait bien vite compris que le solide et le r?el de sa situation ?tait moins chez ces Moscovites que dans la maison bien plus que princi?re qui ?tait la sienne, car elle ?tait la fille du duc de Rohan-Chabot.

Le prince J. Murat ploya un moment sous l'orage, le temps de passer ce f?cheux d?troit, mais il n'en fut pas davantage et on sait que maintenant, m?me ? ses cousins, les lieutenants-g?n?raux ne font point difficult?, sans aucune raison qui se puisse approfondir, de donner le Pour et le Monseigneur, et le Parlement, quand il va les complimenter, envoie ses huissiers les baguettes lev?es, ? quoi Monsieur le Prince avait eu tant de peine d'arriver, malgr? le rang de prince du sang. Ainsi tout d?cline, tout s'avilit, tout est rong? d?s le principe, dans un ?tat o? le fer rouge n'est pas port? d'abord sur les pr?tentions pour qu'elles ne puissent plus rena?tre.

Le roi d'Angleterre ?tait accompagn? de milord Derby qui jouissait ici, comme dans son pays, de beaucoup de consid?ration. Il n'avait pas au premier abord cet air de grandeur et de r?verie qui frappait tant chez B. Lytton, mort depuis, ni le singulier visage et qui ne se pouvait oublier de milord Dufferin. Mais il plaisait peut-?tre plus encore qu'eux par une fa?on d'amabilit? que n'ont point les Fran?ais et par quoi ils sont conquis. Louvois l'avait voulu presque malgr? lui aupr?s du Roi ? cause de ses capacit?s et de sa connaissance approfondie des affaires de France.

Le roi d'Angleterre ?vita de qualifier M. le duc d'Orl?ans en lui parlant, mais voulut qu'il eut un fauteuil, ? quoi il ne pr?tendait pas, mais qu'il eut garde de refuser. Les princesses du sang mang?rent au grand couvert par une gr?ce qui fit crier tr?s fort mais ne porta pas d'autre fruit. Le souper fut servi par Olivier, premier ma?tre d'h?tel du Roi. Son nom ?tait Dabescat; il ?tait respectueux, aim? de tous, et si connu ? la cour d'Angleterre que plusieurs des seigneurs qui accompagnaient le Roi le virent avec plus de plaisir que les chevaliers de Saint-Louis r?cemment promus par le R?gent et dont la figure ?tait nouvelle. Il gardait une grande fid?lit? ? la m?moire du feu Roi et allait chaque ann?e ? son service ? Saint-Denis, o?, ? la honte des courtisans oublieux, il se trouvait presque toujours seul avec moi. Je me suis arr?t? un instant sur lui, parce que par la connaissance parfaite qu'il avait de son ?tat, par sa bont?, par sa liaison avec les plus grands sans se familiariser, ni bassesse, il n'avait pas laiss? de prendre de l'importance ? Saint-Cloud et d'y faire un personnage singulier.

