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Read Ebook: Præterita: souvenirs de jeunesse by Ruskin John La Sizeranne Robert De Author Of Introduction Etc Paris Marguerite Translator

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Ebook has 563 lines and 98359 words, and 12 pages

Translator: Mme Gaston Paris

Contributor: Robert de La Sizeranne

Produced by: Laura Natal Rodrigues at Free Literature

JOHN RUSKIN

<>

Souvenirs de Jeunesse

TRADUCTION DE

Mme GASTON PARIS

PR?FACE DE

R. DE LA SIZERANNE

PARIS

Librairie Hachette et Cie

TABLE DES MATI?RES

INTRODUCTION

ROBERT DE LA SIZERANNE.

PR?FACE

J'ai r?uni ces souvenirs des efforts et incidents de ma vie pass?e pour mes amis et pour ceux qui ont aim? mes livres.

Je les ai donc ?crits simplement, comme on cause, m'?tendant un peu longuement peut-?tre sur les choses que j'avais plaisir ? me rappeler, avec beaucoup de soin sur celles que je m'imagine pouvoir ?tre utiles aux autres; au contraire, passant sous silence les souvenirs qui n'avaient rien d'agr?able, et dont le r?cit ne pouvait ?tre d'aucun profit pour le lecteur. Ma vie, ainsi pr?sent?e, m'a paru plus amusante que je n'avais pens? lorsque j'ai commenc? ? ressusciter tout ce long pass? avec ses m?thodes d'?tude et ses principes de travail que je me crois en droit de recommander ? d'autres travailleurs--m?thodes et principes que, tr?s certainement, les fid?les lecteurs de mes ouvrages comprendront d'autant mieux qu'ils seront plus familiaris?s avec mon caract?re. Jusqu'ici, sans aucun parti pris de cachotterie, je ne me suis jamais attach? ? l'expliquer; je trouvais m?me, je l'avoue, un certain plaisir, je mettais une certaine coquetterie ? courir le risque d'?tre incompris.

Je trace ces quelques lignes de pr?face le jour anniversaire de la naissance de mon p?re, dans la pi?ce qui, autrefois, me servait de nursery, dans la vieille maison o?, il y a juste soixante-deux ans, il nous amenait, ma m?re et moi: j'avais alors quatre ans. Ce qui, sans cette pens?e, pourrait, dans les pages qui vont suivre, sembler n'?tre que le simple passe-temps d'un vieillard qui s'amuse ? cueillir des fleurs imaginaires dans les prairies de sa jeunesse, a pris, ? mesure que j'?crivais, la forme plus noble d'un respectueux hommage ? la m?moire de mes parents, ces parents auxquels je dois ce qu'il y a de meilleur en moi, et dont le cher souvenir enl?ve m?me toute tristesse au d?clin de mes jours--si doux m'est l'espoir de les rejoindre bient?t.

Herne Hill, 10 mai 1885.

<>

SOUVENIRS DE JEUNESSE

CHAPITRE I

LES SOURCES DE LA WANDEL

Je recevais encore un meilleur enseignement, que j'y fusse dispos? ou non, tous les jours de la semaine.

La tante qui me faisait manger du gigot froid le dimanche ?tait une soeur de mon p?re; elle habitait Bridge-end, dans la petite ville de Perth, et avait un jardin plein de groseilliers ? maquereau qui descendait en pente jusqu'? la Tay; une petite porte ouvrait sur la rivi?re qui courait vive et claire. Le courant rapide, les remous, les tourbillons, quel monde infini, quel spectacle pour un enfant!

C'est ainsi que, pour mon plus grand profit, pendant toute mon enfance et ma jeunesse, je visitai les plus beaux ch?teaux de l'Angleterre. Ces magnifiques demeures m'inspiraient un respect, une admiration o? il aurait ?t? impossible de relever la plus l?g?re trace d'envie. Je m'aper?us tr?s vite, d?s que je fus en ?ge de faire des observations philosophiques, qu'il ?tait infiniment pr?f?rable d'habiter une modeste petite maison et d'avoir la joie de visiter Warwick et de l'admirer, que d'habiter Warwick et de ne s'?tonner de rien; en tous cas, que Brunswick Square ne serait en rien plus agr?able ? habiter, si l'on d?molissait le ch?teau de Warwick.

