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Read Ebook: La Comédie humaine - Volume 14 by Balzac Honor De

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Ebook has 1914 lines and 191628 words, and 39 pages

--Ne cherchez pas le principe de ma mort dans les raisons vulgaires qui commandent la plupart des suicides. Pour me dispenser de vous d?voiler des souffrances inou?es et qu'il est difficile l'exprimer en langage humain, je vous dirai que je suis dans la plus profonde, la plus ignoble, la plus per?ante de toutes les mis?res. Et, ajouta-t-il d'un ton de voix dont la fiert? sauvage d?mentait ses paroles pr?c?dentes, je ne veux mendier ni secours ni consolations.

--Eh! eh! Ces deux syllabes que d'abord le vieillard fit entendre pour toute r?ponse ressembl?rent au cri d'une cr?celle. Puis il reprit ainsi:--Sans vous forcer ? m'implorer, sans vous faire rougir, et sans vous donner un centime de France, un parat du Levant, un tarain de Sicile, un heller d'Allemagne, une seule des sesterces ou des oboles de l'ancien monde, ni une piastre du nouveau, sans vous offrir quoi que ce soit en or, argent, billon, papier, billet, je veux vous faire plus riche, plus puissant et plus consid?r? que ne peut l'?tre un roi constitutionnel.

Le jeune homme crut le vieillard en enfance, et resta comme engourdi, sans oser r?pondre.

--Retournez-vous, dit le marchand en saisissant tout ? coup la lampe pour en diriger la lumi?re sur le mur qui faisait face au portrait, et regardez cette PEAU DE CHAGRIN, ajouta-t-il.

--Ah! ah! s'?cria-t-il, voici l'empreinte du sceau que les Orientaux nomment le cachet de Salomon.

--Vous le connaissez donc? demanda le marchand, dont les narines laiss?rent passer deux ou trois bouff?es d'air qui peignirent plus d'id?es que n'en pouvaient exprimer les plus ?nergiques paroles.

--Existe-t-il au monde un homme assez simple pour croire ? cette chim?re? s'?cria le jeune homme, piqu? d'entendre ce rire muet et plein d'am?res d?risions. Ne savez-vous pas, ajouta-t-il, que les superstitions de l'Orient ont consacr? la forme mystique et les caract?res mensongers de cet embl?me qui repr?sente une puissance fabuleuse? Je ne crois pas devoir ?tre plus tax? de niaiserie dans cette circonstance que si je parlais des Sphinx ou des Griffons, dont l'existence est en quelque sorte scientifiquement admise.

--Puisque vous ?tes un orientaliste, reprit le vieillard, peut-?tre lirez-vous cette sentence.

Il apporta la lampe pr?s du talisman que le jeune homme tenait ? l'envers, et lui fit apercevoir des caract?res incrust?s dans le tissu cellulaire de cette peau merveilleuse, comme s'ils eussent ?t? produits par l'animal auquel elle avait jadis appartenu.

--J'avoue, s'?cria l'inconnu, que je ne devine gu?re le proc?d? dont on se sera servi pour graver si profond?ment ces lettres sur la peau d'un onagre.

Et, se retournant avec vivacit? vers les tables charg?es de curiosit?s, ses yeux parurent y chercher quelque chose.

--Que voulez-vous? demanda le vieillard.

--Un instrument pour trancher le chagrin, afin de voir si les lettres y sont empreintes ou incrust?es.

Le vieillard pr?senta son stylet ? l'inconnu, qui le prit et tenta d'entamer la peau ? l'endroit o? les paroles se trouvaient ?crites; mais, quand il eut enlev? une l?g?re couche de cuir, les lettres y reparurent si nettes et tellement conformes ? celles qui ?taient imprim?es sur la surface, que, pendant un moment, il crut n'en avoir rien ?t?.

--L'industrie du Levant a des secrets qui lui sont r?ellement particuliers, dit-il en regardant la sentence orientale avec une sorte d'inqui?tude.

--Oui, r?pondit le vieillard, il vaut mieux s'en prendre aux hommes qu'? Dieu!

Les paroles myst?rieuses ?taient dispos?es de la mani?re suivante:

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Ce qui voulait dire en fran?ais:

--Ah! vous lisez couramment le sanscrit, dit le vieillard. Peut-?tre avez-vous voyag? en Perse ou dans le Bengale?

--Non, monsieur, r?pondit le jeune homme en t?tant avec curiosit? cette peau symbolique, assez semblable ? une feuille de m?tal par son peu de flexibilit?.

Le vieux marchand remit la lampe sur la colonne o? il l'avait prise, en lan?ant au jeune homme un regard empreint d'une froide ironie qui semblait dire: Il ne pense d?j? plus ? mourir.

--Est-ce une plaisanterie, est-ce un myst?re? demanda le jeune inconnu.

