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Read Ebook: Le poison by Haraucourt Edmond Simon Lucien Illustrator

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Ebook has 473 lines and 14885 words, and 10 pages

Le d?put? jugea bon de s'?loigner un peu, sous pr?texte d'examiner le moteur; Mo?lan aurait bien voulu s'en aller aussi; mais le m?decin le tenait toujours par le bouton de sa veste.

--Tu as encore bu, ce matin? Avoue!

--Un rien, pour tuer le ver.

--Pour te tuer! Eh bien, assassine-toi, mon gars, puisque ?a te fait plaisir. Moi, j'ai rempli mon devoir en te pr?venant: si tu continues, tu n'en as plus pour deux ans ? rester sur terre.

--S'il pouvait dire vrai, pensait m?re Guillou.

L?ch? enfin, Mo?lan respira d'aise. M. Audren, d'un coup de poignet furieux, mit son moteur en marche. La voiture partit; en ronflant sur la route blonde, entre deux haies d'ajoncs en fleurs, elle montait vers le ciel mauve. Le docteur soufflait devant lui: <>, et il avalait des gorg?es de matin pour se purifier de ce qu'il avait vu.

--?videmment, fit le d?put?, tout ce que vous lui repr?sentez l? est incontestable; mais je vous trouve dur, mon cher.

--Il faut qu'ils sachent!

--Si vous croyez que cet ?lecteur-l? votera encore pour vous...

--Ils ne m'emp?cheront pas, en votant contre moi, de travailler pour eux.

--Vous ne les m?nagez gu?re.

--J'aime mieux les sauver, ou l'essayer au moins.

--Il y a la mani?re; la v?tre est violente.

--Ils me mettent hors de moi avec leur manie de suicide... C'est que je les aime, moi, mes Bretons! Une si belle race, si noble, si fi?re, si fine!

--Assur?ment.

--Rude au travail, brave au combat, si vieille et qui restait si jeune, mystique comme aux premiers jours et subtile comme pas une, quand elle se m?le d'ergoter...

--Le fait est qu'elle poss?de un fond d'id?alisme et de raison tout ensemble...

--De foi et de sens critique, d'enthousiasme et d'ironie, de loyalisme et d'ind?pendance, avec ce double voeu de rester fid?le au pass? tout en poussant vers l'avenir le flot d'une id?e qui monte...

--Comme la mer.

--Et Waldeck-Rousseau, le Dantec...

--Des voyants et des clairvoyants... Ah! le beau r?servoir lucide que c'?tait.

--Que c'?tait?...

--Dam! Vous ne les sentez donc pas d?p?rir, de g?n?ration en g?n?ration? Vous ne comptez donc pas les maisons qui se vident, les familles qui s'?teignent, les noms qui disparaissent, les hameaux d?cim?s par la tuberculose que l'alcoolisme propage? C'est mon m?tier, ? moi, de faire une croix sur les foyers autour desquels j'ai vu, il y a quinze ans, se grouper des t?tes nombreuses et o? vous ne trouverez plus personne, ? pr?sent, plus personne! L'alcool a fait ce d?sert. Un si?cle de ce r?gime-l? et la race aura disparu.

--Si vous croyez que les Normands se comportent mieux? Et tant d'autres provinces!

--Alors, faites-nous des lois pour nous sauver malgr? nous.

Au tournant du chemin, on aper?ut la mer; des barques de p?che montaient vers le large; tout un essaim de voiles claires mouchetait l'azur d?grad?; les plus lointaines, parvenues au point o? le ciel et l'eau se confondent, avaient l'air d'entrer dans la nue.

--On dirait qu'elles s'en vont escalader le ciel.

--C'est peut-?tre bien leur but, r?pondit le docteur.

--Hein? J'aurais cru que ces marins-l? cherchent tout bonnement le poisson.

--Le premier qui tenta de marcher sur l'eau n'?tait pas un p?cheur. Ce fut un chef de horde qui voulait traverser un fleuve... J'ai mes id?es l?-dessus et, puisque nous causons de l'ivresse...

--Je n'aper?ois pas de rapport...

--Il est pourtant intime et tr?s direct, ou du moins il m'appara?t tel. Daignerez-vous m'?couter trois minutes? Vous admettez bien que l'homme est, par excellence, l'animal migrateur et qu'il fut tel d?s son d?but. Entre tous ceux qui g?tent dans l'immense for?t du quaternaire, il est d?j? celui qui se d?place. Au long des continents, sur le sol de l'Asie, de l'Europe, de l'Afrique et de l'Am?rique, il a laiss? la trace de ses migrations: les m?galithes, les cupules, les ossements, les outils qu'on retrouve t?moignent de cet exode plusieurs fois mill?naire. Le fait, qui n'est pas contest?, s'explique d'ailleurs par deux raisons.

--Primo?

--D'abord, l'homme primitif est une cr?ature sans armes, au milieu d'ennemis terribles, et toute nue dans un monde incl?ment. Donc, partout o? il se trouve, il souffre; donc, il va ailleurs.

--Voil? une raison qui suffirait.

