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Read Ebook: Von den Gärten der Erde: Ein Buch der tiefen Stille by Dauthendey Elisabeth

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Ebook has 347 lines and 53610 words, and 7 pages

SOUVENIRS D'UN SEXAG?NAIRE.

TOME PREMIER.

PARIS.

LIBRAIRIE DUFEY, RUE DES MARAIS-S.-G. 17.

INTRODUCTION.

Dans ce dernier sens, tous les ouvrages qui portent ce titre n'auraient pas droit de le garder, et il y a eu pis que de la vanit? aux auteurs ? le leur donner.

Qu'un des hommes port?s par un g?nie sup?rieur ? la t?te des affaires publiques ou au commandement des arm?es entretienne la post?rit? de l'art auquel il a d? son importance ou sa gloire, de l'art de commander, d'administrer ou de gouverner, il en a le droit: ce sont des secrets qu'il lui r?v?le; un franc expos? de ses principes, de ses hauts faits, de ses fautes m?me, ne peut offrir aux lecteurs que d'utiles le?ons, que de nobles exemples.

Mod?le d'?l?gance et de gr?ces quant ? la forme, et monument de dissolution quant au fond, ces M?moires sont n?anmoins de la morale la plus innocente, compar?s ? certains M?moires publi?s tout r?cemment.

C'en est un de sottes fredaines, que les M?moires de ces femmes qui, publiant dans leur confession-g?n?rale la confession de tout le monde, avouent avoir fait une sottise avec mille et un complices, ce qui fait mille et une sottises pour le compte de l'h?ro?ne. Elles croient, en publiant ces faits, n'avoir dit de mal de personne: ne m?disent-elles donc pas des gens dont elles disent du bien, par cela m?me qu'elles en parlent? En se d?shabillant, ne d?shabillent-elles pas aussi les autres? Henriette Wilson, pour la nommer, Henriette Wilson en d?vergondage, comme le comte de Tilly en d?pravation, ne rivalise-t-elle pas avec les romanciers les plus ?hont?s? L'un et l'autre se vantent d'avoir effectu? ce qui avant eux n'avait ?t? r?v? que par des cerveaux en d?lire. Quelque plaisir que de pareils M?moires puissent donner aux gens qu'ils n'instruisent pas, ne serait-il pas ? souhaiter que ces deux rudimens du vice n'eussent pas vu le jour?

Pas un sentiment qui ne me soit p?nible, mais pas un sentiment qui soit dangereux; bien plus, pas un sentiment qui ne soit utile.

Ce n'est pas sans profit pour la soci?t? que le moins honn?te de ses membres lira cette confession qui lui d?nonce des myst?res qu'autrement il n'e?t pu conna?tre qu'en s'y faisant affilier, ce proc?s-verbal d'une autopsie qui lui montre ? d?couvert les parties les plus ignobles du corps social dans l'?tat de putr?faction o? le vice les a r?duites. Le vice l? est si peu aimable, il est accompagn?, dans ses succ?s m?me, de tant de tortures, ses in?vitables cons?quences sont si ?pouvantables, qu'il n'y a pas ? craindre que les aveux de ce p?cheur repentant pervertissent personne. Je les crois, au contraire, de nature ? convertir plusieurs; je crois de plus qu'ils offrent au l?gislateur plus d'une le?on de haute morale: une courte analyse suffit pour le prouver.

Le h?ros de cette histoire ?tait incontestablement un mauvais sujet; ses penchans le faisaient tel; mais il n'?tait que cela: la justice des hommes a pens? en faire un sc?l?rat. Il n'?tait d?tenu que pour un de ces d?lits qui ne sont passibles que de peines correctionnelles, quand, sur une accusation calomnieuse, ? laquelle certaines circonstances donnaient un caract?re de vraisemblance, il fut condamn? ? une peine infamante, les travaux forc?s.

