Read Ebook: Præterita: souvenirs de jeunesse by Ruskin John La Sizeranne Robert De Author Of Introduction Etc Paris Marguerite Translator
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Ebook has 563 lines and 98359 words, and 12 pages
Mr Pierre Domecq, espagnol de naissance, je crois, et d'?ducation mi-partie fran?aise et mi-partie anglaise, ?tait un homme plein de d?licatesse et du caract?re le plus aimable. ?tait-il d'origine noble? je n'en sais rien; comment ?tait-il devenu propri?taire de son vignoble? je n'en sais rien; quelle ?tait sa situation dans la maison Gordon, Murphy & Cie, o? mon p?re ?tait employ?? je n'en sais rien. Je sais seulement qu'il avait vu mon p?re ? l'oeuvre et que lorsque la Soci?t? Murphy fut dissoute, il lui demanda d'?tre son repr?sentant en Angleterre. Mon p?re savait qu'il pouvait avoir une confiance absolue dans la d?licatesse de Mr Domecq, dans sa mani?re de traiter les affaires. Peut-?tre avait-il moins de confiance dans son sens pratique et dans son activit?; en tous cas, il insista, bien que ne mettant pas de capitaux dans l'affaire et ne touchant que des commissions, pour ?tre, aussi bien en nom qu'en fait, le chef de la maison.
Mr Domecq habitait le plus souvent Paris; il allait rarement en Espagne, mais il n'en faisait pas moins pr?valoir ses id?es, lesquelles ?taient fort arr?t?es, sur le mode de culture de ses vignobles. Il avait autant d'autorit? sur ses paysans qu'un chef de clan sur ses hommes, maintenait les vins au plus haut, comme qualit? et comme prix, et laissait mon p?re libre d'organiser la vente ? son gr?. Le second associ?, Mr Henry Telford, avait mis dans l'affaire le capital n?cessaire pour que la maison de Londres p?t marcher. Il poss?dait une jolie maison de campagne ? Widmore, pr?s de Bromley.
C'?tait le type accompli du gentilhomme campagnard anglais de fortune moyenne. C?libataire, il vivait avec trois soeurs non mari?es, extr?mement cultiv?es et raffin?es, simples et bonnes en m?me temps, et qui, dans leurs vies si heureuses et si bienfaisantes aux autres, m'apparaissent comme des figures de roman, les h?ro?nes d'un beau conte, plut?t que des ?tres r?els. Mais ni dans les livres, ni dans la r?alit?, je n'ai jamais entendu parler, ni vu personne qui ressembl?t ? Henry Telford: doux, modeste, affectueux, plein de bon sens. Il adorait les chevaux, sans qu'il y e?t en lui rien qui sent?t, f?t-ce de tr?s loin, le champ de courses ou l'?curie. Je crois pourtant qu'il ne manquait pas une r?union tant soit peu importante et qu'il passait la plus grande partie de sa vie ? cheval, chassant tant que durait la saison de la chasse; mais il ne pariait jamais, n'avait jamais fait de chute s?rieuse et n'avait jamais bless? un cheval. Entre mon p?re et lui r?gnait la confiance la plus absolue, et toute l'amiti? qui peut exister, quand la mani?re de vivre est aussi diff?rente.
Mon p?re ?tait tr?s fier de la position sociale de Mr Telford; Mr Telford admirait la capacit? de travail de mon p?re, son instinct commercial si s?r.
Le concours actif de Mr Telford se bornait, en g?n?ral, ? deux mois de pr?sence au bureau, les deux mois d'?t? pendant lesquels mon p?re prenait ses vacances; il suppl?ait aussi mon p?re pendant quelques semaines au commencement de l'ann?e, quand celui-ci faisait sa tourn?e chez les clients. Dans ces cas-l?, Mr Telford venait tous les matins de Widmore ? Londres ? cheval, signait le courrier, lisait les journaux et rentrait le soir ? cheval. S'il y avait la moindre d?cision ? prendre, on en r?f?rait ? mon p?re ou on attendait son retour. Tout le monde ? Widmore e?t ?t? dispos? ? faire, pour ma m?re et pour moi, les plus grands frais; mais ma m?re se tenait sur la r?serve: elle sentait trop, dans ce milieu si cultiv?--et elle avait trop de fiert? pour ne pas en souffrir--tout ce qui avait manqu? ? son ?ducation premi?re: le r?sultat en ?tait qu'elle n'aimait gu?re ? frayer qu'avec ceux qu'elle sentait lui ?tre, en quelque sorte, inf?rieurs.