--Il y en a une seconde. L'homme n'est pas seulement la cr?ature d?sarm?e, il est aussi la cr?ature d'imagination, entre toutes, celle qui r?ve et qui sans cesse r?vera du mieux, c'est-?-dire d'autre chose, qui toujours esp?re trouver mieux et qui, perp?tuellement d??ue, voudra toujours aller ailleurs.

--Il me semble cependant que les peuples se sont arr?t?s sur un coin de terre qu'ils aiment et qu'ils appellent la patrie.

--En fait, oui. Mais l'instinct ancestral s'est fix? dans la race o? il demeure irr?ductible. Le jour o? le nomade se stabilise, son app?tit contrari? s'assouvira de mille autres mani?res. La m?me force qui nous poussait ? partir du hallier va nous inciter tout au moins ? sortir de nous. Autant qu'il le peut, chaque fois qu'il le peut, l'homme se projette au dehors par la pens?e. Non seulement le go?t des aventures restera en lui, inv?t?r?, vivace, ind?finiment pr?t ? ressusciter en ses jeunes fils, mais encore il demandera aux sciences d'am?liorer sa vie mat?rielle et de l'aider ? changer de place plus vite. Pour aller encore plus loin et pour franchir davantage les bornes de la nature, il inventera des arts qui procurent l'illusion du mieux; il aura la po?sie et la musique, la philosophie, tous les ferments de r?ve, tous les tremplins, tout ce qui permet une ?vasion momentan?e; il aura les mythes, les r?cits et les contes, et il aura aussi l'ivresse, par le moyen desquels l'esprit essaiera d'?chapper ? la mis?re monotone des jours, s'immunisera pour un moment et, sur place, changera de place.

--Ainsi l'ivresse, selon vous, est un moyen...

--D'aller ailleurs! Le voeu ?ternel de la race! Immobile, ?tre encore le nomade, rompre ses cha?nes, r?der dans l'inconnu, s'ext?rioriser, sortir de soi!

--Si je comprends bien votre paradoxe, le descendant moderne de l'antique migrateur reste dou? d'une passion sp?cifique, et, pour y satisfaire, il s'est donn? la lecture, la musique, l'ivresse, qui toutes lui ouvrent des issues hors du monde r?el?

--Vous l'avez dit: l'issue! Il en faut une; elle est indispensable ? chaque individu; mais d?s qu'il en a une, il se passe ais?ment des autres. L'enfant, qui ne boit pas encore, lit avec fr?n?sie; de m?me qu'il y a pour l'adulte des boissons qui grisent, il y a pour l'adolescent des lectures qui enivrent. Dans son livre, il regarde s'agiter des actions fictives, il voit se mouvoir des ?tres merveilleux, par le courage, par l'astuce, par la multiplicit? des dangers qui entourent le personnage ?lu, et dont celui-ci vient ? bout. Tous les romans d'aventure ont cette vis?e commune: <> Exactement de m?me, les intelligences cultiv?es se passionneront pour quelque investigation scientifique ou psychologique, pour l'histoire ou l'arch?ologie, pour l'astronomie ou la g?ologie, pour des po?mes ou des probl?mes. Toujours la m?me devise: <>

--En sorte que, si je vous entends bien, les soci?t?s modernes se subdiviseraient en deux groupes, et tous les ?tres ayant en commun le m?me besoin d'exutoire, lui donneraient satisfaction par deux proc?d?s diff?rents: la lecture ou l'ivresse; le livre ou l'alcool?

--A l'exception de quelques individus pathologiques qui recourent simultan?ment aux deux moyens d'ext?riorisation, on peut dire que, dans une certaine classe sociale, l'immense majorit? ne boit pas, elle lit. Au contraire, dans la classe o? on ne lit pas, on boit. Le moyen de diminuer l'importance num?rique du second groupe semble donc ?tre d'augmenter le premier; si le nombre des hommes qui lisent se d?veloppe, le nombre de ceux qui boivent d?cro?tra d'autant.

--En d'autres termes, le livre vous appara?t comme l'antidote de l'alcool.

--La biblioth?que populaire devient logiquement un rem?de social contre l'alcoolisme.

--C'est bien possible.

--Je livre cette th?se ? vos m?ditations, monsieur le d?put?. Pensez-y.

La voiture s'engageait sous un bois de sapins; on parla d'autres choses.

Deux fois encore, le m?decin visita sa cliente. Mo?lan, qui lui gardait rancune, eut bien soin d'?tre absent. D'ailleurs, il allait maintenant au chantier, d'une fa?on r?guli?re: excellent pr?texte qu'il avait trouv? l? pour demeurer le moins possible ? la maison o? l'odeur de m?decine se manifestait comme un bl?me.

Mais lorsque Anne-Marie fut authentiquement r?par?e et qu'elle eut l'imprudence de dire ? une voisine: <>, les vagues remords du ma?on s'att?nu?rent et son z?le finit avec eux. Apr?s une cure de sagesse qui avait trop dur?, la revanche s'imposait: les bord?es recommenc?rent. Mo?lan ne travailla plus que cinq jours par semaine; une de ses fugues dura huit jours entiers: les Ponts-et-Chauss?es le licenci?rent.

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