Trait? d?s lors comme les sc?l?rats auxquels il est encha?n?, que d'efforts ne lui faut-il pas faire pour ne pas devenir semblable ? eux? Il ne peut recouvrer sa libert? qu'en se faisant aider par eux, et ne peut se faire aider par eux sans contracter l'engagement tacite de les aider dans leurs plus ex?crables projets.

Dans quelle affreuse d?pendance cette n?cessit? ne le jette-t-elle pas! C'est pour vivre en honn?te homme qu'il s'est ?chapp?; c'est pour reprendre leur vie de sc?l?rats que ceux-ci s'?chappent. Plac?, par son ?vasion, entre les atroces exigences de ces supp?ts du crime et l'impitoyable surveillance des supp?ts de la justice, que de peines il lui faut prendre pour se sauver des uns et des autres! Sa vie se consume entre ces deux terreurs; et, malgr? la probit? avec laquelle il exerce successivement plusieurs m?tiers, il n'a v?ritablement que l'existence d'un brigand, parce qu'un jugement injuste, mais irr?vocable, lui a imprim? le sceau de la r?probation.

Il me semble que ce tableau des mis?res o? Vidocq a ?t? entra?n? par son inconduite, loin de rien offrir d'immoral, doit provoquer aux r?flexions les plus salutaires des hommes dont les principes ne seraient pas encore d?termin?s.

De plus, ces M?moires donnent sur le r?gime des prisons et des bagnes des renseignemens de la plus haute importance. On n'y verra pas sans trembler ? quel degr? les surveillans de ces inf?mes ateliers poussent l'insouciance. Occup?s uniquement de deux int?r?ts, tout ce qui ne tend pas ? favoriser l'?vasion de leurs prisonniers, ou ? augmenter les odieux profits qu'ils font sur ces mis?rables, n'est pour eux qu'un objet d'indiff?rence; ce que font les for?ats dans leur cha?ne, pourvu qu'ils ne les brisent pas, ne leur importe en rien. Aussi, loin d'?tre des maisons de correction ou d'amendement, ces maisons ne sont-elles que des ?coles normales en mati?re de crime, ?coles de perfectionnement o?, pour la plupart, les pervers qu'on y plonge ach?vent de se d?praver.

Un criminaliste trouvera dans ces M?moires plus d'un sujet de grave m?ditation: loin d'en croire la publication dangereuse, je la tiens donc pour utile, pour salutaire m?me.

Moins odieuse, mais non moins vicieuse, la Phryn? moderne a quelque analogie avec la Madeleine, mais non pas avec la Madeleine p?nitente: elle est moins tourment?e du regret d'avoir commis tant de p?ch?s que du regret de n'en pouvoir plus commettre, foute de complices; anath?me aussi ? son livre, mais indulgence pour celui de Vidocq. Les regrets de la Madeleine m'?difient peu; mais je ne suis pas moins sensible que Dieu aux remords du bon larron.

En g?n?ral, les M?moires dont on se fait l'objet sont plut?t un sujet de vaine curiosit? que d'utile instruction pour le public, parce qu'il est rare qu'ils soient ?crits de bonne foi, et que l'auteur ait l'importance qu'il s'attribue.

Mais lorsque l'histoire de l'historien se trouve li?e ? celle d'un homme qui, par sa position et par son caract?re, a jou? un grand r?le dans le monde, d'un homme qui, tel que Fr?d?ric, Voltaire ou Napol?on, a exerc? sur les destin?es humaines une influence qui se perp?tue apr?s sa mort, c'est chose diff?rente. Recommandable par l'objet, sinon par l'?crivain, ces M?moires-l? m?ritent d'occuper l'attention de quiconque tient ? ne prononcer sur les grands hommes qu'en connaissance de cause, qu'apr?s avoir recueilli toutes les d?positions et lu toutes les pi?ces relatives au proc?s qui s'instruit ? l'occasion de leur apoth?ose, qu'apr?s avoir entendu l'avocat du diable comme celui du saint.

Cela explique l'int?r?t qu'ont excit? tous les M?moires relatifs ? Napol?on, et particuli?rement ceux de M. le duc de Rovigo, de M. de Bourrienne et de M. Constant; l'un ministre, l'autre secr?taire, et le dernier valet de chambre de cet homme prodigieux.

