Read Ebook: Von den Gärten der Erde: Ein Buch der tiefen Stille by Dauthendey Elisabeth
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Ebook has 347 lines and 53610 words, and 7 pages
C'est le 16 f?vrier 1776 que j'entrai dans cette maison c?l?bre; c'est le 16 mars que je perdis mon p?re. Sa mort m'affligea profond?ment; je l'ai long-temps pleur?e. Le dommage qu'elle apportait ? notre fortune ?tait consid?rable; mais c'est le seul que je n'appr?ciais pas.
Mon p?re se plaisait ? jaser avec moi. Nos conversations n'ont pas ?t? sans r?sultat pour mon esprit; elles y ont jet? la semence de plusieurs go?ts qui ne m'ont pas encore quitt?, tel surtout que celui des lettres et de la po?sie. C'est lui qui le premier m'a parl? de Voltaire, et le premier qui, en m'en parlant, l'a qualifi? du nom de grand homme.
Juilly.--Des oratoriens qui dirigeaient ce coll?ge.--Le P. Petit, le P. Viel, le P. Dotteville, le P. Mandar, le P. Prioleau, le P. Bailly, le P. Gaillard, le P. Fouch? , le P. Billaud , et autres.
Le coll?ge de Juilly, o? l'on ne recevait que des pensionnaires, se composait ? cette ?poque de trois cent soixante et quelques ?l?ves, que surveillaient, dirigeaient et instruisaient une trentaine d'oratoriens. Pendant sept ans et demi que j'y suis rest?, cette population s'est renouvel?e plus d'une fois en totalit?. Je m'y suis trouv? ainsi en rapport avec un millier de personnes au moins. Comme il en est un certain nombre parmi elles qui depuis ont jou? des r?les importans dans le monde, les d?tails qui les concernent ne sont pas ?trangers ? l'histoire: je ne crains donc pas d'y entrer.
? la t?te de la maison ?tait, avec le titre de sup?rieur, le P. Petit. Administrateur habile, directeur prudent, esprit sans pr?jug?s, sans illusions, plus philosophe qu'il ne le croyait peut-?tre, indulgent et malin tout ? la fois, il conduisait avec des bons mots cette grande maison, o? il maintint pendant trente ans un ordre admirable, et r?unissant ? l'autorit? qu'il tenait de sa place celle que donne une raison sup?rieure, il exer?ait sur les instituteurs, comme sur les ?l?ves, la moins violente, mais la plus r?elle des dictatures. ?conome de cette autorit?, il n'entrait en communication avec les uns et avec les autres que dans les circonstances les plus graves, quelquefois comme conciliateur, quelquefois aussi comme juge; et comme ses arr?ts, exprim?s dans les formes les plus piquantes, se gravaient par cela m?me dans la m?moire de tous, il en r?sultait que les uns se gardaient des abus de pouvoir aussi soigneusement que les autres d'exc?s d'insubordination. Religieux, mais non fanatique, il n'oubliait pas qu'il ?tait directeur d'un pensionnat et non d'un s?minaire, et que les enfans qu'on lui confiait devaient vivre dans le monde; aussi tenait-il surtout ? ce qu'on en f?t d'honn?tes gens; c'?tait son mot. Le fait suivant le peindra mieux que tout ce que je pourrais ajouter.
