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Read Ebook: Sous les marronniers en fleurs by Bachelin Henri

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Ebook has 417 lines and 23203 words, and 9 pages

Release date: October 8, 2023

Original publication: Paris: Soci?t? litt?raire de France, 1920

Credits: Laurent Vogel

COLLECTION "ESSAIS ET NOUVELLES" 1920

HENRI BACHELIN

SOUS LES MARRONNIERS EN FLEURS

PARIS Soci?t? Litt?raire de France, 10, rue de l'Od?on

Tous droits r?serv?s.

Quand j'essaie de jeter un regard en arri?re sur les premi?res ann?es de mon enfance, elles m'apparaissent comme un pays merveilleux qu'en pleine nuit j'ai travers?, bien avant le lever du soleil sur les champs et sur les maisons. De ci, de l?, pourtant, un souvenir brille comme la lanterne qu'un homme d'?quipe balance sur le quai. Partout ailleurs c'est l'ombre, c'est un brouillard que creuse le vent de la mort sans r?ussir ? le dissiper. Des vieux et des vieilles dont j'avais peur quand je les rencontrais ont pris depuis longtemps le chemin du cimeti?re, des hommes et des femmes aussi que j'ai connus dans la force de l'?ge, et encore des jeunes filles qui avaient dix-huit ans lorsque j'en avais quatre et que je consid?rais comme de grandes dames tr?s importantes. Il me semble parfois que de loin ils me fassent signe. Qu'attendent-ils de moi? Que je leur crie de se lever en les appelant par leurs noms? Comment le pourrais-je, ne les ayant jamais sus? Ils sont pour moi des anonymes dont au cimeti?re il ne reste m?me plus une pinc?e de cendre.

Jusqu'? ce que j'eusse l'?ge de raison je fr?quentai l'?cole maternelle qu'on appelait la salle d'asile et que dirigeait soeur Marthe. C'?tait ? cent pas de notre maison, mais chaque fois que j'y allais il me semblait partir pour un pays tr?s ?loign?. Quand il y avait de la neige, mon p?re me portait sur ses ?paules. Je longeais la douzaine de sapins plant?s au-dessous du petit arbre de la Libert?, regardant avec crainte les trois ou quatre chemins qui s'entrecroisaient dans ces parages; si je ne suivais pas le bon, Dieu sait o? je finirais par m'?garer!

A sept ans on m'envoya ? l'?cole des fr?res. Et ce fut ? dater de cette ?poque que ma m?re commen?a ? me reprocher de n'?tre pas comme les autres.

Ils aimaient les jeux bruyants, saluaient jusqu'? terre les messieurs et les dames qu'ils rencontraient, ?taient ob?issants au point de pr?venir les ordres et m?me les d?sirs de leurs m?res.

Je pr?f?rais, le jeudi, m'acagnarder ? lire. Je n'aimais pas ? courir dans les bois: des b?tes terribles y devaient habiter. Et je ne pensais ni aux renards ni aux loups. Mais les grenouilles, les crapauds, les l?zards, les serpents, d'autres b?tes encore dont jamais je ne saurais les noms, qui remuent dans les t?n?bres, au fond des eaux croupies, avec des yeux ? fleur de t?te, des membres inachev?s, et qui venaient me visiter dans mes cauchemars! Tout au plus allais-je jusqu'aux premiers arbres du bois de la cascade. Quelques minutes j'?coutais l'eau tomber dans le ravin; je regardais s'?tendre devant moi la vaste plaine qui me r?sumait le monde, et je me h?tais de rentrer, apeur? de sentir la solitude me happer de toutes ses tentacules.

J'avais contract? la manie de diss?quer et mes sentiments et ceux que je pr?tais aux autres. Il m'en co?tait d'?tre poli avec les gens que je croisais dans les rues ou trouvais ? la maison, et d'ex?cuter les ordres que me donnait ma m?re. J'eus mon orgueil d'enfant, qui me fit me croire p?tri d'une autre p?te que ceux de mon ?ge et m?me que ces vieilles filles dont les mani?res et les cancans m'exasp?raient, que ces graves messieurs dont la suffisance me paraissait ridicule.

