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Read Ebook: L'Assommoir by Zola Mile

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Ebook has 2134 lines and 160561 words, and 43 pages

Edition: 10

LES ROUGON-MACQUART

HISTOIRE NATURELLE ET SOCIALE D'UNE FAMILLE SOUS LE SECOND EMPIRE

L'ASSOMMOIR

PAR

?MILE ZOLA

PR?FACE

Je ne me d?fends pas, d'ailleurs. Mon oeuvre me d?fendra. C'est une oeuvre de v?rit?, le premier roman sur le peuple, qui ne mente pas et qui ait l'odeur du peuple. Et il ne faut point conclure que le peuple tout entier est mauvais, car mes personnages ne sont pas mauvais, ils ne sont qu'ignorants et g?t?s par le milieu de rude besogne et de mis?re o? ils vivent. Seulement, il faudrait lire mes romans, les comprendre, voir nettement leur ensemble, avant de porter les jugements tout faits, grotesques et odieux, qui circulent sur ma personne et sur mes oeuvres. Ah! si l'on savait combien mes amis s'?gayent de la l?gende stup?fiante dont on amuse la foule! Si l'on savait combien le buveur de sang, le romancier f?roce, est un digne bourgeois, un homme d'?tude et d'art, vivant sagement dans son coin, et dont l'unique ambition est de laisser une oeuvre aussi large et aussi vivante qu'il pourra! Je ne d?mens aucun conte, je travaille, je m'en remets au temps et ? la bonne foi publique pour me d?couvrir enfin sous l'amas des sottises entass?es.

?MILE ZOLA.

Paris, 1er janvier 1877.

L'ASSOMMOIR

Quand Gervaise s'?veilla, vers cinq heures, raidie, les reins bris?s, elle ?clata en sanglots. Lantier n'?tait pas rentr?. Pour la premi?re fois, il d?couchait. Elle resta assise au bord du lit, sous le lambeau de perse d?teinte qui tombait de la fl?che attach?e au plafond par une ficelle. Et, lentement, de ses yeux voil?s de larmes, elle faisait le tour de la mis?rable chambre garnie, meubl?e d'une commode de noyer dont un tiroir manquait, de trois chaises de paille et d'une petite table graisseuse, sur laquelle tra?nait un pot ? eau ?br?ch?. On avait ajout?, pour les enfants, un lit de fer qui barrait la commode et emplissait les deux tiers de la pi?ce. La malle de Gervaise et de Lantier, grande ouverte dans un coin, montrait ses flancs vides, un vieux chapeau d'homme tout au fond, enfoui sous des chemises et des chaussettes sales; tandis que, le long des murs, sur le dossier des meubles, pendaient un ch?le trou?, un pantalon mang? par la boue, les derni?res nippes dont les marchands d'habits ne voulaient pas. Au milieu de la chemin?e, entre deux flambeaux de zinc d?pareill?s, il y avait un paquet de reconnaissances du Mont-de-Pi?t?, d'un ros? tendre. C'?tait la belle chambre de l'h?tel, la chambre du premier, qui donnait sur le boulevard.

Cependant, couch?s c?te ? c?te sur le m?me oreiller, les deux enfants dormaient. Claude, qui avait huit ans, ses petites mains rejet?es hors de la couverture, respirait d'une haleine lente, tandis qu'?tienne, ?g? de quatre ans seulement, souriait, un bras pass? au cou de son fr?re. Lorsque le regard noy? de leur m?re s'arr?ta sur eux, elle eut une nouvelle crise de sanglots, elle tamponna un mouchoir sur sa bouche, pour ?touffer les l?gers cris qui lui ?chappaient. Et, pieds nus, sans songer ? remettre ses savates tomb?es, elle retourna s'accouder ? la fen?tre, elle reprit son attente de la nuit, interrogeant les trottoirs, au loin.

Une voix jeune et gaie lui fit quitter la fen?tre.

-- Le bourgeois n'est donc pas l?, madame Lantier?

-- Mais non, monsieur Coupeau, r?pondit-elle en t?chant de sourire.

C'?tait un ouvrier zingueur qui occupait, tout en haut de l'h?tel, un cabinet de dix francs. Il avait son sac pass? ? l'?paule. Ayant trouv? la clef sur la porte, il ?tait entr?, en ami.

-- Vous savez, continua-t-il, maintenant, je travaille l?, ? l'h?pital... Hein! quel joli mois de mai! ?a pique dur, ce matin.