On vit pour la premi?re fois ? Saint-Cloud le comte de Fels, dont le nom est Frich, qui vint pour faire sa cour au roi d'Angleterre. Ces Frich, bien que sortis autrefois de la lie du peuple, sont fort glorieux. C'est ? l'un d'eux que la bonne femme Cornuel r?pondit, comme il lui faisait admirer la livr?e d'un de ses laquais et ajoutait qu'elle lui venait de son grand-p?re:<<--Eh! l?, monsieur, je ne savais pas que monsieur votre grand-p?re ?tait laquais.>> La pr?sence au parvulo du comte de Fels parut ?trange ? ceux qui s'?tonnent encore; l'absence du marquis de Castellane les surprit davantage. Il avait travaill? plus de vingt ans avec le succ?s que l'on sait au rapprochement de la France et de l'Angleterre o? il eut fait un excellent ambassadeur, et du moment que le roi d'Angleterre venait ? Saint-Cloud, son nom, illustre ? tant d'?gards, ?tait le premier qui f?t venu ? l'esprit. On vit ? ce parvulo une autre nouveaut? fort singuli?re, celle d'un prince d'Orl?ans voyageant en France incognito sous le nom tr?s ?trange d'infant d'Espagne. Je repr?sentai en vain ? M. le duc d'Orl?ans que, si grande que f?t la maison d'o? sortait ce prince, on ne concevait pas qu'on p?t appeler infant d'Espagne qui ne l'?tait pas dans son pays m?me, o? on donne seulement ce nom ? d'h?ritier de la couronne, comme on l'a vu dans la conversation que j'eus avec Guelterio lors de mon ambassade ? Madrid; bien plus que d'infant d'Espagne ? infant tout court, il n'y avait qu'un pas et que le premier servirait de chausse-pied au second. Sur quoi M. le duc d'Orl?ans se r?cria qu'on ne disait le Roi tout court que pour le Roi de France, qu'il avait ?t? ordonn? ? M. le duc de Lorraine, son oncle, de ne plus se permettre de dire le Roi de France, en parlant du Roi, faute de quoi il ne sortirait oncques de Lorraine et qu'enfin si l'on dit le Pape, sans plus, c'est que tout autre nom ne serait pour lui de nul usage. Je ne pus rien r?pliquer ? tous ces beaux raisonnements, mais je savais o? la faiblesse du r?gent le conduirait et je me licenciai ? le lui dire. On en a vu la fin et qu'il y a beau temps qu'on ne dit plus que l'infant tout court. Les envoy?s du roi d'Espagne l'all?rent chercher ? Paris et le men?rent ? Versailles, o? il fut faire sa r?v?rence au Roi qui resta enferm? avec lui durant une grande heure, puis passa dans la galerie et le pr?senta, o? tout le monde admira fort son esprit. Il visita pr?s de la maison de campagne du prince de Cellamare celle du comte et de la comtesse de Beaumont o? s'?tait d?j? rendu le roi d'Angleterre. On a dit avec raison que jamais mari et femme n'avaient ?t? faits si parfaitement l'un pour l'autre, ni pour eux leur magnifique et singuli?re demeure sise sur le chemin des Annonciades o? elle semblait les attendre depuis cent ans. Il loua la magnificence des jardins en termes parfaitement choisis et mesur?s, et de l? se rendit ? Saint-Cloud pour le parvulo, mais y scandalisa par la pr?tention insoutenable d'avoir la main sur le r?gent. La faiblesse de celui-ci fit que les discussions aboutirent ? ce mezzo--termine fort inou? que le r?gent et l'infant d'Espagne entr?rent en m?me temps, par une porte diff?rente, dans la salle o? se donnait le souper. Ainsi crut-on couvrir la main. Il y charma de nouveau tout le monde par son esprit, mais ne baisa aucune des princesses et seulement la reine d'Angleterre, ce qui surprit fort. Le Roi fut outr? d'apprendre la pr?tention de la main et que la faiblesse du r?gent lui e?t permis d'?clore. Il n'admit pas davantage le titre d'infant et d?clara que ce prince serait re?u seulement ? son rang d'anciennet?, aussit?t apr?s le duc du Maine. L'infant d'Espagne essaya d'arriver ? son but par d'autres voies. Elles ne lui r?ussirent point. Il cessa de visiter le Roi autrement que par un reste d'habitude et avec une assiduit? l?g?re. ? la fin il en essuya des d?go?ts et on ne le vit plus que rarement ? Versailles o? son absence se fit fort sentir et causa le regret qu'il n'y e?t pas port? ses tabernacles. Mais cette disgression sur les titres singuliers nous a entra?n?s trop loin de l'affaire du Moine.