Je devinais que si tout ? coup j'?tais redevenu pareil aux autres,--il en ?tait peut-?tre temps encore?--c'e?t ?t? une trop grande satisfaction pour ma m?re: de ce revirement elle n'aurait pas manqu? de s'attribuer le m?rite; je ne l'aurais d? qu'? l'efficacit? de ses pri?res et de ses gifles. Et je m'obstinais. Plus j'allais et moins je ressemblais aux autres dont rien, jusqu'? l'?ge de sept ans, ne m'avait distingu?, et moins je ressemblais ? celui que j'aurais pu ?tre. Je me d?formais ? plaisir et pour ma joie personnelle, une joie plus ?pre encore que la saveur de ces grains de raisins que je d?robais ? notre treille d?s les premiers jours de juillet. J'?tudiais mon r?le jusqu'au jour, qui ne tarda gu?re, o? je fus, non plus l'acteur, mais le h?ros de ma propre vie.

Quelquefois, les jeudis d'hiver, quand je me tenais derri?re notre porte, un livre ? la main et le nez contre la vitre pour profiter d'un reste de lumi?re, j'apercevais un enfant de mon ?ge qui rasait le mur des promenades et regardait du c?t? de notre maison. Il avait une grosse t?te aux yeux ?tonn?s, aux oreilles ?cart?es. Il marchait en battant le briquet, et balan?ait ses mains comme des choses molles. Je me retirais vite. Sans savoir pourquoi, j'avais aussi peur de lui que d'une b?te des bois.

Un jour qu'il r?dait selon son habitude, ma m?re ? qui je refusais d'ob?ir s'?cria, en me le d?signant du doigt:

--Tiens! veux-tu que je te dise? Tu n'es qu'un original. Tu es encore pire que lui, car au moins il <> sa m?re, lui!

Je ne protestai point, bless? dans mon amour-propre: je n'?tais donc pas seul ? n'?tre pas comme les autres? A huit ans ? peine commen?ais-je ? prendre contact avec ma petite ville. Certes, j'allais maintenant un peu plus loin que la salle d'asile, mais les quartiers voisins du n?tre m'en paraissaient effroyablement distants, et je n'osais point traverser la grand'rue. A l'?cole des fr?res j'?tais encore parmi les petits, et me tenais ? l'?cart des grands. A plus forte raison ignorais-je les ?l?ves de l'?cole communale.

En m?me temps que le nom de mon rival je finis par apprendre qu'il fr?quentait cette ?cole et que ses camarades l'y avaient surnomm? Berl?ne. Je m'applaudis de ce que l'on ne m'e?t pas donn? d'aussi ridicule sobriquet.

Le lundi matin en arrivant ? l'?cole, il fut ?tonn? que l'on y r?cit?t la pri?re. Quelques-uns d'entre nous ?taient agenouill?s pour de bon sur les bancs qui font corps avec les tables, mais le bois rude, bien que poli et luisant, leur meurtrissant les os, ils ne cessaient pas de remuer. D'autres, ceux du fond surtout, n'?taient agenouill?s qu'? demi. Deux grands en blouse, qu'il trouva tr?s cr?nes, n'h?sitaient pas ? se tenir debout, la jambe gauche ? peine repli?e sur le banc. N'ayant pas encore de place il resta pr?s de la porte.

Comme nous nous retournions pour le voir, il jugea bon de regarder les cartes et le plafond pour nous bien prouver que la religion ne l'int?ressait pas: venant de l'?cole communale d'o? l'on avait retir? tous les crucifix, il savait ? quoi s'en tenir. Son p?re, que tout le monde consid?rait comme un libre-penseur, ?tant mort, sa m?re n'avait rien eu de plus press? que de l'enlever ? l'instituteur pour le confier aux fr?res.

Il laissait l?-bas des habitudes, un ou deux camarades. Peut-?tre pensait-il y laisser aussi son sobriquet.

D?s que la pri?re fut termin?e il entendit chuchoter:

--Berl?ne... C'est Berl?ne...

L'?cole des fr?res et celle de l'instituteur avaient beau ?tre situ?es ? une certaine distance l'une de l'autre: le jeudi, les gamins de la ville se r?unissaient pour jouer; chaque matin et chaque soir ceux des villages venaient et s'en retournaient ensemble, sans distinction d'opinions religieuses. On n'ignorait pas dans l'une ce qui se passait dans l'autre.

<>

--Dumas, lui dit le fr?re, mettez-vous l?, en attendant.

Il lui d?signait la derni?re table.

A la r?cr?ation de dix heures nous n'e?mes pas plus t?t rompu les rangs que quelqu'un cria:

--Berl?ne! Berl?ne!