Nous allions ? confesse une fois tous les mois, ce qui ne nous d?plaisait pas, parce que le temps de la confession ?tait pris sur celui de l'?tude, et que cela nous donnant l'occasion de polissonner tant en allant chercher l'absolution qu'apr?s l'avoir re?ue, la confession ?quivalait pour nous ? une r?cr?ation. Un des p?nitens du P. Petit s'accuse d'avoir vol?. < Le bien d'autrui tu ne prendras Ni retiendras ? ton escient. Qu'avez-vous vol?, des livres, du papier, des plumes?--Non, mon p?re.--Je vous crois; paresseux comme vous l'?tes, que feriez-vous de cela? C'est donc quelque friandise? J'entends: deux p?ch?s pour un, celui de gourmandise et celui de larcin.--Mon p?re, j'ai vol? un oiseau.--Un oiseau! le fait est moins grave; mais encore est-ce un p?ch?. Et de quelle esp?ce ?tait cet oiseau? de quelle grosseur? gros comme quoi? comme un pierrot?--Plus gros, mon p?re.--Comme un sansonnet?--Plus gros, mon p?re.--Comme un dindon?--Pas si gros, mon p?re.--Plus gros, pas si gros; qu'est-ce donc?>> Pendant ce singulier interrogatoire, un coq se met ? chanter. < Il ?tait dans la poche du p?nitent qui, pour se rendre au confessionnal, avait pass? par la basse-cour, et, chemin faisant, escamot? un poulet. Comme il ?tait d'un naturel timor?, ce p?cheur s'accusait de son vol pour en avoir l'absolution, et pouvoir s'en r?galer ensuite en s?ret? de conscience: c'?tait assez bien calculer; mais le chant du coq g?ta tout. < Encore un trait de lui. Pour exciter l'?mulation, on avait form? de l'?lite des ?coliers de seconde et de rh?torique une petite soci?t? litt?raire, qui prenait le nom d'acad?mie, et, tout consid?r?, en valait bien une autre. Dans ses s?ances publiques, car elle tenait aussi des s?ances publiques, les professeurs faisaient quelquefois lire de petits ouvrages qu'eux-m?mes avaient compos?s, et qui ne valaient pas toujours ceux des ?l?ves. Une lettre dans laquelle je rendais compte ? un de mes amis qui ?tait sorti du coll?ge, d'une de ces s?ances, et o? des vers d'un professeur ?taient assez vivement et assez justement critiqu?s, fut renvoy?e ? Juilly par l'administration de la poste, qui n'avait pu d?couvrir le nouveau domicile de mon correspondant, et remise au P?re sup?rieur. Deux traits donneront une id?e pr?cise de son caract?re. Un de ces sujets qui mettent leur amour-propre ? se distinguer par des sottises, avait fait le pari de lui cracher au nez, au nez du grand pr?fet! En effet, au moment o? ce redoutable surveillant inspectait la division dont ce polisson faisait partie, il gagne la gageure. Grand scandale! quel ch?timent peut expier un tel outrage? Les plus rigoureux, les plus ignominieux, la prison, le fouet, l'expulsion, paraissent insuffisans. Cependant le P. Viel, s'essuyant avec sang-froid, s'avance vers le coupable qui le bravait de ses regards: < L'autre fait me concerne; il eut lieu quelques mois avant ma sortie de Juilly. Un de mes intimes amis, qui tournait les vers avec facilit?, avait compos? un triolet ?pigrammatique contre notre commun pr?fet dont, par parenth?se, je n'avais pas trop ? me louer. Un de nos camarades aussi croyait avoir ? s'en plaindre; mais comme il avait plus d'humeur que d'esprit, recourant, pour se venger, ? l'esprit d'autrui, il copia le triolet en lettres majuscules, et l'afficha dans la cour du coll?ge au-dessous de la fontaine o?, ? l'heure du d?jeuner, tous les ?l?ves venaient s'abreuver d'une eau plus claire que fra?che. Tous l'avaient lu quand, averti par l'empressement des curieux group?s autour de ce placard, le pr?fet vint le d?tacher; il le porte aussit?t chez le grand pr?fet pour avoir justice du chansonnier anonyme. Les soup?ons se promen?rent sur tout le monde, except? sur l'auteur de cette injurieuse publication, lequel ?tait reconnu incapable, non pas de penser, mais de r?diger des sottises, m?me en prose. On proc?de ? une enqu?te. Comme on me savait brouill? avec l'offens?, et que j'?tais r?put? po?te, je fus mand? chez le juge d'instruction. < Apr?s vingt ans d'absence, le P. Viel, qui s'?tait r?fugi? en Am?rique ? l'?poque de la r?volution, est revenu en France, o? il fut accueilli par Salverte l'a?n?, qu'il aimait comme un fils, et dont il ?tait aim? comme un p?re. Il passa deux ou trois ans ? Paris au milieu de ses anciens ?l?ves; mais, sentant ses forces s'affaiblir, c'est ? Juilly, o? plusieurs oratoriens avaient r?tabli un pensionnat, qu'il voulut finir ses jours. Cette maison, qui avait ?t? son berceau, fut son tombeau. Il y est mort ?g? de plus de quatre-vingts ans. J'?tudiai l? sous plusieurs hommes distingu?s. Un P. Petit, homonyme et non parent du p?re sup?rieur, fut mon r?gent de rh?torique. Anim? d'un double enthousiasme, celui du patriotisme et celui de la po?sie, il nous faisait faire tout ? la fois un cours de politique et un cours de litt?rature, et nous entretenait autant de la guerre d'Am?rique et des exploits de Washington et de Lafayette que des odes d'Horace et des oraisons de Cic?ron. Il nous apprenait ? ?tre citoyens tout en nous enseignant l'art de bien dire. En sortant de l'Oratoire, entr? dans la carri?re du barreau, il a long-temps exerc? les fonctions de procureur imp?rial aupr?s de la Cour d'Amiens. Il me fit exercer les dispositions qu'un P. Bernardi, homme de go?t et d'esprit, mon professeur de seconde, avait cru me trouver pour la po?sie. Je ne sais si je leur ai en cela grande obligation; mais j'en ai sans doute une grande au P. Bouvron, sous lequel j'ai fait mes quatre premi?res classes. Ce professeur, qui se f?t certainement distingu? dans la carri?re de l'enseignement, s'il n'e?t ?t? enlev? par une mort pr?coce, avait invent? un moyen aussi simple qu'ing?nieux pour nous enseigner simultan?ment l'histoire et le latin; il tirait de Florus, de Paterculus ou de Tite-Live les sujets de nos versions, et de Rollin ou de Vertot nos sujets de th?mes, et nous fit faire ainsi, dans l'espace de quatre ans, un cours complet d'histoire romaine. C'est lui qui, apr?s le r?gne de la terreur, acheta la maison de Juilly, et y r?tablit le coll?ge, o? il employa tous ceux de ses anciens confr?res qu'il put rassembler. C'?tait aussi un homme recommandable sous plus d'un rapport que le P. Mandar, qui succ?da au P. Petit, apr?s mon d?part, dans les fonctions de sup?rieur. Il avait l'esprit orn?, tournait assez facilement les vers fran?ais, et improvisait avec assez d'?l?gance une exhortation. C'?tait le po?te et le sermonaire du coll?ge, o? il passait tout ? la fois pour un Gresset et pour un Massillon; mais malheureusement manquait-il de la qualit? la plus importante pour sa place, le jugement. Il voulut faire mieux que son devancier, et fit tr?s-mal. Prodigue autant que l'autre ?tait ?conome, fanatique autant que l'autre ?tait tol?rant, il mit le d?sordre dans les affaires de la maison par ses embellissemens, et la r?volte dans le pensionnat par ses r?formes; si bien que, par suite de ses perfectionnemens, Juilly inclinait vers sa ruine quand la r?volution l'abattit du coup qui d?truisit toute instruction en France. Ces divers personnages, quel que f?t leur m?rite, ne sont gu?re connus que de ceux qui ont habit? Juilly, ou de ceux qui s'adonnent aux lettres ou se vouent ? l'enseignement. Il en est autrement des quatre oratoriens dont je vais parler, et qui, jet?s par le mouvement r?volutionnaire dans les affaires publiques, sont pass?s presque imm?diatement du gouvernement d'une ?cole ? celui de l'?tat. Quoique leur importance dans la premi?re de leur condition n'ait pas fait pr?sager