Ces ?crivains ont v?cu tous les trois dans l'intimit? du grand homme, mais chacun d'eux lui porte des sentimens diff?rens: le duc de Rovigo l'admire; M. de Bourrienne l'abhorre; M. Constant l'adore. Que de renseignemens curieux ne doivent pas renfermer des ?crits dict?s par des int?r?ts si divers ? des hommes qui ont vu le m?me homme de si pr?s, et l'ont envisag? sous des rapports si dissemblables!

?crits sans art, mais non pas sans talent, ?crits avec la pointe d'une ?p?e, les M?moires du ministre de Napol?on sont une histoire compl?te de la vie politique et priv?e de ce prince, depuis sa campagne d'?gypte jusqu'? son d?part pour Sainte-H?l?ne. Il est difficile, en les lisant, de ne pas partager le sentiment qui r?gne dans ce livre, parce que ce sentiment y est continuellement justifi? par l'exposition des principes qui dirig?rent Napol?on, et par les intentions qui l'ont jet? dans celles m?me des entreprises que la fortune s'est plue ? r?prouver, parce qu'il y est d?montr? que ces projets, qu'on attribuait ? une ambition insatiable, n'?taient v?ritablement que la cons?quence des positions p?rilleuses o? la politique anglaise avait l'art de replacer son irr?conciliable ennemi ? l'instant m?me o? il venait d'y ?chapper, et que c'est toujours ? son corps d?fendant qu'il a repris les armes que les coalitions n'ont jamais pos?es que pour se m?nager le temps de se refaire de leurs fatigues, de r?unir de nouvelles ressources, de r?parer leurs d?faites et de tenter de nouveau la fortune dont ils esp?raient lasser la rigueur.

Ces observations sont applicables aux causes qui amen?rent les deux guerres avec l'Autriche, et la guerre avec la Prusse ainsi que l'occupation de l'Espagne, et l'exp?dition de Russie, dans lesquelles Napol?on fut engag? presque malgr? lui.

Entr? dans la diplomatie ? cette ?poque, M. de Bourrienne se trouvait dans une position plus heureuse que son camarade le lieutenant d'artillerie. La fortune les classait, sans contredit alors, en raison de leur m?rite; il faut voir avec quelle complaisance il le fait sentir. Mais ce bel ordre ne se maintint pas long-temps. Apr?s le si?ge de Toulon, il fut interverti. Devenu capitaine, le lieutenant, franchissant ? pas de g?ant les grades interm?diaires, fut fait g?n?ral, et le secr?taire de l?gation, inscrit sur la liste des ?migr?s, se vit arr?t? d?s le premier pas dans la carri?re ouverte ? sa vaste capacit?. Cette injustice du sort alt?ra sensiblement l'humeur de M. de Bourrienne, et aussi sa tendresse pour son intime ami, qui pourtant n'en pouvait mais.

Cependant cet intime ami avait ?t? nomm? au commandement de l'arm?e d'Italie; la prosp?rit? ne l'enivra pas. L'empressement et l'obstination qu'il mit ? appeler pr?s de lui son ancien camarade, dont il obtint ou plut?t dont il exigea la radiation, est remarquable; on y reconna?t toute la chaleur d'une affection de jeunesse.

Il s'en faut de beaucoup qu'elle se retrouve dans le sentiment avec lequel l'?migr? radi? rend compte de ce fait. On croirait, ? la mani?re dont il en parle, que c'est contre son gr? qu'il recouvra une patrie par les soins du condisciple qui l'associait ? sa haute fortune en l'admettant dans son cabinet.

Souhaitons que M. de Bourrienne fasse un jour dans son propre int?r?t ce qu'il a fait dans celui de Napol?on, et qu'il r?fute par des d?monstrations les reproches qu'on lui adresse et auxquels il n'oppose que des d?n?gations.