Il fut mon bienfaiteur plus directement encore. Car avant que mon p?re ne se cr?t en droit de louer une voiture pour notre petit voyage de vacances, Mr Telford nous pr?tait son <
Or, le vieux chariot anglais, cette voiture l?g?re ? deux places, est, sans contredit, la plus confortable des voitures de voyage quand on est deux et m?me trois, surtout quand le troisi?me voyageur est un enfant de trois ? quatre ans. Haut suspendu, ce chariot permettait de voir par-dessus les parapets de pierre et les haies qui bordent les routes: il est vrai que, pour y monter, il fallait d?plier un petit marche-pied capitonn? qui rentrait ? l'int?rieur de la porti?re. Ce marche-pied ?tait pour moi une des grandes joies du voyage, le voir baisser et relever par les gar?ons d'?curie un d?lice--joie et d?lice, il est vrai, g?t?s par le d?sir, dirai-je l'ambition, de le baisser et le relever moi-m?me. Cette ambition, ai-je besoin de le dire, ne fut jamais satisfaite, ma m?re craignant que je ne me pin?asse les doigts.
Le <
Parmi tous ceux qui manquent ? l'appel, combien y en a-t-il, h?las! quand on a pass? la cinquantaine? Une des personnes que je regrette le plus, apr?s mon p?re et ma m?re , celle qui me manque, encore tous les jours, c'est cette Anne, la vieille bonne de mon p?re et la mienne. Entr?e ? quinze ans ? la maison, elle y passa sa vie et consacra tous ses talents ? nous servir. Anne avait un go?t naturel et la sp?cialit? de faire les choses les plus d?sagr?ables; elle excellait dans le soin des malades et triomphait quand quelqu'un d'entre nous ?tait dans son lit. Mais Anne avait non seulement la sp?cialit? de faire les choses d?sagr?ables, elle avait encore celle de les dire; on pouvait s'en rapporter ? elle. Elle commen?ait par voir tout au pire, par le d?clarer tr?s haut, avant de rien faire pour y rem?dier. Elle avait, de plus, une r?pugnance honorable et toute r?publicaine ? ex?cuter les ordres tels qu'on les lui donnait, si bien que, lorsque ma m?re et elle eurent vieilli ensemble, qu'avec les ann?es ma m?re fut devenue un peu exigeante, qu'elle attachait une certaine importance ? ce que sa tasse de th? f?t pos?e ? tel endroit sur la petite table ronde, Anne avait toujours grand soin de la mettre du c?t? oppos?. Aussi ma m?re me d?clarait-elle gravement tous les matins ? d?jeuner que, s'il y avait femme au monde que l'esprit malin poss?d?t, c'?tait bien la vieille Anne.
En d?pit de ces aspirations violentes mais br?ves vers la libert? et l'ind?pendance, la pauvre Anne fut toute sa vie la femme la plus serviable; elle n'eut d'autre occupation, depuis l'?ge de quinze ans jusqu'? celui de soixante-douze, que de faire la volont? des autres, de s'oublier elle-m?me: je n'ai pas entendu dire qu'elle ait jamais fait mal ? personne au monde, si ce n'est peut-?tre en ?conomisant quelques milliers de francs que ses h?ritiers se disput?rent apr?s sa mort; la pauvre femme n'?tait pas enterr?e qu'ils ?taient tous brouill?s.
