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Read Ebook: La Comédie humaine - Volume 14 by Balzac Honor De

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Ebook has 1914 lines and 191628 words, and 39 pages

Release date: October 1, 2023

Original publication: Paris: Houssiaux, 1870

Au lecteur.

Cette version num?ris?e reproduit, dans son int?gralit?, la version originale. Seules les corrections indiqu?es ? la fin du texte ont ?t? effectu?es.

OEUVRES COMPL?TES DE H. DE BALZAC

LA COM?DIE HUMAINE

QUATORZI?ME VOLUME

PARIS.--IMPRIMERIE DE PILLET FILS AIN? RUE DES GRANDS-AUGUSTINS, 5.

?TUDES PHILOSOPHIQUES

TOME I

LA PEAU DE CHAGRIN J?SUS-CHRIST EN FLANDRE.--MELMOTH R?CONCILI?. LE CHEF-D'OEUVRE INCONNU.--LA RECHERCHE DE L'ABSOLU.

PARIS V ALEXANDRE HOUSSIAUX, ?DITEUR RUE DU JARDINET SAINT-ANDR? DES ARTS, 3.

?TUDES PHILOSOPHIQUES.

LA PEAU DE CHAGRIN.

A MONSIEUR SAVARY, MEMBRE DE L'ACAD?MIE DES SCIENCES.

LE TALISMAN.

Vers la fin du mois d'octobre dernier, un jeune homme entra dans le Palais-Royal au moment o? les maisons de jeu s'ouvraient, conform?ment ? la loi qui prot?ge une passion essentiellement imposable. Sans trop h?siter, il monta l'escalier du tripot d?sign? sous le nom de num?ro 36.

--Monsieur, votre chapeau, s'il vous pla?t? lui cria d'une voix s?che et grondeuse un petit vieillard bl?me, accroupi dans l'ombre, prot?g? par une barricade, et qui se leva soudain en montrant une figure moul?e sur un type ignoble.

--Rouge, pair, passe, dit officiellement le tailleur.

Une esp?ce de r?le sourd sortit de la poitrine de l'Italien lorsqu'il vit tomber un ? un les billets pli?s que lui lan?a le banquier. Quant au jeune homme, il ne comprit sa ruine qu'au moment o? le r?teau s'allongea pour ramasser son dernier napol?on. L'ivoire fit rendre un bruit sec ? la pi?ce, qui, rapide comme une fl?che, alla se r?unir au tas d'or ?tal? devant la caisse. L'inconnu ferma les yeux doucement, ses l?vres blanchirent; mais il releva bient?t ses paupi?res, sa bouche reprit une rougeur de corail, il affecta l'air d'un Anglais pour qui la vie n'a plus de myst?res, et disparut sans mendier une consolation par un de ces regards d?chirants que les joueurs au d?sespoir lancent assez souvent sur la galerie. Combien d'?v?nements se pressent dans l'espace d'une seconde, et que de choses dans un coup de d?!

--Voil? sans doute sa derni?re cartouche, dit en souriant le croupier apr?s un moment de silence pendant lequel il tint cette pi?ce d'or entre le pouce et l'index pour la montrer aux assistants.

--C'est un cerveau br?l? qui va se jeter ? l'eau, r?pondit un habitu? en regardant autour de lui les joueurs qui se connaissaient tous.

--Bah! s'?cria le gar?on de chambre, en prenant une prise de tabac.

--Si nous avions imit? monsieur? dit un des vieillards ? ses coll?gues en d?signant l'Italien.

Tout le monde regarda l'heureux joueur dont les mains tremblaient en comptant ses billets de banque.

--J'ai entendu, dit-il, une voix qui me criait dans l'oreille: Le Jeu aura raison contre le d?sespoir de ce jeune homme.

--Ce n'est pas un joueur, reprit le banquier, autrement il aurait group? son argent en trois masses pour se donner plus de chances.