celle qu'ils re?urent de la derni?re, ils ont droit ? une mention, m?me dans ce chapitre de l'histoire de Juilly. Le P. Bailly n'avait pas vingt-quatre ans quand je me suis trouv? sous sa f?rule; il ?tait pr?fet des ?tudes, et d?s lors il se faisait aimer de ses ?l?ves, par les qualit?s qui depuis lui ont concili? l'affection de ses administr?s quand il fut pr?fet de l'empire, et surtout par cette mod?ration qui suffit au maintien de l'ordre, quand elle est associ?e ? la fermet?. Je n'ai pas ?t? ?tonn? du r?le qu'il a jou? ? la Convention, o? il faisait partie de cette faction d'honn?tes gens que les d?cemvirs n'ont pu ni diviser ni corrompre, et ? laquelle la totalit? des l?gislateurs s'est r?unie le jour o?, dans leur effroi, ils ont senti la n?cessit? d'agir contre les tyrans que cette faction n'avait pas cess? d'inqui?ter par son immobilit?. Fouch?, de la Convention nationale, offre la m?me disparate avec Fouch? de l'Oratoire de J?sus. ? Juilly, o? il professait les math?matiques, le P. Fouch? n'a montr? que cette indiff?rence qui m?me au fa?te du pouvoir semblait former le trait caract?ristique de sa physionomie morale. Capable de faire tout le mal qui pouvait lui ?tre utile, mais n'ayant pas alors d'int?r?t ? en faire, il passait l? pour bonhomme, et cela se con?oit. Il n'avait avec les ?l?ves que des rapports agr?ables. L'?tude des sciences exactes n'y ?tant pas obligatoire, et le r?gent qui les professait n'ayant affaire cons?quemment qu'? des ?coliers de bonne volont?, et dont la raison ?tait d?j? form?e, le P. Fouch? n'avait jamais occasion de se montrer terrible, et trouvait souvent occasion d'?tre agr?able. De plus, comme il s'occupait beaucoup de physique et qu'il faisait souvent des exp?riences publiques, les ?coliers lui savaient autant de gr? de ce qu'il entreprenait pour sa propre utilit? que s'il l'e?t entrepris pour leur seul amusement. C'est des sciences qu'il attendait alors la c?l?brit? qu'il obtint depuis par des moyens moins innocens! En s'embarquant dans un a?rostat, ? Nantes, il prouva que m?me sous la robe des B?ruliens, il ne manquait ni d'ambition ni d'audace. Celle-ci lui r?ussit mal. Les anciens de la congr?gation ayant d?couvert que le P. Billaud avait fait pr?senter une trag?die ? M. Larive, com?dien ordinaire du roi, lequel M. Larive avait refus? d'en ?tre le parrain, ils d?cid?rent qu'un go?t aussi profane ?tait incompatible avec la saintet? de leur institut, et signifi?rent ? ce po?te malencontreux qu'il e?t ? d?pouiller leur saint habit et ? se retirer; ce qu'il fit. Les globes de savon ne sont plus de notre ?ge. En changeant de ballon, nous changeons de plaisirs. S'il portait ? LOUIS notre premier hommage, Les vents le souffleraient au gr? de nos d?sirs. Dix ans apr?s, le po?te et le physicien se montr?rent moins gracieux envers le monarque. Le P. Billaud, qui a commenc? sa carri?re en ?levant des enfans, l'a finie, dit-on, en instruisant des perroquets. Pl?t ? Dieu que dans l'intervalle il ne se f?t pas m?l? de r?genter les hommes! Je ne terminerai pas ce chapitre sans donner un souvenir ? quelques autres oratoriens moins c?l?bres mais aussi estimables au moins que ces deux derniers. Tel ?tait le P. Alhoi, t?te ? la fois philosophique et po?tique, esprit ?galement aimable et grave, qui rempla?a avec succ?s l'abb? de l'?p?e ? l'?cole des sourds et muets pendant l'absence de l'abb? Sicard, et composa sur les hospices, ? l'administration desquels il avait si?g?, un po?me recommandable par les notions dont il abonde et par le talent avec lequel elles sont exprim?es. Tel ?tait le P. Ogier, qui m'a donn? par pure affection des le?ons de botanique, science dont l'?tude a fait si souvent le charme de mes promenades, science ? laquelle depuis cinquante ans