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Read Ebook: L'Assommoir by Zola Mile

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Ebook has 2134 lines and 160561 words, and 43 pages

Gervaise n'avait que vingt-deux ans. Elle ?tait grande, un peu mince, avec des traits fins, d?j? tir?s par les rudesses de sa vie. D?peign?e, en savates, grelottant sous sa camisole blanche o? les meubles avaient laiss? de leur poussi?re et de leur graisse, elle semblait vieillie de dix ans par les heures d'angoisse et de larmes qu'elle venait de passer. Le mot de Lantier la fit sortir de son attitude peureuse et r?sign?e.

-- Tu n'es pas juste, dit-elle en s'animant. Tu sais bien que je fais tout ce que je peux. Ce n'est pas ma faute, si nous sommes tomb?s ici... Je voudrais te voir, avec les deux enfants, dans une pi?ce o? il n'y a pas m?me un fourneau pour avoir de l'eau chaude... Il fallait, en arrivant ? Paris, au lieu de manger ton argent, nous ?tablir tout de suite, comme tu l'avais promis.

-- Dis donc! cria-t-il, tu as croqu? le magot avec moi; ?a ne te va pas, aujourd'hui, de cracher sur les bons morceaux!

Mais elle ne parut pas l'entendre, elle continua:

-- Enfin, avec du courage, on pourra encore s'en tirer... J'ai vu, hier soir, madame Fauconnier, la blanchisseuse de la rue Neuve; elle me prendra lundi. Si tu te mets avec ton ami de la Glaci?re, nous reviendrons sur l'eau avant six mois, le temps de nous nipper et de louer un trou quelque part, o? nous serons chez nous... Oh! il faudra travailler, travailler...

Lantier se tourna vers la ruelle, d'un air d'ennui. Gervaise alors s'emporta.

-- Oui, c'est ?a, on sait que l'amour du travail ne t'?touffe gu?re. Tu cr?ves d'ambition, tu voudrais ?tre habill? comme un monsieur et promener des catins en jupes de soie. N'est-ce pas? tu ne me trouves plus assez bien, depuis que tu m'as fait mettre toutes mes robes au Mont-de-Pi?t?... Tiens! Auguste, je ne voulais pas t'en parler, j'aurais attendu encore, mais je sais o? tu as pass? la nuit; je t'ai vu entrer au Grand-Balcon avec cette tra?n?e d'Ad?le. Ah! tu les choisis bien! Elle est propre, celle-l?! elle a raison de prendre des airs de princesse... Elle a couch? avec tout le restaurant.

D'un saut, Lantier se jeta ? bas du lit. Ses yeux ?taient devenus d'un noir d'encre dans son visage bl?me. Chez ce petit homme, la col?re soufflait une temp?te.

-- Oui, oui, avec tout le restaurant! r?p?ta la jeune femme. Madame Boche va leur donner cong?, ? elle et ? sa grande bringue de soeur, parce qu'il y a toujours une queue d'hommes dans l'escalier.

Lantier leva les deux poings; puis, r?sistant au besoin de la battre, il lui saisit les bras, la secoua violemment, l'envoya tomber sur le lit des enfants, qui se mirent de nouveau ? crier. Et il se recoucha, en b?gayant, de l'air farouche d'un homme qui prend une r?solution devant laquelle il h?sitait encore:

-- Tu ne sais pas ce que tu viens de faire, Gervaise... Tu as eu tort, tu verras.

Pendant un instant, les enfants sanglot?rent. Leur m?re, rest?e ploy?e au bord du lit, les tenait dans une m?me ?treinte; et elle r?p?tait cette phrase, ? vingt reprises, d'une voix monotone:

-- Ah! si vous n'?tiez pas l?, mes pauvres petits!... Si vous n'?tiez pas l?!... Si vous n'?tiez pas l?!...