Dans l'horrible situation o? se trouvait l'inconnu, ce babil de cic?rone, ces phrases sottement mercantiles furent pour lui comme les taquineries mesquines par lesquelles des esprits ?troits assassinent un homme de g?nie. Portant sa croix jusqu'au bout, il parut ?couter son conducteur et lui r?pondit par gestes ou par monosyllabes; mais insensiblement il sut conqu?rir le droit d'?tre silencieux, et put se livrer sans crainte ? ses derni?res m?ditations, qui furent terribles. Il ?tait po?te, et son ?me rencontra fortuitement une immense p?ture: il devait voir par avance les ossements de vingt mondes. Au premier coup d'oeil, les magasins lui offrirent un tableau confus, dans lequel toutes les oeuvres humaines et divines se heurtaient. Des crocodiles, des singes, des boas empaill?s souriaient ? des vitraux d'?glise, semblaient vouloir mordre des bustes, courir apr?s des laques, ou grimper sur des lustres. Un vase de S?vres, o? madame Jacotot avait peint Napol?on, se trouvait aupr?s d'un sphinx d?di? ? S?sostris. Le commencement du monde et les ?v?nements d'hier se mariaient avec une grotesque bonhomie. Un tournebroche ?tait pos? sur un ostensoir, un sabre r?publicain sur une hacquebute du Moyen-?ge. Madame Dubarry peinte au pastel par Latour, une ?toile sur la t?te, nue et dans un nuage, paraissait contempler avec concupiscence une chibouque indienne, en cherchant ? deviner l'utilit? des spirales qui serpentaient vers elle. Les instruments de mort, poignards, pistolets curieux, armes ? secret, ?taient jet?s p?le-m?le avec des instruments de vie: soupi?res en porcelaine, assiettes de Saxe, tasses orientales venues de Chine, sali?res antiques, drageoirs f?odaux. Un vaisseau d'ivoire voguait ? pleines voiles sur le dos d'une immobile tortue. Une machine pneumatique ?borgnait l'empereur Auguste, majestueusement impassible. Plusieurs portraits d'?chevins fran?ais, de bourgmestres hollandais, insensibles alors comme pendant leur vie, s'?levaient au-dessus de ce chaos d'antiquit?s, en y lan?ant un regard p?le et froid. Tous les pays de la terre semblaient avoir apport? l? un d?bris de leurs sciences, un ?chantillon de leurs arts. C'?tait une esp?ce de fumier philosophique auquel rien ne manquait, ni le calumet du sauvage, ni la pantoufle vert et or du s?rail, ni le yatagan du Maure, ni l'idole des Tartares; il y avait jusqu'? la blague ? tabac du soldat, jusqu'au ciboire du pr?tre, jusqu'aux plumes d'un tr?ne. Ces monstrueux tableaux ?taient encore assujettis ? mille accidents de lumi?re, par la bizarrerie d'une multitude de reflets dus ? la confusion des nuances, ? la brusque opposition des jours et des noirs. L'oreille croyait entendre des cris interrompus, l'esprit saisir des drames inachev?s, l'oeil apercevoir des lueurs mal ?touff?es. Enfin une poussi?re obstin?e avait jet? son l?ger voile sur tous ces objets, dont les angles multipli?s et les sinuosit?s nombreuses produisaient les effets les plus pittoresques. L'inconnu compara d'abord ces trois salles gorg?es de civilisation, de cultes, de divinit?s, de chefs-d'oeuvre, de royaut?s, de d?bauches, de raison et de folie, ? un miroir plein de facettes dont chacune repr?sentait un monde. Apr?s cette impression brumeuse, il voulut choisir ses jouissances; mais ? force de regarder, de penser, de r?ver, il tomba sous la puissance d'une fi?vre due peut-?tre ? la faim qui rugissait dans ses entrailles. La vue de tant d'existences nationales ou individuelles, attest?es par ces gages humains qui leur survivaient, acheva d'engourdir les sens du jeune homme; le d?sir qui l'avait pouss? dans le magasin fut exauc?: il sortit de la vie r?elle, monta par degr?s vers un monde id?al, arriva dans les palais enchant?s de l'extase o? l'univers lui apparut par bribes et en traits de feu, comme l'avenir passa jadis flamboyant aux yeux de saint Jean dans Pathmos.

Cet oc?an de meubles, d'inventions, de modes, d'oeuvres, de ruines, lui composait un po?me sans fin. Formes, couleurs, pens?es, tout revivait l?; mais rien de complet ne s'offrait ? l'?me. Le po?te devait achever les croquis du grand peintre qui avait fait cette immense palette o? les innombrables accidents de la vie humaine ?taient jet?s ? profusion, avec d?dain. Apr?s s'?tre empar? du monde, apr?s avoir contempl? des pays, des ?ges, des r?gnes, le jeune homme revint ? des existences individuelles. Il se repersonnifia, s'empara des d?tails en repoussant la vie des nations comme trop accablante pour un seul homme.