Loin d'?tre d'un ennemi, les r?v?lations du valet de chambre sont de l'ami le plus d?vou? et donnent du ma?tre l'id?e la plus favorable. Elles d?montrent que personne n'?tait plus traitable dans son int?rieur, plus doux avec ses gens que l'homme qui fut si terrible aux rois; que si sa t?te ?tait ouverte ? toutes les ambitions, son coeur n'?tait ferm? ? aucune affection tendre, et qu'il ?tait accessible aux sentimens d'humanit? qui semblent le plus incompatibles avec les habitudes de la politique.

Cette histoire de la vie int?rieure de Napol?on est compl?te, trop compl?te peut-?tre. On y voit que la galanterie ?tait un d?lassement pour cet empereur, comme pour tant de personnages qui l'ont pr?c?d? sur le tr?ne, et qu'en faiblesses m?me, il ne lui manquait rien de ce que nous divinisions dans nos rois. Mais s'il ressemble aux plus grands d'entre eux sous ce rapport, du moins est-il un point sous lequel il en diff?re: c'est qu'il ne tirait pas vanit? de ses faiblesses, c'est qu'il n'appelait pas l'attention publique sur ce que le public devait ignorer, c'est qu'il respectait assez la morale pour tenir secret ce dont la morale pouvait s'offenser, c'est qu'il ne pr?tendait pas obliger le peuple ? honorer les femmes qu'il e?t d?shonor?es par cette injurieuse exigence.

Son confident ne l'a pas tout-?-fait imit? dans sa r?serve. Mais encore ne fait-il qu'entr'ouvrir le rideau de l'alc?ve imp?riale; et s'il ne se tait pas sur les faits, se tait-il toujours sur les noms. Cela est louable ? une ?poque o? tant de chroniqueurs sp?culent sur le scandale, o? les r?putations sont continuellement sacrifi?es ? de vils int?r?ts de librairie, o? tant de faiseurs de M?moires exploitent surtout la diffamation, ingr?dient non moins favorable au succ?s d'un livre que le fumier ? la fertilit? d'un champ, et s'emparant de l'honneur des gens, de leur vivant m?me, en usent avec eux comme ces apprentis de Saint-C?me avec le chien vivant qu'ils soumettent au tranchant du scalpel.

Napol?on, sans ?tre l'objet sp?cial de ce livre, y r?gne donc, mais comme dans le si?cle qui conservera son nom il y r?gne entour? des hommes qui ont coop?r? ? sa grandeur, et dont la grandeur est son ouvrage. Il est peu de ces hommes-l? que je n'aie connus avant leur ?l?vation, et avec qui je n'aie ?t? sur le pied de l'?galit? la plus parfaite, ?galit? qui, depuis, a cess? avec plusieurs, mais non pourtant avec tous. Quelques uns, et je le dis ? leur honneur, se sont obstin?s ? ne voir qu'un camarade dans celui que la fortune a moins favorablement trait? qu'eux, et ? qui ses forces, son insouciance, ou les circonstances, n'ont pas permis de grimper comme eux jusqu'au fa?te du m?t de cocagne, au pied duquel il est retomb?, apr?s s'?tre ? peine ?lev? ? la hauteur o? peut parvenir un homme de lettres qui, hors le moment du danger, ne fut gu?re que cela.

Il faut le dire toutefois, c'est moins l'histoire des ?v?nemens qu'on trouvera dans ce livre que celle de l'influence qu'ils ont exerc?e sur la soci?t?, que celle des modifications si singuli?res et si contradictoires qu'ont ?prouv?es les habitudes fran?aises par suite des vicissitudes auxquelles notre organisation sociale a ?t? soumise pendant les diverses phases de la r?volution. Personne peut-?tre n'a ?t? plus ? m?me que moi d'en juger. Plac? dans la classe mitoyenne, je n'?tais ni assez au-dessous de la classe sup?rieure, ni assez au-dessus de la classe inf?rieure, pour ne pas voir ce qui se passait dans l'une et dans l'autre.