Tranquillement allong?, les yeux lev?s au-dessus de lui, sur le lambeau de perse d?teinte, Lantier n'?coutait plus, s'enfon?ait dans une id?e fixe. Il resta ainsi pr?s d'une heure, sans c?der au sommeil, malgr? la fatigue qui appesantissait ses paupi?res. Quand il se retourna, s'appuyant sur le coude, la face dure et d?termin?e, Gervaise achevait de ranger la chambre. Elle faisait le lit des enfants, qu'elle venait de lever et d'habiller. Il la regarda donner un coup de balai, essuyer les meubles; la pi?ce restait noire, lamentable, avec son plafond fumeux, son papier d?coll? par l'humidit?, ses trois chaises et sa commode ?clop?es, o? la crasse s'ent?tait et s'?talait sous le torchon. Puis, pendant qu'elle se lavait ? grande eau, apr?s avoir rattach? ses cheveux, devant le petit miroir rond, pendu ? l'espagnolette, qui lui servait pour se raser, il parut examiner ses bras nus, son cou nu, tout le nu qu'elle montrait, comme si des comparaisons s'?tablissaient dans son esprit. Et il eut une moue des l?vres. Gervaise boitait de la jambe droite; mais on ne s'en apercevait gu?re que les jours de fatigue, quand elle s'abandonnait, les hanches bris?es. Ce matin-l?, rompue par sa nuit, elle tra?nait sa jambe, elle s'appuyait aux murs.

Le silence r?gnait, ils n'avaient plus ?chang? une parole. Lui, semblait attendre. Elle, rongeant sa douleur, s'effor?ant d'avoir un visage indiff?rent, se h?tait. Comme elle faisait un paquet du linge sale jet? dans un coin, derri?re la malle, il ouvrit enfin les l?vres, il demanda:

-- Qu'est-ce que tu fais?... O? vas-tu?

Elle ne r?pondit pas d'abord. Puis, lorsqu'il r?p?ta sa question, furieusement, elle se d?cida.

-- Tu le vois bien, peut-?tre... Je vais laver tout ?a... Les enfants ne peuvent pas vivre dans la crotte.

Il lui laissa ramasser deux ou trois mouchoirs. Et, au bout d'un nouveau silence, il reprit:

-- Est-ce que tu as de l'argent?

Du coup, elle se releva, le regarda en face, sans l?cher les chemises sales des petits qu'elle tenait ? la main.

-- De l'argent! o? veux-tu donc que je l'aie vol??...

Tu sais bien que j'ai eu trois francs avant-hier sur ma jupe noire. Nous avons d?jeun? deux fois l?-dessus, et l'on va vite, avec la charcuterie... Non, sans doute, je n'ai pas d'argent. J'ai quatre sous pour le lavoir... Je n'en gagne pas comme certaines femmes.

Il ne s'arr?ta pas ? cette allusion. Il ?tait descendu du lit, il passait en revue les quelques loques pendues autour de la chambre. Enfin il d?crocha le pantalon et le ch?le, ouvrit la commode, ajouta au paquet une camisole et deux chemises de femme; puis, jetant le tout sur les bras de Gervaise:

-- Tiens, porte ?a au clou.

-- Tu ne veux pas que je porte aussi les enfants? demanda-t-elle. Hein! si l'on pr?tait sur les enfants, ce serait un fameux d?barras!

Elle alla au Mont-de-Pi?t?, pourtant. Quand elle revint, au bout d'une demi-heure, elle posa une pi?ce de cent sous sur la chemin?e, en joignant la reconnaissance aux autres, entre les deux flambeaux.

-- Voil? ce qu'ils m'ont donn?, dit-elle. Je voulais six francs, mais il n'y a pas eu moyen. Oh! ils ne se ruineront pas... Et l'on trouve toujours un monde, l? dedans!

Lantier ne prit pas tout de suite la pi?ce de cent sous. Il aurait voulu qu'elle fit de la monnaie, pour lui laisser quelque chose. Mais il se d?cida ? la glisser dans la poche de son gilet, quand il vit, sur la commode, un reste de jambon dans un papier, avec un bout de pain.