L? dormait un enfant en cire, sauv? du cabinet de Ruysch, et cette ravissante cr?ature lui rappelait les joies de son jeune ?ge. Au prestigieux aspect du pagne virginal de quelque jeune fille d'Ota?ti, sa br?lante imagination lui peignait la vie simple de la nature, la chaste nudit? de la vraie pudeur, les d?lices de la paresse si naturelle ? l'homme, toute une destin?e calme au bord d'un ruisseau frais et r?veur, sous un bananier, qui dispensait une manne savoureuse, sans culture. Mais tout ? coup il devenait corsaire, et rev?tait la terrible po?sie empreinte dans le r?le de Lara, vivement inspir? par les couleurs nacr?es de mille coquillages, exalt? par la vue de quelques madr?pores qui sentaient le varech, les algues et les ouragans atlantiques. Admirant plus loin les d?licates miniatures, les arabesques d'azur et d'or qui enrichissaient quelque pr?cieux missel manuscrit, il oubliait les tumultes de la mer. Mollement balanc? dans une pens?e de paix, il ?pousait de nouveau l'?tude et la science, souhaitait la grasse vie des moines exempte de chagrins, exempte de plaisirs, et se couchait au fond d'une cellule, en contemplant par sa fen?tre en ogive les prairies, les bois, les vignobles de son monast?re. Devant quelques Teniers, il endossait la casaque d'un soldat ou la mis?re d'un ouvrier; il d?sirait porter le bonnet sale et enfum? des Flamands, s'enivrait de bi?re, jouait aux cartes avec eux, et souriait ? une grosse paysanne d'un attrayant embonpoint. Il grelottait en voyant une tomb?e de neige de Mi?ris, ou se battait en regardant un combat de Salvator Rosa. Il caressait un tomhawk d'Illinois, et sentait le scalpel d'un Ch?rok?e qui lui enlevait la peau du cr?ne. ?merveill? ? l'aspect d'un rebec, il le confiait ? la main d'une ch?telaine dont il ?coutait la romance m?lodieuse en lui d?clarant son amour, le soir, aupr?s d'une chemin?e gothique, dans la p?nombre o? se perdait un regard de consentement. Il s'accrochait ? toutes les joies, saisissait toutes les douleurs, s'emparait de toutes les formules d'existence en ?parpillant si g?n?reusement sa vie et ses sentiments sur les simulacres de cette nature plastique et vide, que le bruit de ses pas retentissait dans son ?me comme le son lointain d'un autre monde, comme la rumeur de Paris arrive sur les tours de Notre-Dame.

En montant l'escalier int?rieur qui conduisait aux salles situ?es au premier ?tage, il vit des boucliers votifs, des panoplies, des tabernacles sculpt?s, des figures en bois pendues aux murs, pos?es sur chaque marche. Poursuivi par les formes les plus ?tranges, par des cr?ations merveilleuses assises sur les confins de la mort et de la vie, il marchait dans les enchantements d'un songe; enfin, doutant de son existence, il ?tait comme ces objets curieux, ni tout ? fait mort, ni tout ? fait vivant. Quand il entra dans les nouveaux magasins, le jour commen?ait ? p?lir; mais la lumi?re semblait inutile aux richesses resplendissantes d'or et d'argent qui s'y trouvaient entass?es. Les plus co?teux caprices de dissipateurs morts sous des mansardes apr?s avoir poss?d? plusieurs millions, ?taient dans ce vaste bazar des folies humaines. Une ?critoire pay?e cent mille francs et rachet?e pour cent sous, gisait aupr?s d'une serrure ? secret dont le prix aurait suffi jadis ? la ran?on d'un roi. L?, le g?nie humain apparaissait dans toutes les pompes de sa mis?re, dans toute la gloire de ses petitesses gigantesques. Une table d'?b?ne, v?ritable idole d'artiste, sculpt?e d'apr?s les dessins de Jean Goujon et qui co?ta jadis plusieurs ann?es de travail, avait ?t? peut-?tre acquise au prix du bois ? br?ler. Des coffrets pr?cieux, des meubles faits par la main des f?es, y ?taient d?daigneusement amoncel?s.

--Vous avez des millions ici, s'?cria le jeune homme en arrivant ? la pi?ce qui terminait une immense enfilade d'appartements dor?s et sculpt?s par des artistes du si?cle dernier.