? l'heure actuelle, bien que j'aie re?u les plus aimables invitations de venir visiter l'Am?rique, il me serait impossible, f?t-ce pour deux ou trois mois, de vivre dans un pays assez malheureux pour ne pas poss?der de ch?teaux.

J'ai eu beau chercher, il m'a ?t? impossible de donner ? ces id?es, ou pr?jug?s, une origine aristocratique; car je ne sais rien de mes a?eux, soit du c?t? de mon p?re, soit du c?t? de ma m?re, si ce n'est que ma grand'm?re maternelle ?tait la propri?taire de la <>, dans la rue du March? ? Croydon; que n'est-elle encore de ce monde, et que ne puis-je lui peindre, comme enseigne, la t?te de Roi de Simone Memmi!

Mon grand-p?re maternelle l'ai d?j? dit, ?tait marin et il avait coutume de s'embarquer ? Yarmouth, comme Robinson Cruso?; il ne revenait que de loin en loin ? maison o? il ramenait la gaiet? et la joie. J'ai quelque id?e qu'il ?tait <> comme mon p?re ?tait <>, mais je ne sais rien de positif ? cet ?gard, ma m?re se montrant toujours tr?s r?serv?e ? ce sujet. Il g?tait ma m?re ainsi que sa cadette, autant qu'il ?tait possible. Seule, la moindre dissimulation--que dis-je?--la moindre exag?ration ne trouvait pas gr?ce devant lui. Un jour qu'il avait pris ma m?re en flagrant d?lit de mensonge, il envoya sur l'heure la servante acheter toute une poign?e de ramilles neuves afin de la fustiger. <>.

Mon grand-p?re mourut ? trente-deux ans pour avoir voulu entrer ? Croydon ? cheval plut?t qu'? pied. Il eut la jambe ?cras?e contre le mur; la blessure s'?tant envenim?e, il en mourut. Ma m?re avait alors sept ou huit ans, elle allait chez Mrs Rice qui tenait un externat assez fashionable pour Croydon. Elle y fut ?lev?e dans les principes ?vang?liques et devint une petite fille mod?le; tandis que ma tante, que les principes ?vang?liques faisaient cabrer, fut bient?t ? la fois l'enfant terrible et l'enfant g?t? de la maison.

Ma m?re, qui avait beaucoup de moyens et une bonne dose d'amour-propre, devenait tous les jours plus parfaite, sans se laisser intimider par les railleries de sa cadette, qui pourtant l'adorait. Cette petite soeur avait beaucoup plus d'esprit, infiniment moins d'orgueil et pas de sens moral. Lorsque ma m?re fut devenue une m?nag?re accomplie, on l'envoya en ?cosse pour diriger la maison de mon grand-p?re paternel. Celui-ci ?tait alors fort occup? ? se ruiner; il ne tarda pas ? y parvenir et finit par en mourir. C'est alors que mon p?re partit pour Londres; il trouva un emploi dans une grande maison de commerce o?, pendant neuf ans, il travailla sans prendre un seul jour de cong?; au bout de ce temps, il commen?a les affaires ? son compte, paya les dettes de son p?re et ?pousa sa perfection de cousine.

L'autre petite cousine, ma tante, qui ?tait rest?e ? Croydon, avait ?pous? un boulanger. Lorsque j'eus quatre ans--?poque o? mes souvenirs commencent ? se pr?ciser--la situation commerciale de mon p?re ? Londres prenant tous les jours plus d'importance, on e?t pu constater un l?ger, oh! tr?s l?ger embarras et tout ? fait inexplicable pour moi comme enfant, entre notre maison de Brunswick Square et la boulangerie de la rue du March? ? Croydon. Ce qui n'emp?chait pas que chaque fois que mon p?re ?tait malade--et les soucis et le travail l'avaient d?j? durement marqu? de leur empreinte--nous nous en allions tous ? Croydon pour nous faire g?ter par la bonne petite tante, et courir sur la colline de Duppas et dans les bruy?res d'Addington.