Le si?ge en question, r?serv? ? Anne, ?tait assez large pour que mon p?re p?t y monter quand le temps ?tait beau et le paysage engageant. La voiture toute charg?e, bagages et le reste, roulait ais?ment enlev?e par de bons chevaux sur les routes tr?s bien entretenues des malles-poste; courir la poste, en ce temps-l?, ?tait si r?pandu qu'aux relais, dans quelque pays qu'on se trouv?t, au cri de: <
Ces vacances d'?t?, si d?licieuses gr?ce ? la bont? de Mr Telford, commen?aient en g?n?ral vers le 15 mai--la f?te de mon p?re ?tait le 10, et nous ne pouvions partir avant que cette solennit? f?t accomplie. Ce jour-l?, on me permettait de cueillir les groseilles ? maquereau, celles d'un certain groseillier contre le mur du nord, avec lesquelles on faisait la premi?re tarte de l'ann?e--vacances, si l'on veut, qui consistaient en une tourn?e chez les clients pour prendre les commandes. Nous parcourions ainsi la moiti? des comt?s de l'Angleterre; si c'?tait les comt?s du Nord, nous poussions jusqu'en ?cosse pour voir ma tante.
Notre mani?re de voyager ?tait aussi m?thodique, aussi r?gl?e que notre vie ordinaire. Nous faisions de quarante ? cinquante milles par jour, nous mettant en route d'assez bon matin afin d'arriver, sans nous presser, pour le d?ner de quatre heures. En g?n?ral, nous partions vers six heures, quand les prairies sont encore couvertes de ros?e et que les aub?pines embaument l'air du matin. Si, dans notre course d'apr?s-midi, on pouvait visiter quelque ch?teau, surtout celui d'un lord ou mieux encore d'un duc, mon p?re faisait d?teler et nous conduisait, ma m?re et moi, ? travers les appartements de gala. Je nous vois, dans ce cas, parlant ? voix basse ? la femme de charge, au majordome ou ? toute autre autorit? en fonction et recueillant pieusement leurs r?cits.
En analysant, plus haut, les impressions que m'ont laiss?es ces exp?ditions, j'ai ?t? un peu vite, j'ai anticip? le r?sultat, ? savoir qu'il est infiniment pr?f?rable de vivre dans une petite maison que dans une grande. Ce qui est certain c'est que, jusqu'? ce jour, tandis qu'il m'est impossible de passer devant un cottage couvert de roses et de verdure sans d?sirer en ?tre le propri?taire, je n'ai pas encore rencontr? le ch?teau qui m'ait fait porter envie au ch?telain. Et, bien qu'au cours de ces p?lerinages pieux, j'aie recueilli quantit? de renseignements d'art et de nature qui m'ont ?t? infiniment pr?cieux, je constate qu'ils n'ont eu aucune influence sur mon caract?re, et que mon go?t personnel, mon instinct naturel avaient re?u une empreinte ind?l?bile bien avant cette ?poque; je restais attach? aux sc?nes modestes et simples de ma petite enfance entrevues sous les toits rouges et bas de Croydon, au bord des petits cours d'eau pleins de cresson au fond duquel dansait le sable d'or et o? filaient les vairons, en amont des sources de la Wandel.