--Dites des milliards, r?pondit le gros gar?on joufflu. Mais ce n'est rien encore; montez au troisi?me ?tage, et vous verrez!

L'inconnu suivit son conducteur et parvint ? une quatri?me galerie o? successivement pass?rent devant ses yeux fatigu?s plusieurs tableaux du Poussin, une sublime statue de Michel-Ange, quelques ravissants paysages de Claude Lorrain, un G?rard Dow qui ressemblait ? une page de Sterne, des Rembrandt, des Murillo, des Velasquez sombres et color?s comme un po?me de lord Byron; puis des bas-reliefs antiques, des coupes d'agate, des onyx merveilleux; enfin c'?tait des travaux ? d?go?ter du travail, des chefs-d'oeuvre accumul?s ? faire prendre en haine les arts et ? tuer l'enthousiasme. Il arriva devant une vierge de Rapha?l, mais il ?tait las de Rapha?l; une figure de Corr?ge qui voulait un regard ne l'obtint m?me pas; un vase inestimable en porphyre antique et dont les sculptures circulaires repr?sentaient, de toutes les priap?es romaines, la plus grotesquement licencieuse, d?lice de quelque Corinne, eut ? peine un sourire. Il ?touffait sous les d?bris de cinquante si?cles ?vanouis, il ?tait malade de toutes ces pens?es humaines, assassin? par le luxe et les arts, oppress? sous ces formes renaissantes qui, pareilles ? des monstres enfant?s sous ses pieds par quelque malin g?nie, lui livraient un combat sans fin. Semblable en ses caprices ? la chimie moderne qui r?sume la cr?ation par un gaz, l'?me ne compose-t-elle pas de terribles poisons par la rapide concentration de ses jouissances, de ses forces ou de ses id?es? Beaucoup d'hommes ne p?rissent-ils pas sous le foudroiement de quelque acide moral soudainement ?pandu dans leur ?tre int?rieur?

--Que contient cette bo?te? demanda-t-il en arrivant ? un grand cabinet, dernier monceau de gloire, d'efforts humains, d'originalit?s, de richesses, parmi lesquelles il montra du doigt une grande caisse carr?e, construite en acajou, suspendue ? un clou par une cha?ne d'argent.

--Ah! monsieur en a la clef, dit le gros gar?on avec un air de myst?re. Si vous d?sirez voir ce portrait, je me hasarderai volontiers ? le pr?venir.

--Vous hasarder? reprit le jeune homme. Votre ma?tre est-il un prince?

--Mais, je ne sais pas, r?pondit le gar?on.

Ils se regard?rent pendant un moment aussi ?tonn?s l'un que l'autre. L'apprenti interpr?ta le silence de l'inconnu comme un souhait, et le laissa seul dans le cabinet.

Vous ?tes-vous jamais lanc? dans l'immensit? de l'espace et du temps, en lisant les oeuvres g?ologiques de Cuvier? Emport? par son g?nie, avez-vous plan? sur l'ab?me sans bornes du pass?, comme soutenu par la main d'un enchanteur? En d?couvrant de tranche en tranche, de couche en couche, sous les carri?res de Montmartre ou dans les schistes de l'Oural, ces animaux dont les d?pouilles fossilis?es appartiennent ? des civilisations ant?diluviennes, l'?me est effray?e d'entrevoir des milliards d'ann?es, des millions de peuples que la faible m?moire humaine, que l'indestructible tradition divine ont oubli?s et dont la cendre, pouss?e ? la surface de notre globe, y forme les deux pieds de terre qui nous donnent du pain et des fleurs. Cuvier n'est-il pas le plus grand po?te de notre si?cle? Lord Byron a bien reproduit par des mots quelques agitations morales; mais notre immortel naturaliste a reconstruit des mondes avec des os blanchis, a reb?ti comme Cadmus des cit?s avec des dents, a repeupl? mille for?ts de tous les myst?res de la zoologie avec quelques fragments de houille, a retrouv? des populations de g?ants dans le pied d'un mammouth. Ces figures se dressent, grandissent et meublent des r?gions en harmonie avec leurs statures colossales. Il est po?te avec des chiffres, il est sublime en posant un z?ro pr?s d'un sept. Il r?veille le n?ant sans prononcer des paroles grandement magiques; il fouille une parcelle de gypse, y aper?oit une empreinte, et vous crie: Voyez! Soudain les marbres s'animalisent, la mort se vivifie, le monde se d?roule! Apr?s d'innombrables dynasties de cr?atures gigantesques, apr?s des races de poissons et des clans de mollusques, arrive enfin le genre humain, produit d?g?n?r? d'un type grandiose, bris? peut-?tre par le Cr?ateur. ?chauff?s par son regard r?trospectif, ces hommes ch?tifs, n?s d'hier, peuvent franchir le chaos, entonner un hymne sans fin et se configurer le pass? de l'univers dans une sorte d'Apocalypse r?trograde. En pr?sence de cette ?pouvantable r?surrection due ? la voix d'un seul homme, la miette dont l'usufruit nous est conc?d? dans cet infini sans nom, commun ? toutes les sph?res et que nous avons nomm? LE TEMPS, cette minute de vie nous fait piti?. Nous nous demandons, ?cras?s que nous sommes sous tant d'univers en ruines, ? quoi bon nos gloires, nos haines, nos amours; et si, pour devenir un point intangible dans l'avenir, la peine de vivre doit s'accepter? D?racin?s du pr?sent, nous sommes morts jusqu'? ce que notre valet de chambre entre et vienne nous dire: Madame la comtesse a r?pondu qu'elle attendait monsieur.