Ma tante habitait une petite maison qui passe encore pour la plus belle de la rue du March?, avec deux fen?tres au second au-dessus de la boutique; ce qui se passait dans ces r?gions sup?rieures m'inqui?tait peu, ? moins que mon p?re n'y f?t occup? ? faire quelque dessin ? l'encre de Chine, auquel cas je m'asseyais pr?s de lui et je le regardais faire d?votement; mais ce que je pr?f?rais par-dessus tout, c'?tait la boutique; le fournil et les pierres qui entouraient la petite source de cristal ; mon plus cher compagnon ?tait le chien de ma tante, Towzer, qu'elle avait recueilli par piti?, transformant la pauvre b?te errante, hargneuse et affam?e, en un brave et bon chien plein de coeur: proc?d? dont elle usa toute sa vie ? l'?gard de tous les ?tres vivants qu'elle croisa sur sa route.

Pleinement satisfait d'avoir de loin en loin une vision des rivi?res du Paradis, je v?cus jusqu'? plus de quatre ans sans quitter pour ainsi dire Hunter Street; l'?t?, et seulement pendant quelques semaines, nous louions des chambres meubl?es dans de petits cottages ? la campagne , soit aux environs d'Hampstead, soit ? Dulwich, chez <>, la derni?re maison au bout du petit chemin bord? de haies qui conduit aux plaines de Dulwich, et qui lui-m?me ?tait tout fleuri de boutons d'or au printemps et tout noir de m?res ? l'automne. Mais les souvenirs les plus pr?cis qui me soient rest?s de cette ?poque sont ceux qui se rapportent ? Hunter Street.

Le grand principe d'?ducation de ma m?re, c'?tait, gr?ce ? une ?troite surveillance, de me pr?server autant que possible de tout mal et de tout danger; ceci admis, je pouvais m'amuser ? ma guise, ? condition de n'?tre ni de mauvaise humeur, ni ennuyeux. La r?gle ?tablie voulait qu'on ne s'occup?t pas de m'amuser; ? moi de trouver des jeux: les joujoux m?me ?taient d'abord d?fendus; et la commis?ration qu'excitait, chez ma tante de Croydon, mon d?nuement monastique ? cet ?gard ?tait sans borne. ? l'occasion de mon jour de naissance, une fois, pensant faire revenir ma m?re sur sa d?termination gr?ce ? la splendeur du cadeau, elle m'avait achet? le plus beau polichinelle qu'elle e?t pu trouver au bazar: un Polichinelle et une m?re Gigogne presque aussi grands que nature, v?tus d'?carlate et d'or, et qui gesticulaient quand on les attachait au pied d'une chaise. Ces pantins m'ont fait une grande impression; je les vois encore, tandis que ma tante les faisait danser devant moi. Ma m?re ne dit rien d'abord--qu'aurait-elle pu dire?--mais, quelques heures plus tard, tranquillement, elle d?clara qu'elle ne trouvait pas bon que j'eusse ces joujoux; et je ne les ai jamais revus.