Le vieillard hocha de la t?te et dit gravement:--Je ne saurais vous r?pondre. J'ai offert le terrible pouvoir que donne ce talisman ? des hommes dou?s de plus d'?nergie que vous ne paraissiez en avoir; mais, tout en se moquant de la probl?matique influence qu'il devait exercer sur leurs destin?es futures, aucun n'a voulu se risquer ? conclure ce contrat si fatalement propos? par je ne sais quelle puissance. Je pense comme eux, j'ai dout?, je me suis abstenu, et...

--Et vous n'avez pas m?me essay?? dit le jeune homme en l'interrompant.

--Eh! bien, oui, je veux vivre avec exc?s, dit l'inconnu en saisissant la Peau de chagrin.

--Jeune homme, prenez garde, s'?cria le vieillard avec une incroyable vivacit?.

--J'avais r?solu ma vie par l'?tude et par la pens?e; mais elles ne m'ont m?me pas nourri, r?pliqua l'inconnu. Je ne veux ?tre la dupe ni d'une pr?dication digne de Swedenborg, ni de votre amulette orientale, ni des charitables efforts que vous faites, monsieur, pour me retenir dans un monde o? mon existence est d?sormais impossible. Voyons! ajouta-t-il en serrant le talisman d'une main convulsive et regardant le vieillard. Je veux un d?ner royalement splendide, quelque bacchanale digne du si?cle o? tout s'est, dit-on, perfectionn?! Que mes convives soient jeunes, spirituels et sans pr?jug?s, joyeux jusqu'? la folie! que les vins se succ?dent toujours plus incisifs, plus p?tillants, et soient de force ? nous enivrer pour trois jours! Que la nuit soit par?e de femmes ardentes! Je veux que la D?bauche en d?lire et rugissante nous emporte dans son char ? quatre chevaux, par-del? les bornes du monde, pour nous verser sur des plages inconnues: que les ?mes montent dans les cieux ou se plongent dans la boue, je ne sais si alors elles s'?l?vent ou s'abaissent; peu m'importe! Donc je commande ? ce pouvoir sinistre de me fondre toutes les joies dans une joie. Oui, j'ai besoin d'embrasser les plaisirs du ciel et de la terre dans une derni?re ?treinte pour en mourir. Aussi souhait?-je et des priap?es antiques apr?s boire, et des chants ? r?veiller les morts, et de triples baisers, des baisers sans fin dont le bruit passe sur Paris comme un craquement d'incendie, y r?veille les ?poux et leur inspire une ardeur cuisante qui rajeunisse m?me les septuag?naires!

Un ?clat de rire, parti de la bouche du petit vieillard, retentit dans les oreilles du jeune fou comme un bruissement de l'enfer, et l'interdit si despotiquement qu'il se tut.

--Croyez-vous, dit le marchand, que mes planchers vont s'ouvrir tout ? coup pour donner passage ? des tables somptueusement servies et ? des convives de l'autre monde? Non, non, jeune ?tourdi. Vous avez sign? le pacte: tout est dit. Maintenant vos volont?s seront scrupuleusement satisfaites, mais aux d?pens de votre vie. Le cercle de vos jours, figur? par cette peau, se resserrera suivant la force et le nombre de vos souhaits, depuis le plus l?ger jusqu'au plus exorbitant. Le brachmane auquel je dois ce talisman m'a jadis expliqu? qu'il s'op?rerait un myst?rieux accord entre les destin?es et les souhaits du possesseur. Votre premier d?sir est vulgaire, je pourrais le r?aliser; mais j'en laisse le soin aux ?v?nements de votre nouvelle existence. Apr?s tout, vous vouliez mourir? h?! bien, votre suicide n'est que retard?.

L'inconnu, surpris et presque irrit? de se voir toujours plaisant? par ce singulier vieillard dont l'intention demi-philanthropique lui parut clairement d?montr?e dans cette derni?re raillerie, s'?cria:--Je verrai bien, monsieur, si ma fortune changera pendant le temps que je vais mettre ? franchir la largeur du quai. Mais, si vous ne vous moquez pas d'un malheureux, je d?sire, pour me venger d'un si fatal service, que vous tombiez amoureux d'une danseuse! Vous comprendrez alors le bonheur d'une d?bauche, et peut-?tre deviendrez-vous prodigue de tous les biens que vous avez si philosophiquement m?nag?s.

Il sortit sans entendre un grand soupir que poussa le vieillard, traversa les salles et descendit les escaliers de cette maison, suivi par le gros gar?on joufflu qui voulut vainement l'?clairer: il courait avec la prestesse d'un voleur pris en flagrant d?lit. Aveugl? par une sorte de d?lire, il ne s'aper?ut m?me pas de l'incroyable ductilit? de la Peau de chagrin, qui, devenue souple comme un gant, se roula sous ses doigts fr?n?tiques et put entrer dans la poche de son habit o? il la mit presque machinalement. En s'?lan?ant de la porte du magasin sur la chauss?e, il heurta trois jeunes gens qui se tenaient bras dessus bras dessous.