Et il regardait le visage de Gervaise, rougi par les larmes. Quand il vit que le lit n'?tait pas d?fait, il hocha doucement la t?te; puis, il vint jusqu'? la couchette des enfants qui dormaient toujours avec leurs mines roses de ch?rubins; et, baissant la voix:

-- Allons! le bourgeois n'est pas sage, n'est-ce pas?... Ne vous d?solez pas, madame Lantier. Il s'occupe beaucoup de politique; l'autre jour, quand on a vot? pour Eug?ne Sue, un bon, para?t-il, il ?tait comme un fou. Peut-?tre bien qu'il a pass? la nuit avec des amis ? dire du mal de cette crapule de Bonaparte.

-- Non, non, murmura-t-elle avec effort, ce n'est pas ce que vous croyez. Je sais o? est Lantier... Nous avons nos chagrins comme tout le monde, mon Dieu!

Coupeau cligna les yeux, pour montrer qu'il n'?tait pas dupe de ce mensonge. Et il partit, apr?s lui avoir offert d'aller chercher son lait, si elle ne voulait pas sortir: elle ?tait une belle et brave femme, elle pouvait compter sur lui, le jour o? elle serait dans la peine. Gervaise, d?s qu'il se fut ?loign?, se remit ? la fen?tre.

A la barri?re, le pi?tinement de troupeau continuait, dans le froid du matin. On reconnaissait les serruriers ? leurs bourgerons bleus, les ma?ons ? leurs cottes blanches, les peintres ? leurs paletots, sous lesquels de longues blouses passaient. Cette foule, de loin, gardait un effacement pl?treux, un ton neutre, o? dominaient le bleu d?teint et le gris sale. Par moments, un ouvrier s'arr?tait, rallumait sa pipe, tandis qu'autour de lui les autres marchaient toujours, sans un rire, sans une parole dite ? un camarade, les joues terreuses, la face tendue vers Paris, qui, un ? un, les d?vorait, par la rue b?ante du Faubourg-Poissonni?re. Cependant, aux deux coins de la rue des Poissonniers, ? la porte des deux marchands de vin qui enlevaient leurs volets, des hommes ralentissaient le pas; et, avant d'entrer, ils restaient au bord du trottoir, avec des regards obliques sur Paris, les bras mous, d?j? gagn?s ? une journ?e de fl?ne. Devant les comptoirs, d?s groupes s'offraient des tourn?es, s'oubliaient l?, debout, emplissant les salles, crachant, toussant, s'?claircissant la gorg? ? coups de petits verres.

Gervaise guettait, ? gauche de la rue, la salle du p?re Colombe, o? elle pensait avoir vu Lantier, lorsqu'une grosse femme, nu-t?te, en tablier, l'interpella du milieu de la chauss?e.

-- Dites donc, madame Lantier, vous ?tes bien matinale!

Gervaise se pencha.

-- Tiens! c'est vous, madame Boche!.... Oh! j'ai un tas de besogne, aujourd'hui!

-- Oui, n'est-ce pas? les choses ne se font pas toutes seules.

-- Monsieur Lantier est donc encore couch?? demanda-t-elle brusquement.

-- Oui, il dort, r?pondit Gervaise, qui ne put s'emp?cher de rougir.

Madame Boche vit les larmes lui remonter aux yeux; et, satisfaite sans doute, elle s'?loignait en traitant les hommes de sacr?s fain?ants, lorsqu'elle revint, pour crier:

-- C'est ce matin que vous allez au lavoir, n'est-ce pas?... J'ai quelque chose ? laver, je vous garderai une place ? c?t? de moi. et nous causerons.

Puis, comme prise d'une subite piti?:

-- Ma pauvre petite, vous feriez bien mieux de ne pas rester l?, vous prendrez du mal... Vous ?tes violette.

Gervaise s'ent?ta encore ? la fen?tre pendant deux mortelles heures, jusqu'? huit heures. Les boutiques s'?taient ouvertes. Le flot de blouses descendant des hauteurs avait cess?; et seuls quelques retardataires franchissaient la barri?re ? grandes enjamb?es. Chez les marchands de vin, les m?mes hommes, debout, continuaient ? boire, ? tousser et ? cracher. Aux ouvriers avaient succ?d? les ouvri?res, les brunisseuses, les modistes, les fleuristes, se serrant dans leurs minces v?tements, trottant le long des boulevards ext?rieurs; elles allaient par bandes de trois ou quatre, causaient vivement, avec de l?gers rires et des regards luisants jet?s autour d'elles; de loin en loin, une, toute seule, maigre, l'air p?le et s?rieux, suivait le mur de l'octroi, en ?vitant les coul?es d'ordures. Puis, les employ?s ?taient pass?s, soufflant dans leurs doigts, mangeant leur pain d'un sou en marchant; des jeunes gens efflanqu?s, aux habits trop courts, aux yeux battus, tout brouill?s de sommeil; de petits vieux qui roulaient sur leurs pieds, la face bl?me, us?e par les longues heures du bureau, regardant leur montre pour r?gler leur marche ? quelques secondes pr?s. Et les boulevards avaient pris leur paix du matin; les rentiers du voisinage se promenaient au soleil; les m?res, en cheveux, en jupes sales, ber?aient dans leurs bras des enfants au maillot, qu'elles changeaient sur les bancs; toute une marmaille mal mouch?e, d?braill?e, se bousculait, se tra?nait par terre, au milieu de piaulements, de rires et de pleurs. Alors, Gervaise se sentit ?touffer, saisie d'un vertige d'angoisse, ? bout d'espoir; il lui semblait que tout ?tait fini, que les temps ?taient finis, que Lantier ne rentrerait plus jamais. Elle allait, les regards perdus, des vieux abattoirs noirs de leur massacre et de leur puanteur, ? l'h?pital neuf, blafard, montrant, par les trous encore b?ants de ses rang?es de fen?tres, des salles nues o? la mort devait faucher. En face d'elle, derri?re le mur de l'octroi, le ciel ?clatant, le lever de soleil qui grandissait au-dessus du r?veil ?norme de Paris, l'?blouissait.