Je jouais d'ordinaire avec un trousseau de clefs, du moins tant que je trouvai plaisir ? regarder ce qui brille et ? faire tinter ce qui sonne; plus tard, j'eus une petite charrette et une balle; vers cinq ou six ans, on me donna deux bo?tes de morceaux de bois, bien lisses et bien taill?s. Avec ces modestes tr?sors, qu'? l'heure actuelle je consid?re encore comme absolument suffisants, d'ailleurs fouett? imm?diatement d?s que je pleurais, que je d?sob?issais ou que je tombais dans l'escalier, je ne tardai pas ? me cr?er de s?res et sereines m?thodes de vie et de mouvement. Je pouvais m'amuser toute la journ?e ? suivre le dessin et ? comparer les nuances de mon tapis, ? examiner tous les noeuds du parquet; un autre divertissement ?tait de compter les briques des maisons d'en face; et je ne parle pas des interm?des passionnants que me procurait le remplissage du tonneau d'arrosage au moyen de son serpent de cuir fix? ? la colonne ruisselante de la pompe, ou le proc?d? plus admirable encore par lequel le cantonnier ouvrait avec sa grande clef de fer le robinet et faisait jaillir un immense jet d'eau au milieu de la rue. Mais le tapis, et les dessins de toutes sortes des rideaux, couvre-lits, papiers de tenture, ?taient mes plus pr?cieuses ressources; l'int?r?t qu'ils m'inspiraient ?tait tel que, lorsqu'on me conduisit chez Mr Northcote qui devait faire mon portrait--je pouvais avoir trois ans ou trois ans et demi--je n'?tais pas avec lui depuis dix minutes que je m'int?ressais d?j? ? son tapis et que je lui demandais pourquoi il avait des trous. Le portrait en question repr?sente un joli enfant aux cheveux blonds, en robe blanche, une robe de petite fille, avec une large ceinture bleu de ciel, et des souliers du m?me bleu, qui n'?taient pas moins larges pour les pieds que la robe pour le corps.

On avait envoy? au vieux peintre tous les objets de ma toilette, afin qu'il n'y e?t rien de laiss? au hasard; mais s'ils ?taient ? leur place dans la nursery, ils ?tonnaient dans un portrait o? je suis repr?sent? courant dans un champ sur la lisi?re d'une for?t. Les troncs des arbres coupent transversalement le fond du tableau ? la mani?re de Sir Joshua Reynolds, tandis que deux collines rondes, du m?me bleu que les souliers, s'?l?vent ? l'horizon. C'est sur ma demande que Northcote avait mis ces collines; j'avais d?j? ?t? une fois, peut-?tre deux fois en ?cosse; ma bonne, une ?cossaise, me chantait lorsque nous approchions de la Tweed ou de l'Esk:

For Scotland, my darling, lies full in thy view, With her barefooted lassies, and mountains so blue.

Et l'id?e de collines dans un lointain bleu s'associait dans mon esprit aux plus pures joies de la vie, c'est-?-dire au jardin de ma tante, le jardin plein de groseilliers qui descendait en pente jusqu'? la Tay. Mais le simple fait que j'eusse r?pondu au vieux Mr Northcote me demandant ce que j'aimerais qu'il peign?t comme fond ? mon portrait , le simple fait que j'eusse r?pondu: <>, et non des groseilliers, me para?t--sans qu'il y ait l?, je crois, aucune tendance morbide ? faire trop de cas de ma personnalit?--suffisamment curieux et plein de promesses de la part d'un enfant de l'?ge que j'avais alors.

J'ajouterai qu'ayant ?t?, ainsi que je l'ai dit d?j?, r?guli?rement fouett? toutes les fois que je me rendais insupportable, l'habitude que j'avais prise de rester parfaitement tranquille enchantait le vieux peintre; je pouvais en effet passer des heures immobile ? compter les trous du tapis ou ? le regarder presser ses tubes, op?ration qui me remplissait d'admiration; mais si j'aimais ? voir ?taler les couleurs sur la palette, je ne me souviens pas de m'?tre le moins du monde int?ress? ? la mani?re dont Mr Northcote les posait sur la toile; mes id?es sur l'art et les joies qu'il pouvait procurer ?taient alors indissolublement li?es ? la possession d'un immense pot de peinture du plus beau vert et ? un gros pinceau qui en sortait tout ruisselant. Ma tranquillit? faisait donc les d?lices du vieux peintre; aussi supplia-t-il mon p?re et ma m?re de permettre que je posasse pour un de ses tableaux. Je repr?sentais un enfant ?tendu sur une peau de l?opard, tandis qu'un homme des bois lui enlevait une ?pine qu'il s'?tait enfonc?e dans le pied.