-- Je ne suis point all?e chez la laiti?re, parce que nous lui devons huit jours, expliqua Gervaise. Mais je reviendrai de bonne heure, tu descendras chercher du pain et des c?telettes pan?es, pendant que je ne serai pas l?, et nous d?jeunerons... Monte aussi un litre de vin.

Il ne dit pas non. La paix semblait se faire. La jeune femme achevait de mettre en paquet le linge sale. Mais quand elle voulut prendre les chemises et les chaussettes de Lantier au fond de la malle, il lui cria de laisser ?a.

-- Laisse mon linge, entends-tu! Je ne veux pas!

-- Qu'est-ce que tu ne veux pas? demanda-t-elle en se redressant. Tu ne comptes pas, sans doute, remettre ces pourritures? Il faut bien les laver.

Et elle l'examinait, inqui?te, retrouvant sur son visage de joli gar?on la m?me duret?, comme si rien, d?sormais, ne devait le fl?chir. Il se f?cha, lui arracha des mains le linge qu'il rejeta dans la malle.

-- Tonnerre de Dieu! ob?is-moi donc une fois! Quand je te dis que je ne veux pas!

-- Mais pourquoi? reprit-elle, p?lissante, effleur?e d'un soup?on terrible. Tu n'as pas besoin de tes chemises maintenant, tu ne vas pas partir... Qu'est-ce que ?a peut te faire que je les emporte?

Il h?sita un instant, g?n? par les yeux ardents qu'elle fixait sur lui.

-- Pourquoi? pourquoi? b?gayait-il... Parbleu! tu vas dire partout que tu m'entretiens, que tu laves, que tu raccommodes. Eh bien! ?a m'emb?te, la! Fais tes affaires, je ferai les miennes... Les blanchisseuses ne travaillent pas pour les chiens.

Elle le supplia, se d?fendit de s'?tre jamais plainte; mais il ferma la malle brutalement, s'assit dessus, lui cria: Non! dans la figure. Il ?tait bien le ma?tre de ce qui lui appartenait! Puis, pour ?chapper aux regards dont elle le poursuivait, il retourna s'?tendre sur le lit, en disant qu'il avait sommeil, et qu'elle ne lui cass?t pas la t?te davantage. Cette fois, en effet, il parut s'endormir.

Gervaise resta un moment ind?cise. Elle ?tait tent?e de repousser du pied le paquet de linge, de s'asseoir l?, ? coudre. La respiration r?guli?re de Lantier finit par la rassurer. Elle prit la boule de bleu et le morceau de savon qui lui restaient de son dernier savonnage; et, s'approchant des petits qui jouaient tranquillement avec de vieux bouchons, devant la fen?tre, elle les baisa, en leur disant ? voix basse:

-- Soyez bien sages, ne faites pas de bruit. Papa dort.

Quand elle quitta la chambre, les rires adoucis de Claude et d'?tienne sonnaient seuls dans le grand silence, sous le plafond noir. Il ?tait dix heures. Une raie de soleil entrait par la fen?tre entr'ouverte.

Sur le boulevard, Gervaise tourna ? gauche et suivit la rue Neuve de la Goutte-d'Or. En passant devant la boutique de madame Fauconnier, elle salua d'un petit signe de t?te. Le lavoir ?tait situ? vers le milieu de la rue, ? l'endroit o? le pav? commen?ait ? monter. Au-dessus d'un b?timent plat, trois ?normes r?servoirs d'eau, des cylindres de zinc fortement boulonn?s, montraient leurs rondeurs grises; tandis que, derri?re, s'?levait le s?choir, un deuxi?me ?tage tr?s-haut, clos de tous les c?t?s par des persiennes ? lames minces, au travers desquelles passait le grand air, et qui laissaient voir des pi?ces de linge s?chant sur des fils de laiton. A droite des r?servoirs, le tuyau ?troit de la machine ? vapeur soufflait, d'une haleine rude et r?guli?re, des jets de fum?e blanche. Gervaise, sans retrousser ses jupes, en femme habitu?e aux flaques, s'engagea sous la porte encombr?e de jarres d'eau de javelle. Elle connaissait d?j? la ma?tresse du lavoir, une petite femme d?licate, aux yeux malades, assise dans un cabinet vitr?, avec des registres devant elle, des pains de savon sur des ?tag?res, des boules de bleu dans des bocaux, des livres de carbonate de soude en paquets. Et, en passant, elle lui r?clama son battoir et sa brosse, qu'elle lui avait donn?s ? garder, lors de son dernier savonnage. Puis, apr?s avoir pris son num?ro, elle entra.