M?LANGES

EN M?MOIRE DES ?GLISES ASSASSIN?ES

LES ?GLISES SAUV?ES LES CLOCHERS DE CAEN. LA CATH?DRALE DE LISIEUX

JOURN?ES EN AUTOMOBILE

Parti de... ? une heure assez avanc?e de l'apr?s-midi, je n'avais pas de temps ? perdre si je voulais arriver avant la nuit chez mes parents, ? mi-chemin ? peu pr?s entre Lisieux et Louviers. ? ma droite, ? ma gauche, devant moi, le vitrage de l'automobile, que je gardais ferm?, mettait pour ainsi dire sous verre la belle journ?e de septembre que, m?me ? l'air libre, on ne voyait qu'? travers une sorte de transparence. Du plus loin qu'elles nous apercevaient, sur la route o? elles se tenaient courb?es, de vieilles maisons bancales couraient prestement au-devant de nous en nous tendant quelques roses fra?ches ou nous montraient avec fiert? la jeune rose tr?mi?re qu'elles avaient ?lev?e et qui d?j? les d?passait de la taille. D'autres venaient, appuy?es tendrement sur un poirier que leur vieillesse aveugle avait l'illusion d'?tayer encore, et le serraient contre leur coeur meurtri o? il avait immobilis? et incrust? ? jamais l'irradiation ch?tive et passionn?e de ses branches. Bient?t, la route tourna et le talus qui la bordait sur la droite s'?tant abaiss?, la plaine de Caen apparut, sans la ville qui, comprise pourtant dans l'?tendue que j'avais sous les yeux, ne se laissait voir ni deviner, ? cause de l'?loignement. Seuls, s'?levant du niveau uniforme de la plaine et comme perdus en rase campagne, montaient vers le ciel les deux clochers de Saint ?tienne. Bient?t, nous en v?mes trois, le clocher de Saint Pierre les avait rejoints. Rapproch?s en une triple aiguille montagneuse, ils apparaissaient comme, souvent dans Turner, le monast?re ou le manoir qui donne son nom au tableau, mais qui, au milieu de l'immense paysage de ciel, de v?g?tation et d'eau, tient aussi peu de place, semble aussi ?pisodique et momentan?, que l'arc-en-ciel, la lumi?re de cinq heures du soir, et la petite paysanne qui, au premier plan, trotte sur le chemin entre ses paniers. Les minutes passaient, nous allions vite et pourtant les trois clochers ?taient toujours seuls devant nous, comme des oiseaux pos?s sur la plaine, immobiles, et qu'on distingue au soleil. Puis, l'?loignement se d?chirant comme une brume qui d?voile compl?te et dans ses d?tails une forme invisible l'instant d'avant, les tours de la Trinit? apparurent, ou plut?t une seule tour, tant elle cachait exactement l'autre derri?re elle. Mais elle s'?carta, l'autre s'avan?a et toutes deux s'align?rent. Enfin, un clocher retardataire vint, par une volte hardie, se placer en face d'elles. Maintenant, entre les clochers multipli?s, et sur la pente desquels on distinguait la lumi?re qu'? cette distance on voyait sourire, la ville, ob?issant d'en bas ? leur ?lan sans pouvoir y atteindre, d?veloppait d'aplomb et par mont?es verticales la fugue compliqu?e mais franche de ses toits. J'avais demand? au m?canicien de m'arr?ter un instant devant les clochers de Saint-?tienne; mais, me rappelant combien nous avions ?t? longs ? nous en rapprocher quand d?s le d?but ils paraissaient si pr?s, je tirais ma montre pour voir combien de minutes nous mettrions encore, quand l'automobile tourna et m'arr?ta ? leur pied. Rest?s si longtemps inapprochables ? l'effort de notre machine qui semblait patiner vainement sur la route, toujours ? la m?me distance d'eux, c'est dans les derni?res secondes seulement que la vitesse de tout le temps totalis?e devenait appr?ciable. Et, g?ants, surplombant de toute leur hauteur, ils se jet?rent si rudement au-devant de nous que nous e?mes tout juste le temps d'arr?ter pour ne pas nous heurter contre le porche.

Nous poursuiv?mes notre route; nous avions d?j? quitt? Caen depuis longtemps, et la ville, apr?s nous avoir accompagn?s quelques secondes, avait disparu, que, rest?s seuls ? l'horizon ? nous regarder fuir, les deux clochers de Saint-?tienne et le clocher de Saint Pierre agitaient encore en signe d'adieu leurs cimes ensoleill?es. Parfois, l'un s'effa?ait pour que les deux autres pussent nous apercevoir un instant encore; bient?t, je n'en vis plus que deux. Puis ils vir?rent une derni?re fois comme deux pivots d'or, et disparurent ? mes yeux. Bien souvent depuis, passant au soleil couch? dans la plaine de Caen, je les ai revus, parfois de tr?s loin et qui n'?taient que comme deux fleurs peintes sur le ciel, au-dessus de la ligne basse des champs; parfois, d'un peu plus pr?s et d?j? rattrap?s par le clocher de Saint Pierre, semblables aux trois jeunes filles d'une l?gende abandonn?es dans une solitude o? commen?ait ? tomber l'obscurit?; et tandis que je m'?loignais je les voyais timidement chercher leur chemin et, apr?s quelques gauches essais et tr?buchements maladroits de leurs nobles, silhouettes, se serrer les uns contre les autres, glisser l'un derri?re l'autre, ne plus faire sur le ciel encore rose qu'une seule forme noire d?licieuse et r?sign?e et s'effacer dans la nuit.

JOURN?ES DE P?LERINAGE

RUSKIN ? NOTRE-DAME D'AMIENS, ? ROUEN, ETC.

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