je dois chaque ann?e un plaisir nouveau, car tous les printemps je la rapprends et je l'oublie tous les hivers: c'est toujours ? recommencer. Parlerai-je d'un P. Herbert, l'homme le plus nul que j'aie rencontr?? pourquoi non? il peut ?tre l'occasion de quelque remarque utile. Si j'ai un peu de propension pour la raillerie, lui seul en a provoqu? les premiers d?veloppemens. Comme beaucoup de sots, il abusait de sa position pour mortifier ses inf?rieurs, et se d?dommageait sur eux des sarcasmes que ses ?gaux ne lui ?pargnaient gu?re. Je ne sais en quoi j'avais eu le malheur de lui d?plaire; mais pendant toute la dur?e de mon enfance, j'avais ?t? l'objet de ses attaques; il ne me rencontrait pas, qu'il n'e?t quelque mot d?sagr?able ? me dire. Pauvre enfant, je supportais cette injustice avec r?signation, persuad? que la sup?riorit? d'esprit accompagnait n?cessairement la sup?riorit? d'?ge. Mon esprit cependant et ma raison se formaient: d?couvrant enfin que cet homme s'arrogeait sur moi un droit que rien ne justifiait en lui, et que c'?tait avec le pied d'un ?ne qu'il me portait gratuitement tant d'atteintes, je finis par lui riposter avec la patte du chat. Quoiqu'il en e?t d?j? senti la griffe, il essaya un certain jour de me d?concerter. M'interpellant au milieu de mes camarades comme je me promenais pendant la r?cr?ation dans la cour des jeux: < Mais je ne m'en tins pas l?. Charg? de faire aux ?trangers les honneurs de la maison , comme il n'avait pour tout m?rite que celui de d?ner deux fois, je l'affublai pour ?pigraphe de ce vers d'Horace: Ce trait l'att?ra: il me l'a d'autant moins pardonn?, qu'il n'a pas pu s'en venger. Terminons ce chapitre par le r?cit du d?sappointement qu'il ?prouva ? cette occasion. Ce que j'avais fait pour le P. Herbert, je l'avais fait pour tous les membres de la communaut?. ? leurs noms j'avais cousu des traits tir?s des auteurs sacr?s ou des auteurs profanes, des po?tes ou des proph?tes, traits qui les caract?risaient assez bien. Le cahier o? ces jugemens ?taient consign?s me fut d?rob?, ? l'aide de fausses cl?s, par un surveillant qui, pendant notre absence visitait quelquefois nos papiers. Grand scandale; me voil? d?f?r? ? la communaut? enti?re; me voil? justiciable de ceux dont j'avais fait justice. Le proc?s s'instruit ? mon insu, dans une assembl?e g?n?rale, un soir, apr?s le coucher des ?l?ves. On lit le cahier qui contenait le corps du d?lit: les gens maltrait?s, et particuli?rement le P. Herbert, demandent que justice soit faite. Toutes les ?pigraphes cependant n'?taient pas des ?pigrammes. Une partie des juges de qui je n'avais pas ? me plaindre n'avait qu'? se louer de moi; ils s'?taient assez amus?s des traits dont s'irritaient leurs confr?res; et le P. Petit, ? l'esprit narquois, en avait ri plus d'une fois dans sa barbe. Le P. Herbert opinant pour mon expulsion: < Cet avis pr?valut. Les huit ann?es les moins heureuses de ma vie. J'entends r?p?ter tous les jours que les ann?es pass?es au coll?ge sont nos plus heureuses ann?es. Je ne l'ai pas ?prouv?, j'ai m?me ?prouv? le contraire. Je n'?tais pas mauvais ?colier; je remplissais mes devoirs avec ponctualit?, et m?me avec quelque distinction; j'ai obtenu plus d'une fois des r?compenses; je n'ai jamais subi de punitions honteuses; mais, pendant huit ans, j'ai craint d'en subir. N'est-ce pas avoir subi huit ans de supplice? Ces huit ans m'ont fait conna?tre le sentiment qui domine partout o? r?gne l'arbitraire. L? o? il n'y a pas de bornes pour l'autorit?, il n'y a pas de s?curit? m?me pour l'ob?issance. Ce qui satisferait la raison ne satisfait pas toujours le caprice. Or, tous nos sup?rieurs n'?taient pas exempts de caprice. De plus, quelques uns d'entre eux, cherchant ? obtenir par une s?v?rit? exag?r?e