Nous f?mes cercle autour de lui. Je l'examinais avec curiosit?. Pour la premi?re fois nous nous trouvions en face l'un de l'autre. Tout de m?me, pensai-je, j'ai l'air moins b?te que lui. Bien qu'il trembl?t, il essaya de nous intimider. Nos regards se crois?rent. Il n'eut plus l'air que d'un pauvre animal qui implore secours. Je tressaillis et, le premier, me d?tournai. Mais ils ?taient trop contre lui seul: il dut baisser les yeux. Le fr?re arrivait, le pouce et l'index plong?s dans sa tabati?re. Nous nous dispers?mes pour jouer.

Je venais de passer dans la premi?re classe, celle des grands qui, d'abord, aux r?cr?ations et ? la sortie du soir, m'en avaient fait voir de rudes. Mais il leur fallut bient?t me prendre en consid?ration, tant j'eus vite fait de les rattraper et m?me de les d?passer en le?ons et en devoirs. Je jouais comme eux et avec eux, tant?t contre mon gr?, tant?t m'oubliant jusqu'? y prendre go?t.

Il fut facile de voir que Berl?ne n'aimait pas prendre part ? nos amusements. Pourtant, aux r?cr?ations du matin et de l'apr?s-midi, il fallait bien que, comme nous, il sort?t dans la cour. Mais il commen?ait par aller aux cabinets, c?dait son tour, puis cherchait des yeux le groupe le plus pacifique. Jouer aux billes lui plaisait; on ne se bouscule pas, on ne crie pas. Bien qu'il ne gagn?t pas souvent, c'?tait toujours lui qui proposait une partie.

L'hiver, ? cause du froid, il essaya de se terrer dans un coin du hangar. Mais le fr?re le rejoignait en se frottant les mains:

--Allons, allons, Dumas! Vous avez l'air gel?! Voyons, remuez-vous! Jouez avec vos camarades!

Ses camarades! Dans la neige il enfon?ait ses doigts gourds. Sans force, au petit bonheur, il lan?ait ses boules mal p?tries: ? peu de distance elles s'?parpillaient en poussi?re blanche. Les autres--ses camarades,--serraient les leurs entre leurs genoux pour qu'elles fussent plus dures,--moi je me contentais de faire semblant,--et c'?tait lui qu'ils visaient en criant:

--Sur Berl?ne! Sur Berl?ne!

Chaque fois qu'on l'appelait ainsi--et il n'y avait ? ne le point faire que le fr?re, qui lui donnait son vrai nom, et moi, qui ne lui adressais point la parole,--il p?lissait comme s'il avait re?u au coeur un coup de couteau. J'?tais ?go?stement heureux qu'il f?t l?. Sans lui j'aurais pu, comme cela m'?tait arriv? quelques fois malgr? mes bonnes places, servir de cible. A la fin, le fr?re ?tait oblig? d'intervenir. Pour lui, je voyais qu'? grand'peine il retenait ses larmes. Il ne nous avait jamais fait de mal: pourquoi donc avions-nous l'air de lui en vouloir? Ah! le pauvre risque-tout qui nous ?tait venu de l'?cole communale!

Il essayait surtout de se rapprocher de moi. Il devait aussi me conna?tre de r?putation, et sans doute ne s'expliquait-il point que je ne lui eusse pas tout de suite tendu la main. Mais j'avais d?j? bien assez de moi-m?me et mettais tous mes soins ? l'?viter, tant il me semblait voir en lui mon double d?form? et caricatural. Ma r?pulsion instinctive de nagu?re s'?tait chang?e en curiosit? inqui?te. A la d?rob?e, je l'observais continuellement. Sans en avoir l'air, j'?tais au courant de tout ce qu'il faisait. Le moindre indice me suffisait ? reconstituer ce que j'ignorais de sa vie. Nous ?tions semblables ? deux jumeaux qui d?s la minute de leur naissance ont ?t? s?par?s et qu'un hasard rapproche plusieurs ann?es apr?s. Je le regrettais. Lui, je devinais qu'il en ?tait heureux. Je n'avais plus, pour me prot?ger, le rempart des murs ni de la porte de notre maison. Dans la salle de l'?cole nous ?tions ? plusieurs tables de distance l'un de l'autre, mais il m'arrivait, malgr? que je prisse toutes mes pr?cautions, de le coudoyer dans la cour. Sa grosse t?te aux yeux ?tonn?s, j'aurais pu la toucher. Il s'arr?tait, attendant que je lui parle: je me h?tais au contraire de m'?loigner. Je n'aurais pas voulu le faire souffrir directement ? l'exemple des autres, et j'?tais peut-?tre plus cruel qu'eux.