CHAPITRE II
HERNE HILL. LES AMANDIERS EN FLEUR
Lorsque j'eus quatre ans, mon p?re se trouva en situation d'acheter une maison ? Herne Hill, jolie colline verdoyante qui se trouve ? quatre milles au sud du <
Notre maison ?tait la derni?re, c?t? nord, du petit groupe perch? sur la cr?te m?me de la colline, l? o? le terrain s'aplatit et forme une sorte de plate-forme semblable ? celle o?, sur le sommet du Mont-Blanc, les neiges s'accumulent; mais il redescend bient?t par une pente rapide jusqu'? notre vall?e de Chamonix ; la descente du c?t? de <
Au sud, la colline d?vale ? travers un joli pays jusque dans le vallon de l'Effra ; au nord, au contraire, elle se prolonge en pente douce sur une longueur d'un demi-mille, prend sur la paroisse de Lambeth le nom h?ro?que de <
Le groupe dont faisait partie notre maison se composait de deux maisons jumelles coupl?es avec jardins, d?pendances, le tout absolument identique. Ce sont encore aujourd'hui les plus hautes; on les aper?oit de Norwood; si bien que de la maison, une maison ? trois ?tages avec greniers, on avait, en ces jours b?nis o? les fum?es n'obscurcissaient pas compl?tement le ciel, une vue tr?s ?tendue sur les collines de Norwood o? le soleil se levait en hiver; de l'autre c?t? s'?tendait la vall?e de la Tamise. Avec une longue-vue on pouvait apercevoir Windsor dans le lointain et ? l'oeil nu Harrow, quand le temps ?tait clair, ? l'heure du coucher du soleil. Devant la maison et derri?re, s'?tendaient deux jardins de taille moyenne. Celui du devant ?tait plant? d'arbustes ? feuilles persistantes, de lilas et de faux ?b?niers; le jardin du fond, qui pouvait avoir soixante m?tres de long sur dix-huit de large, ?tait renomm? aux alentours pour ses poires et ses pommes, lesquelles ?taient l'orgueil de notre pr?d?cesseur . Il y avait encore un vieux m?rier trapu, un grand cerisier qui donnait des cerises ? chair blanche, un merisier du comt? de Kent, et, tout autour, une haie ininterrompue de groseilliers ? grappes et de groseilliers ? maquereau. Surcharg?es quand venait la saison de fruits merveilleux que l'on voyait passer du vert le plus doux ? l'ambre dor? et au rouge vermillon, leurs branches ?pineuses s'inclinaient sous le poids des grappes de perles ou de rubis. Quelle joie de les d?couvrir sous leurs belles et larges feuilles, qui rappelaient celles de la vigne!
Ceci tenait en partie ? l'extr?me modestie de mon p?re, en partie ? son orgueil. Il avait une telle confiance dans le jugement de ma m?re, qu'il consid?rait, dans les choses de ce genre, comme tr?s sup?rieur au sien, qu'il ne se serait jamais avis? de la contrecarrer en rien au sujet de mon ?ducation; d'autre part, avec l'id?e fixe de faire de moi un pr?lat aux grandes mani?res, ayant acc?s dans les coteries les plus raffin?es, les plus hupp?es, aussi bien dans les milieux mondains que dans les milieux eccl?siastiques, les visites ? Croydon, o? j'?tais tout le jour avec la ch?re et simple tante et les petits cousins boulangers, se firent de plus en plus rares. Pour voisiner avec les habitants de la colline, il e?t fallu risquer de troubler notre vie si doucement ?go?ste; de sorte que, somme toute, il n'y avait pas un ?tre vivant ? qui j'eusse pu m'int?resser de fa?on enfantine, si ce n'est moi-m?me, quelques fourmili?res que le jardinier d?rangeait sans cesse et un ou deux oiseaux ? demi apprivois?s, car je n'ai jamais eu ni le talent, ni la pers?v?rance d'en apprivoiser un tout ? fait. Il est vrai de dire qu'? peine y en avait-il un qui prenait assez confiance pour s'approcher, les chats le happaient.
Par bonheur, je trouvai sur ce chapitre, en mon p?re, un guide excellent, et toujours dispos? ? se pr?ter ? ma fantaisie lorsqu'il pouvait le faire sans enfreindre aucune des r?gles institu?es par ma m?re. Un de mes grands plaisirs ?tait de le voir se raser; j'avais la permission de monter dans sa chambre tous les matins , et j'assistais, immobile et muet, ? cette grave op?ration.
Je vois encore, au-dessus de la toilette, une aquarelle ex?cut?e par mon p?re sous la direction de Nasmyth p?re, ? l'?cole sup?rieure d'?dimbourg, je crois. Elle ?tait faite dans la mani?re primitive que le Dr Munro enseignait ? Turner au moment m?me o? mon p?re ?tait au <Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page