Homme de lettres par go?t, homme politique par circonstance, mais homme du monde plus que tout autre chose, c'est moins l'histoire des lois que celle des moeurs, moins l'histoire de l'?tat que celle de la soci?t?, que j'?cris.

Cette histoire, trop souvent d?daign?e des historiographes, c'est aux hommes du monde ? la recueillir. C'est dans les registres o?, sous la dict?e du hasard, s'inscrivent les faits ? mesure qu'ils se produisent, se consignent les opinions ? mesure qu'elles se manifestent, c'est dans ces proc?s-verbaux de chaque journ?e qu'on doit la trouver.

En r?sum?, ce n'est pas tout-?-fait mon histoire que je donne ici, mais ce n'est pas non plus uniquement l'histoire des autres; c'est quelque chose de tout cela; c'est ce dont je me souviens de moi et des autres.

Quand ma vie s'est trouv?e en contact avec celle de quelque personnage c?l?bre ? quelque titre que ce soit, ou avec quelque ?v?nement m?morable, quelle qu'en soit la nature, je n'h?site pas ? tout raconter; l'importance des hommes ou celle des faits suppl?e alors ? la mienne. C'est d'eux que je parle ? propos de moi. En tout autre cas, je ne crois pas pouvoir ?tre assez sobre de d?tails. Je ne suis pas un h?ros d'histoire.

Je ne me pr?vaudrai ni de l'exemple de Jean-Jacques, qui pousse quelquefois la sinc?rit? jusqu'au cynisme, ni de celui de Marmontel, qui, dans un livre d?di? ? ses enfans, porte dans ses aveux la fatuit? presque aussi loin que le chevalier de Faublas. Je ne livrerai, en fait de secrets, que ceux qui sont ? moi sans partage; si je n'ai pas la pr?tention d'?tre un h?ros d'histoire, je n'ai pas non plus celle d'?tre un h?ros de roman.

Si les agitations auxquelles ma destin?e a ?t? livr?e, et qui m'ont conduit soit en Angleterre, soit en Italie, soit en Espagne, soit en Hollande, se reproduisent dans ce livre, on y trouvera du mouvement et de la vari?t?: qu'alors on n'ait pas regret ? l'int?r?t qu'il obtiendrait; ce serait celui qu'on ne peut refuser ? des sentimens vrais et ? des r?cits v?ridiques.

Cela dit, j'entre en mati?re.

LIVRE PREMIER.

CHAPITRE PREMIER.

Je n'avais que dix ans quand il mourut. Je crois le voir encore: sa physionomie, son maintien, les habitudes de son corps, l'expression de son visage, le son de sa voix m?me, tout cela m'est pr?sent, comme si nous ne nous ?tions quitt?s que d'hier.

Aimable, spirituel, actif, entreprenant et ambitieux, il ?tait fait pour arriver ? tout, s'il e?t v?cu ?ge d'homme. Il avait ? peine trente-six ans quand il fut enlev? par une fluxion de poitrine.

Son p?re ?tait mort au m?me ?ge de la m?me maladie. Je ne suis pas superstitieux. Ce rapprochement me revenait pourtant malgr? moi dans l'esprit quand je me trouvai dans cette fatale ann?e.

Un fait qui ne s'est jamais effac? non plus de ma m?moire, et que des r?ves ont repr?sent? plus d'une fois ? mon imagination, date de la m?me ?poque. Une vieille voisine qui m'aimait beaucoup, et se plaisait ? me faire partager ses plaisirs, apr?s m'avoir plusieurs fois r?gal? des marionnettes, me mena un jour, ? l'insu de mes parens, comme de raison, voir une ex?cution ? la place de Gr?ve. Elle avait lou? ? cet effet une fen?tre d'o? l'on pouvait jouir tout ? l'aise de cet autre spectacle. Le patient souffrit moins que moi: on eut beau me dire que c'?tait un ex?crable sc?l?rat, je ne vis en lui qu'un homme qu'on assassinait, et que des assassins dans les hommes qui le tuaient. Effroyable impression! l'?chafaud sur lequel il monta soutenu par un pr?tre, la croix sur laquelle on l'?tendit, la barre dont on lui brisa les os, la roue autour de laquelle on plia ses membres rompus; je vois encore tout cela, et ce n'est pas sans frissonner. De l? cette irritabilit? nerveuse qui, apr?s plus de soixante ans, n'est pas encore calm?e en moi; de l? aussi mon horreur pour la peine de mort qui, pour la plupart des cas o? on l'applique, me para?t un acte d'atroce pu?rilit?.