Jusqu'ici les m?thodes de mon ?ducation aussi bien que les circonstances ne pouvaient gu?re, il me semble, ?tre plus favorables, ?tant donn? un enfant de mon temp?rament; mais la mani?re dont je fis mes d?buts dans les lettres me para?t tr?s contestable, et je n'introduirai pas cette m?thode dans les ?coles de Saint-George sans y apporter de grandes modifications. Je me refusais absolument ? apprendre ? lire en s?parant les syllabes, tandis que j'apprenais facilement des phrases enti?res par coeur, montrant avec mon doigt et sans me tromper tous les mots de la page ? mesure que je les pronon?ais. Seulement, il ne fallait pas les changer de place. Ce que voyant, ma m?re renon?a aux le?ons de lecture, esp?rant qu'avec le temps je consentirais ? adopter le syst?me r?pandu de l'?tude par syllabes. Je continuai donc ? m'amuser ? ma mani?re, ? apprendre des mots entiers qui se gravaient dans ma t?te comme des dessins.

Ma m?re, comme elle me l'a dit plus tard, m'avait solennellement <> d?s avant ma naissance, suivant en cela l'exemple d'Anne, la m?re du proph?te Samuel. On rencontre ainsi d'excellentes femmes dispos?es ? se d?barrasser pr?matur?ment de leurs enfants: sans doute, dans l'id?e que les fils de Z?b?d?e ne devant pas ?tre assis ? la gauche et ? la droite du Christ, elles peuvent esp?rer que leurs propres fils pourront, dans l'?ternit?, occuper cette respectable situation, surtout si elles le demandent tr?s humblement chaque jour au Christ. Elles oublient, h?las! dans leur simplicit?, que la chose ne d?pend pas uniquement de Lui.

<> voulait dire, pour ma m?re, autant qu'elle se comprenait, m'envoyer ? l'Universit?, faire de moi un clergyman: je fus donc ?lev? pour <>. Mon p?re--que son ?me repose en paix!--qui avait la tr?s mauvaise habitude de s'incliner devant la volont? de ma m?re toutes les fois que les choses avaient de l'importance, et de faire ? sa t?te lorsqu'elles n'en avaient point, souffrit sans mot dire que je fusse soustrait au commerce du vin de X?r?s, comme ?tant chose impure; peut-?tre, au fond, les ambitions de ma m?re ? mon ?gard le flattaient-elles. Car je me souviens que bien des ann?es plus tard, causant avec un de nos amis, un artiste, grand admirateur de Rapha?l, qui se d?sesp?rait que j'eusse eu l'audace d'exposer au public mes id?es sur Turner et Rapha?l, et s'?criait: <>

Fort heureusement pour moi, ma m?re, avec le sentiment qu'elle remplissait un devoir, quels que fussent d'ailleurs ses secrets espoirs d'avenir, me conduisit de tr?s bonne heure aux offices o?, en d?pit de mes habitudes paisibles et du flacon d'or cisel? de ma m?re que l'on m'abandonnait dans ces grandes occasions, je m'ennuyais affreusement. Je ne connaissais rien de plus triste que le banc de l'?glise, pas de jour plus lugubre que le dimanche, pas d'endroit o? il me semblait plus difficile de se tenir tranquille. Aussi j'avais l'horreur du dimanche, une horreur qui s'emparait de moi d?s le vendredi et que l'?clat du lundi et la perspective des sept jours qui nous s?paraient du service dominical n'arrivaient pas ? contrebalancer.