--Monsieur d?sire voir le portrait de J?sus-Christ peint par Rapha?l? lui dit courtoisement le vieillard d'une voix dont la sonorit? claire et br?ve avait quelque chose de m?tallique. Et il posa la lampe sur le f?t d'une colonne bris?e, de mani?re ? ce que la bo?te brune re??t toute la clart?.

--J'ai couvert cette toile de pi?ces d'or, dit froidement le marchand.

--Eh! bien, il va falloir mourir, s'?cria le jeune homme qui sortait d'une r?verie dont la derni?re pens?e l'avait ramen? vers sa fatale destin?e, en le faisant descendre, par d'insensibles d?ductions, d'une derni?re esp?rance ? laquelle il s'?tait attach?.

--Ah! ah! j'avais donc raison de me m?fier de toi, r?pondit le vieillard en saisissant les deux mains du jeune homme qu'il serra par les poignets dans l'une des siennes, comme dans un ?tau.

L'inconnu sourit tristement de cette m?prise et dit d'une voix douce:--H?! monsieur, ne craignez rien, il s'agit de ma vie et non de la v?tre. Pourquoi n'avouerais-je pas une innocente supercherie, reprit-il apr?s avoir regard? le vieillard inquiet. En attendant la nuit, afin de pouvoir me noyer sans esclandre, je suis venu voir vos richesses. Qui ne pardonnerait ce dernier plaisir ? un homme de science et de po?sie?

Le soup?onneux marchand examina d'un oeil sagace le morne visage de son faux chaland tout en l'?coutant parler. Rassur? bient?t par l'accent de cette voix douloureuse, ou lisant peut-?tre dans ces traits d?color?s les sinistres destin?es qui nagu?re avaient fait fr?mir les joueurs, il l?cha les mains; mais par un reste de suspicion qui r?v?la une exp?rience au moins centenaire, il ?tendit nonchalamment le bras vers un buffet comme pour s'appuyer, et dit en y prenant un stylet:--?tes-vous depuis trois ans surnum?raire au tr?sor, sans y avoir touch? de gratification?

L'inconnu ne put s'emp?cher de sourire en faisant un geste n?gatif.

--Votre p?re vous a-t-il trop vivement reproch? d'?tre venu au monde, ou bien ?tes-vous d?shonor??

--Si je voulais me d?shonorer, je vivrais.

--Avez-vous ?t? siffl? aux Funambules, ou vous trouvez-vous oblig? de composer des flons-flons pour payer le convoi de votre ma?tresse? N'auriez-vous pas plut?t la maladie de l'or? voulez-vous d?tr?ner l'ennui? Enfin, quelle erreur vous engage ? mourir?

--Ne cherchez pas le principe de ma mort dans les raisons vulgaires qui commandent la plupart des suicides. Pour me dispenser de vous d?voiler des souffrances inou?es et qu'il est difficile l'exprimer en langage humain, je vous dirai que je suis dans la plus profonde, la plus ignoble, la plus per?ante de toutes les mis?res. Et, ajouta-t-il d'un ton de voix dont la fiert? sauvage d?mentait ses paroles pr?c?dentes, je ne veux mendier ni secours ni consolations.

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