Ce sentiment est celui qui, dans mon enfance, a exerc? sur moi la plus grande influence. Je me rappelle qu'alors je saluais avec un ?gal empressement les soldats et les pr?tres: l'uniforme et la soutane me faisaient trembler.

J'avais alors quatre ans. Mes souvenirs remontent plus haut encore. Je me rappelle assez nettement certains faits qui se rapportent au temps o? j'?tais en nourrice, d'o? je ne fus retir?, ? la v?rit?, qu'? l'?ge de trois ans. On pense bien qu'on n'avait pas attendu l'?poque de mon rappel pour me sevrer. Comme le paysan ? qui l'on m'avait confi? ?tait vigneron, quoiqu'il habit?t en Normandie, et qu'il y avait toujours dans son cellier un tonneau en perce, je ne cessai pas de t?ter apr?s le sevrage, et j'allais prendre au robinet ce que le sein ne me fournissait plus. Boire ainsi me plaisait assez; mais ce qui me plaisait davantage, c'?tait de boire dans la belle tasse d'argent dont mon Sil?ne se servait pour d?guster et faire d?guster son vin; rarement, toutefois, je buvais la tasse enti?re, si petite qu'elle f?t. Plus curieux et plus d?vot que gourmand, je la renversais presque toujours pour admirer et pour baiser un saint Nicolas qui ?tait grav? ? son revers, et que je prenais pour le bon Dieu; ? trois ans, j'?tais aussi avanc? qu'un Russe l'est ? trente.

L'abb? Louchart ainsi se nommait celui dont il avait fait choix, m?ritait sa confiance sous tous les rapports; il ?tait instruit et poss?dait l'art d'instruire. Quoique doux, il ne manquait pas de fermet?; il n'?tait pas avare de ses soins. Il s'en faut de beaucoup pourtant que j'aie fait des progr?s avec lui. Entour? de distractions, d?pourvu d'?mulation, j'avais pris l'?tude, que j'aimais peu, dans un d?go?t invincible. Quand mon p?re ?tait pr?sent, je travaillais, mais mal; quand il ?tait absent, je ne travaillais pas du tout, et, fatigu? de mon oisivet?, je faisais enrager, pour me d?sennuyer, M. l'abb?; car tout pr?cepteur portant alors le petit collet et le manteau, c'?tait la livr?e de la condition, prenait le titre d'abb?. Apr?s six mois d'essai, ma m?re fut oblig?e de consentir ? ce qu'on me men?t au coll?ge.

Mais dans quel coll?ge? Mon p?re avait ?t? ?lev? chez les j?suites et leur conservait quelque affection. ? leur d?faut, il voulait me confier aux b?n?dictins, et me placer ? l'?cole de Pontlevois. Effray?e de la distance, ma m?re proposa Juilly, coll?ge dirig? par les oratoriens. Mon p?re fit preuve d'une grande tendresse pour elle, en condescendant ? ses d?sirs, et en confiant mon ?ducation aux antagonistes des j?suites. Le baiser qu'il me donna en me remettant aux mains de ces bons p?res fut celui d'un adieu qui devait ?tre ?ternel. Un mois apr?s il n'existait plus.

C'est le 16 f?vrier 1776 que j'entrai dans cette maison c?l?bre; c'est le 16 mars que je perdis mon p?re. Sa mort m'affligea profond?ment; je l'ai long-temps pleur?e. Le dommage qu'elle apportait ? notre fortune ?tait consid?rable; mais c'est le seul que je n'appr?ciais pas.

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