--Animal!

--Imb?cile!

Telles furent les gracieuses interpellations qu'ils ?chang?rent.

--Eh! c'est Rapha?l.

--Ah bien! nous te cherchions.

--Quoi! c'est vous?

Ces trois phrases amicales succ?d?rent ? l'injure aussit?t que la clart? d'un r?verb?re balanc? par le vent frappa les visages de ce groupe ?tonn?.

--Mon cher ami, dit ? Rapha?l le jeune homme qu'il avait failli renverser, tu vas venir avec nous.

--De quoi s'agit-il donc?

--Avance toujours, je te conterai l'affaire en marchant.

De force ou de bonne volont?, Rapha?l fut entour? de ses amis, qui, l'ayant encha?n? par les bras dans leur joyeuse bande, l'entra?n?rent vers le Pont-des-Arts.

--Mon cher, dit l'orateur en continuant, nous sommes ? ta poursuite depuis une semaine environ. A ton respectable h?tel Saint-Quentin, dont par parenth?se l'enseigne inamovible offre des lettres toujours alternativement noires et rouges comme au temps de J.-J. Rousseau, ta L?onarde nous a dit que tu ?tais parti pour la campagne au mois de juin. Cependant nous n'avions certes pas l'air de gens d'argent, huissiers, cr?anciers, garde du commerce, etc. N'importe! Rastignac t'avait aper?u la veille aux Bouffons, nous avons repris courage, et mis de l'amour-propre ? d?couvrir si tu te perchais sur les arbres des Champs-?lys?es, si tu allais coucher pour deux sous dans ces maisons philanthropiques o? les mendiants dorment appuy?s sur des cordes tendues, ou si, plus heureux, ton bivouac n'?tait pas ?tabli dans quelque boudoir. Nous ne t'avons rencontr? nulle part, ni sur les ?crous de Sainte-P?lagie, ni sur ceux de la Force! Les minist?res, l'Op?ra, les maisons conventuelles, caf?s, biblioth?ques, listes de pr?fets, bureaux de journalistes, restaurants, foyers de th??tre, bref, tout ce qu'il y a dans Paris de bons et de mauvais lieux ayant ?t? savamment explor?s, nous g?missions sur la perte d'un homme dou? d'assez de g?nie pour se faire ?galement chercher ? la cour et dans les prisons. Nous parlions de te canoniser comme un h?ros de juillet! et, ma parole d'honneur, nous te regrettions.

En ce moment, Rapha?l passait avec ses amis sur le Pont-des-Arts, d'o?, sans les ?couter, il regardait la Seine dont les eaux mugissantes r?p?taient les lumi?res de Paris. Au-dessus de ce fleuve, dans lequel il voulait se pr?cipiter nagu?re, les pr?dictions du vieillard ?taient accomplies, l'heure de sa mort se trouvait d?j? fatalement retard?e.

--Oui, r?pondit le jeune homme, moins ?tonn? de l'accomplissement de ses souhaits que surpris de la mani?re naturelle par laquelle les ?v?nements s'encha?naient; et, quoiqu'il lui f?t impossible de croire ? une influence magique, il admirait les hasards de la destin?e humaine.

--Mais tu nous dis oui, comme si tu pensais ? la mort de ton grand-p?re, lui r?pliqua l'un de ses voisins.

--Ah! reprit Rapha?l avec un accent de na?vet? qui fit rire ces ?crivains, l'espoir de la jeune France, je pensais, mes amis, que nous voil? pr?s de devenir de bien grands coquins! Jusqu'? pr?sent nous avons fait de l'impi?t? entre deux vins, nous avons pes? la vie ?tant ivres, nous avons pris? les hommes et les choses en dig?rant; vierges du fait, nous ?tions hardis en paroles; mais marqu?s maintenant par le fer chaud de la politique, nous allons entrer dans ce grand bagne et y perdre nos illusions. Quand on ne croit plus qu'au diable, il est permis de regretter le paradis de la jeunesse, le temps d'innocence o? nous tendions d?votement la langue ? un bon pr?tre, pour recevoir le sacr? corps de notre Seigneur J?sus-Christ. Ah! mes bons amis, si nous avons eu tant de plaisir ? commettre nos premiers p?ch?s, c'est que nous avions des remords pour les embellir et leur donner du piquant, de la saveur; tandis que maintenant...

--Oh! maintenant, reprit le premier interlocuteur, il nous reste...

--Quoi? dit un autre.

--Le crime...

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