Il me restait pourtant dans l'esprit des bribes de sermons que j'accommodais ? ma fa?on et, de temps en temps, au retour, je pr?chais, accot? aux coussins du grand divan rouge qui me servait de chaire; dans ces occasions-l?, les amies les plus intimes de ma m?re joignaient les mains avec attendrissement et d?claraient que cela d?notait des dispositions extraordinaires. Mon sermon, j'imagine, ?tait fort court, ce qui ?tait d'un excellent exemple, et empreint de la plus pure doctrine ?vang?lique, car je me souviens qu'il commen?ait par ces mots: <>

Mes parents recevaient rarement et je n'?tais jamais autoris? ? venir ? table, m?me au dessert. Je n'eus cette permission que bien des ann?es plus tard, lorsque je sus casser proprement des noisettes. Ce fut moi alors qui fus charg? de casser les noisettes des invit?s mais il m'?tait d?fendu d'en manger, f?t-ce une seule, non plus d'ailleurs qu'aucune autre friandise. Je me souviens encore du jour o?, ? Hunter Street, ma m?re, qui faisait des rangements dans la chambre aux provisions, me donna trois grains de raisin sec, et je n'oublierai jamais l'occasion o?, pour la premi?re fois, je mangeai de la cr?me cuite. C'?tait dans le petit appartement meubl? de Norfolk Street o? nous nous ?tions r?fugi?s pendant qu'on repeignait la maison. Mon p?re, qui d?nait dans la pi?ce du devant, avait laiss? un peu de cr?me sur son assiette et ma m?re me l'apporta, dans la pi?ce du fond.

Mais afin que le lecteur puisse suivre plus facilement les progr?s de ma pauvre petite vie, progr?s sur lesquels il trouve peut-?tre que je m'?tends trop complaisamment, il est n?cessaire que je donne quelques renseignements sur la situation commerciale de mon p?re ? Londres.

La maison de commerce dont il ?tait le principal associ? avait install? ses bureaux dans un immeuble peu spacieux, situ? dans une petite rue de l'est de Londres--Billiter Street--l'art?re principale qui relie Leadenhall Street ? Fenchurch Street. Les noms des trois associ?s brillaient sur la plaque de cuivre de la porte, juste au-dessous de la sonnette: Ruskin, Telford & Domecq.

Le nom de Mr Domecq, en toute justice, e?t d? occuper le premier rang, car, en r?alit?, mon p?re et Mr Telford n'?taient que ses agents. Il ?tait le seul propri?taire du vignoble qui repr?sentait la plus grosse partie du capital de la maison de commerce, le vignoble de Macharnudo, la colline de toute la p?ninsule hispanique la plus r?put?e pour ses vins blancs. C'?tait la vendange de Macharnudo qui fixait la qualit? du vin de X?r?s--sec ou doux--depuis le temps de Henry V jusqu'? nos jours; la marne invariable et unique de cette terre donnait au raisin une force que les ann?es ne taisaient qu'accro?tre et enrichir, sans jamais l'alt?rer.

Mr Pierre Domecq, espagnol de naissance, je crois, et d'?ducation mi-partie fran?aise et mi-partie anglaise, ?tait un homme plein de d?licatesse et du caract?re le plus aimable. ?tait-il d'origine noble? je n'en sais rien; comment ?tait-il devenu propri?taire de son vignoble? je n'en sais rien; quelle ?tait sa situation dans la maison Gordon, Murphy & Cie, o? mon p?re ?tait employ?? je n'en sais rien. Je sais seulement qu'il avait vu mon p?re ? l'oeuvre et que lorsque la Soci?t? Murphy fut dissoute, il lui demanda d'?tre son repr?sentant en Angleterre. Mon p?re savait qu'il pouvait avoir une confiance absolue dans la d?licatesse de Mr Domecq, dans sa mani?re de traiter les affaires. Peut-?tre avait-il moins de confiance dans son sens pratique et dans son activit?; en tous cas, il insista, bien que ne mettant pas de capitaux dans l'affaire et ne touchant que des commissions, pour ?tre, aussi bien en nom qu'en fait, le chef de la maison.

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