La jeune femme ?tait assise sur une chaise, les mains abandonn?es, ne pleurant plus, lorsque Lantier entra tranquillement.

-- C'est toi! c'est toi! cria-t-elle, en voulant se jeter ? son cou.

-- Oui, c'est moi, apr?s? r?pondit-il. Tu ne vas pas commencer tes b?tises, peut-?tre!

Il l'avait ?cart?e. Puis, d'un geste de mauvaise humeur, il lan?a ? la vol?e son chapeau de feutre noir sur la commode. C'?tait un gar?on de vingt-six ans, petit, tr?s-brun, d'une jolie figure, avec de minces moustaches, qu'il frisait toujours d'un mouvement machinal de la main. Il portait une cotte d'ouvrier, une vieille redingote tach?e qu'il pin?ait ? la taille, et avait, en parlant un accent proven?al tr?s-prononc?.

Gervaise, retomb?e sur la chaise, se plaignait doucement, par courtes phrases.

-- Je n'ai pas pu fermer l'oeil... Je croyais qu'on t'avait donn? un mauvais coup... O? es-tu all?? o? as-tu pass? la nuit? Mon Dieu! ne recommence pas, je deviendrais folle... Dis, Auguste, o? es-tu all??

-- O? j'avais affaire, parbleu! dit-il avec un haussement d'?paules. J'?tais ? huit heures ? la Glaci?re, chez cet ami qui doit monter une fabrique de chapeaux. Je me suis attard?. Alors, j'ai pr?f?r? coucher... Puis, tu sais, je n'aime pas qu'on me moucharde. Fiche-moi la paix!

La jeune femme se remit ? sangloter. Les ?clats de voix, les mouvements brusques de Lantier, qui culbutait les chaises, venaient de r?veiller les enfants. Ils se dress?rent sur leur s?ant, demi-nus, d?brouillant leurs cheveux de leurs petites mains; et, entendant pleurer leur m?re, ils pouss?rent des cris terribles, pleurant eux aussi de leurs yeux ? peine ouverts.

-- Ah! voil? la musique! s'?cria Lantier furieux. Je vous avertis, je reprends la porte, moi! Et je file pour tout de bon, cette fois... Vous ne voulez pas vous taire? Bonsoir! je retourne d'o? je viens.

Il avait d?j? repris son chapeau sur la commode. Mais Gervaise se pr?cipita, balbutiant:

-- Non, non!

Et elle ?touffa les larmes des petits sous des caresses. Elle baisait leurs cheveux, elle les recouchait avec des paroles tendres. Les petits, calm?s tout d'un coup, riant sur l'oreiller, s'amus?rent ? se pincer. Cependant, le p?re, sans m?me retirer ses bottes, s'?tait jet? sur le lit, l'air ?reint?, la face marbr?e par une nuit blanche. Il ne s'endormit pas, il resta les yeux grands ouverts, ? faire le tour de la chambre.

-- C'est propre, ici! murmura-t-il.

Puis, apr?s avoir regard? un instant Gervaise, il ajouta m?chamment:

-- Tu ne te d?barbouilles donc plus?

Gervaise n'avait que vingt-deux ans. Elle ?tait grande, un peu mince, avec des traits fins, d?j? tir?s par les rudesses de sa vie. D?peign?e, en savates, grelottant sous sa camisole blanche o? les meubles avaient laiss? de leur poussi?re et de leur graisse, elle semblait vieillie de dix ans par les heures d'angoisse et de larmes qu'elle venait de passer. Le mot de Lantier la fit sortir de son attitude peureuse et r?sign?e.

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