C'?tait un immense hangar, ? plafond plat, ? poutres apparentes, mont? sur des piliers de fonte, ferm? par de larges fen?tres claires. Un plein jour blafard passait librement dans la bu?e chaude suspendue comme un brouillard laiteux. Des fum?es montaient de certains coins, s'?talant, noyant les fonds d'un voile bleu?tre. Il pleuvait une humidit? lourde, charg?e d'une odeur savonneuse; et, par moments, des souffles plus forts d'eau de javelle dominaient. Le long des batteries, aux deux c?t?s de l'all?e centrale, il y avait des files de femmes, les bras nus jusqu'aux ?paules, le cou nu, les jupes raccourcies montrant des bas de couleur et de gros souliers lac?s. Elles tapaient furieusement, riaient, se renversaient pour crier un mot dans le vacarme, se penchaient au fond de leurs baquets, orduri?res, brutales, d?gingand?es, tremp?es comme par une averse, les chairs rougies et fumantes. Autour d'elles, sous elles, coulait un grand ruissellement, les seaux d'eau chaude promen?s et vid?s d'un trait, les robinets d'eau froide ouverts, pissant de haut, les ?claboussements des battoirs, les ?gouttures des linges rinc?s, les mares o? elles pataugeaient s'en allant par petits ruisseaux sur les dalles en pente. Et, au milieu des cris, des coups cadenc?s, du bruit murmurant de pluie, de cette clameur d'orage s'?touffant sous le plafond mouill?, la machine ? vapeur, ? droite, toute blanche d'une ros?e fine, haletait et ronflait sans rel?che, avec la tr?pidation dansante de son volant qui semblait r?gler l'?normit? du tapage.

Cependant, Gervaise, ? petits pas, suivait l'all?e, en jetant des regards ? droite et ? gauche. Elle portait son paquet de linge pass? au bras, la hanche haute, boitant plus fort, dans le va-et-vient des laveuses qui la bousculaient.

-- Eh! par ici, ma petite! cria la grosse voix de madame Boche.

Puis; quand la jeune femme l'eut rejointe, ? gauche, tout au bout, la concierge, qui frottait furieusement une chaussette, se mit ? parler par courtes phrases, sans l?cher sa besogne.

-- Mettez-vous l?, je vous ai gard? votre place..... Oh! je n'en ai pas pour longtemps. Boche ne salit presque pas son linge... Et vous? ?a ne va pas tra?ner non plus, hein? Il est tout petit, votre paquet. Avant midi, nous aurons exp?di? ?a, et nous pourrons aller d?jeuner... Moi, je donnais mon linge ? une blanchisseuse de la rue Poulet; mais elle m'emportait tout, avec son chlore et ses brosses. Alors, je lave moi-m?me. C'est tout gagn?. ?a ne co?te que le savon... Dites donc, voil? des chemises que vous auriez d? mettre ? couler. Ces gueux d'enfants, ma parole! ?a a de la suie au derri?re.

Gervaise d?faisait son paquet, ?talait les chemises des petits; et comme madame Boche lui conseillait de prendre un seau d'eau de lessive, elle r?pondit:

-- Oh! non, l'eau chaude suffira... ?a me conna?t.

Elle avait tri? le linge, mis ? part les quelques pi?ces de couleur. Puis, apr?s avoir empli son baquet de quatre seaux d'eau froide, pris au robinet, derri?re elle, elle plongea le tas du linge blanc; et, relevant sa jupe, la tirant entre ses cuisses, elle entra dans une bo?te, pos?e debout, qui lui arrivait au ventre.

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