la consid?ration que ne commandait pas leur extr?me jeunesse, se complaisaient ? appesantir le joug sur les malheureux enfans soumis ? leur surveillance. Parodiant les consuls romains, ces cuistres croyaient quelquefois utile de d?cimer les l?gions pour raffermir la discipline. Ainsi, ce qu'il n'aurait pas eu ? redouter de la justice, le meilleur sujet pouvait le recevoir du hasard. Ce syst?me avait souvent un effet oppos? ? celui qu'on voulait obtenir. Il occasionna de mon temps plusieurs r?voltes, r?voltes partielles, mais qui, par cela m?me qu'elles se renferm?rent toujours dans la division o? cette imprudente rigueur avait ?t? mise en pratique, en d?montr?rent le vice. Pour l'intelligence de ce chapitre, il est n?cessaire de conna?tre l'organisation de la maison de Juilly; en deux mots la voici: Les fonctions de pr?fet ?taient confi?es d'ordinaire ? des novices qui, peu de temps avant, ?taient encore soumis ? la f?rule dont on les armait. De l? les inconv?niens dont j'ai parl? plus haut. La derni?re eut lieu en 1782, au commencement de d?cembre, en l'absence du P. Viel. Elle fut provoqu?e par le despotisme d'un pr?fet de vingt ans qui, s'essayant dans l'autorit?, se fit mettre ? la porte de chez lui par ses ?l?ves, comme ces jeunes fous qui, maniant un cheval pour la premi?re fois, se font jeter par terre pour l'avoir fatigu? du mors et taquin? de l'?peron, sans autre but que de lui faire sentir la pr?sence d'un ma?tre. Lira-t-on avec quelque int?r?t, apr?s les r?volutions qui se sont accomplies sous nos yeux, le r?cit d'une insurrection de coll?ge? Pourquoi non? ? l'?ge pr?s, les h?ros de ces diverses r?voltes se ressemblent assez. Les enfans sont de petits hommes, si les hommes ne sont pas de grands enfans. Ma?tres de la place, les rebelles barricadent la porte et se mettent en ?tat de soutenir un si?ge. En vain le suppl?ant du grand pr?fet, en vain le P. sup?rieur lui-m?me les somment-ils ou les prient-ils d'ouvrir; les refus les plus ?nergiquement articul?s sont les seules r?ponses qu'ils obtiennent. Il est plus facile, m?me dans un coll?ge, de pr?venir une r?volte que de la r?primer. Quand une fois la multitude est sortie des bornes du devoir, ce ne sont plus des consid?rations morales qui l'y font rentrer; le respect, l'amour lui-m?me y perdent leur puissance; elle n'est plus susceptible d'ob?ir qu'? des int?r?ts physiques. J'eus lieu en cette circonstance de faire, ? l'occasion d'une r?volte d'?coliers, cette observation dont tant de r?voltes d'hommes faits m'ont depuis d?montr? la justesse. Quels que soient les individus dont elle se forme, la multitude ob?it toujours aux m?mes principes. Le souffle d'un marmot produit dans un verre d'eau les m?mes effets que celui de l'ouragan sur l'Oc?an. Cette r?volte partielle pensa cette fois s'?tendre ? la chambre des grands dont je faisais partie, et l'embrasement alors pouvait gagner tout le coll?ge. Voici ? quelle occasion. Avec l'aide du menuisier, on avait tent? de p?n?trer dans la place en brisant la porte; mais, reconnaissant qu'on n'y pourrait pas entrer sans courir risque d'?tre ?cras? par la calotte du po?le, calotte de fonte qui ?tait suspendue au-dessus de la porte, la communaut? s'arr?tant au parti tr?s-sage de r?duire les rebelles par la fatigue et par la faim, avait chang? le si?ge en blocus. On d?fendit en cons?quence ? qui que ce f?t de leur fournir des vivres. Or, j'avais dans la place un fr?re avec qui j'avais ?t? ?lev? et dont je n'ai ?t? s?par? que par la mort; nous nous aimions tendrement. Je ne pris pourtant pas parti dans la r?volte o? il s'?tait jet? comme ses camarades; mais, au premier avis que j'en eus, je me mis en observation, et le matin, comme il avait faim, ce qui ?tait assez naturel apr?s une