Quand le printemps fut venu, il trouva la paix sous les marronniers en fleurs. A mesure qu'il faisait plus chaud, notre besoin de mouvement et de jeux parfois brutaux s'apaisait. Dans la poussi?re nous nous asseyions le dos au mur. Lui, tout seul, faisait des petits tas de sable et de belles fleurs rouges qui, pr?matur?ment, ? un souffle de brise, tombaient des branches.

Son ?criture ?tait anguleuse et nette. Ses livres, soigneusement recouverts de ce papier glac? dans lequel on enveloppe les paquets de biscuits, n'avaient pas une tache. Mais, quoiqu'il f?t plein de bonne volont?, il comprenait difficilement les donn?es des probl?mes et n'avait pas beaucoup de m?moire. M?me lorsqu'? force de s'appliquer il avait fini par apprendre sa le?on, il ne pouvait la r?citer. D?s qu'il voyait arriver son tour il se mettait ? trembler. D'habitude, il b?gayait un peu, mais alors son ?motion ?tait si forte qu'il ne pouvait prononcer trois mots de suite.

Le fr?re disait ? Mme Dumas:

--C'est sa timidit? qui lui fait le plus de tort.

Il ne pouvait pourtant pas ajouter:

--Et surtout il n'est pas intelligent.

Mme Dumas se serait sans doute f?ch?e. Il faut conna?tre les parents et m?nager leur susceptibilit?.

Il ne quitta point la derni?re table. Tous les samedis, d'apr?s les notes de la semaine, nous changions de places, le premier occupant le bout de la premi?re table, pr?s du bureau du fr?re. Les plus dissip?s, qui avaient les moins bonnes notes, ?taient les plus ?loign?s de toute surveillance. Quel supplice pour Berl?ne d'?tre ? c?t? d'eux!

Le jour de la distribution des prix fut un beau Dimanche d'?t? comme je n'en ai jamais vu que dans mon pays, un Dimanche qui sentait la r?sine des sapins, le parfum des tilleuls, l'odeur forte des marronniers: on aurait m?me dit qu'il sentait le soleil. Dans la cour de l'?cole avait ?t? dress?e une estrade en planches recouvertes de tapis apport?s de l'?glise; de l'?glise aussi on avait descendu des chaises et des bancs aussit?t apr?s la grand'messe; des chaises, c'?tait ? qui en porterait le plus sur sa t?te, accroch?es les unes aux autres par les pieds: les plus grands et les plus forts disparaissaient presque sous l'enchev?trement des si?ges de paille et des montants. Berl?ne, qui n'?tait ni grand ni fort, voulut tout de m?me en descendre quatre; ? mi-chemin il fut oblig? de s'arr?ter, tellement il ?tait las et en sueur.

C'?tait un beau Dimanche et un grand jour que nous attendions tous depuis longtemps. Nous chant?mes des choeurs; des discours furent prononc?s; il y eut des r?citations de monologues comiques, et surtout la lecture du palmar?s. Berl?ne eut le prix de bonne conduite et n'eut que celui-l?. J'avais ?t? appel? bien avant lui, et j'avais regagn? ma place, tremblant encore d'?motion pour ?tre mont? sur l'estrade o? recevoir ma couronne et mes livres; mais enfin, j'?tais d?barrass?, et je me r?jouissais ? l'id?e de voir comment lui se comporterait. Il se leva, s'imaginant lui aussi que tous les regards ?taient fix?s sur lui. Comme l'assistance ?tait nombreuse! Il y avait dans la cour certainement plus de la moiti? de la petite ville, et beaucoup de paysans ?taient tout expr?s venus de leurs villages. Il tr?bucha en montant sur l'estrade, re?ut sa couronne et son livre, et, suivant la coutume, descendit pour aller se faire couronner par sa m?re. A ce moment, il devint ?carlate de honte, parce qu'il lui fallut traverser une partie de la cour pour atteindre sa m?re. Je la vis qui l'embrassait en s'essuyant les yeux. Mais ce n'?tait sans doute que de joie qu'elle pleurait, parce qu'il avait le prix de bonne conduite.

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