nuit pass?e sans sommeil, dans une si grande agitation, je courus lui porter, non seulement mon d?jeuner, mais celui d'une partie de mes camarades que leur g?n?rosit? mit ? ma disposition, plusieurs d'entre eux ayant si ce n'est un fr?re, un ami dans la chambre insurg?e. En s?vissant contre nous, ainsi que le grand pr?fet int?rimaire le voulait, on nous e?t infailliblement jet?s dans la r?volte; heureusement la prudence du P. Petit emp?cha-t-elle cette faute. < Les sacrifices faits par les grands, qui n'?taient gu?re que trente, n'?taient pas proportionn?s d'ailleurs aux besoins d'une soixantaine d'affam?s: ceux-ci furent donc oblig?s d'entrer en composition. On dressa une capitulation, qui ressemblait fort ? celle que trente-trois ans apr?s les puissances alli?es souscrivirent ? Saint-Cloud: on y garantissait aux insurg?s une amnistie g?n?rale; mais, comme apr?s la capitulation de Saint-Cloud, les assi?geants ne furent pas plus t?t ma?tres de la place, qu'ils viol?rent leurs engagements. D?s lors je con?us ce que c'?tait que la politique; je vis qu'elle n'?tait pas toujours d'accord avec la morale qu'on nous prescrivait si ?loquemment de respecter ? l'?gal de la religion. Rentr? dans sa capitale par la br?che, le pr?fet se conduisit comme depuis s'est conduit plus d'un prince. Le trait? fut lac?r? et foul? aux pieds; il ne fut plus question que de vengeances: on d?signa les sujets sur lesquels elles devaient tomber, et mon pauvre fr?re, qui n'avait ni plus ni moins de tort que les autres, fut port? sur la liste des proscrits. La force des choses me fit encore intervenir dans les affaires de cette chambre, qui devenaient les miennes. R?clamant contre la rigueur du pr?fet restaur?: < Un mauvais civet qui nous parut excellent, un lit d?testable o? nous dorm?mes ? merveille, nous co?t?rent vingt-quatre sous. Il m'en restait cinquante-six pour fournir ? notre commune d?pense jusqu'? Saint-Germain-en-Laye, o? nous comptions trouver un asile chez notre oncle: c'?tait plus qu'il ne nous en fallait. Le lendemain, avant le jour, nous nous rem?mes en route, ?vitant toujours de passer dans les villages o? notre signalement devait avoir ?t? envoy?. Suivant notre chemin, tant?t ? pied, tant?t sur des charrettes; mangeant quand la faim nous prenait, mais entrant plus souvent chez le p?tissier que chez le boulanger, et consommant plus de brioches que de pain, ? midi nous arriv?mes ? Paris, que nous travers?mes sans nous arr?ter; ? six heures, nous ?tions ? Saint-Germain. Grand d?sappointement! pas d'oncle ? Saint-Germain! Il ?tait chez ma m?re, ? quatre grandes lieues de cette ville, dans une maison de campagne qu'elle avait ? Nauphle-le-Vieil, ou le Vieux. Deux vieilles d?votes, propri?taires de la maison o? mon oncle occupait un appartement, et auxquelles nous nous pr?sent?mes, nous voyant crott?s de la t?te aux pieds, ne pens?rent qu'? une chose: c'est que le lendemain, f?te de la Vierge, elles ne pourraient pas nous mener ? la grand'messe en si piteux ?quipage. Sans plus s'embarrasser de la longue marche que nous avions faite que de celle qui nous restait ? faire, elles d?cid?rent donc que nous continuerions notre voyage. On nous trouva un guide, vieux soldat, qui portait encore son nom de guerre et s'appelait Berg-op-Zoom: il se chargea de nous conduire ? Nauphle par le plus court. Je ne sais s'il tint parole; mais je sais qu'apr?s cinq heures de marche par des chemins affreux, accabl?s de fatigue, mourant de faim, rebut?s de ferme en ferme, o? l'on n'avait voulu nous vendre ni nous donner du pain, parce qu'on nous prenait pour des voleurs, nous arriv?mes enfin, ? une heure apr?s minuit, ? la maison maternelle, o? nous entr?mes par la fen?tre.
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