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Read Ebook: Sous les marronniers en fleurs by Bachelin Henri

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Ebook has 417 lines and 23203 words, and 9 pages

C'?tait un beau Dimanche et un grand jour que nous attendions tous depuis longtemps. Nous chant?mes des choeurs; des discours furent prononc?s; il y eut des r?citations de monologues comiques, et surtout la lecture du palmar?s. Berl?ne eut le prix de bonne conduite et n'eut que celui-l?. J'avais ?t? appel? bien avant lui, et j'avais regagn? ma place, tremblant encore d'?motion pour ?tre mont? sur l'estrade o? recevoir ma couronne et mes livres; mais enfin, j'?tais d?barrass?, et je me r?jouissais ? l'id?e de voir comment lui se comporterait. Il se leva, s'imaginant lui aussi que tous les regards ?taient fix?s sur lui. Comme l'assistance ?tait nombreuse! Il y avait dans la cour certainement plus de la moiti? de la petite ville, et beaucoup de paysans ?taient tout expr?s venus de leurs villages. Il tr?bucha en montant sur l'estrade, re?ut sa couronne et son livre, et, suivant la coutume, descendit pour aller se faire couronner par sa m?re. A ce moment, il devint ?carlate de honte, parce qu'il lui fallut traverser une partie de la cour pour atteindre sa m?re. Je la vis qui l'embrassait en s'essuyant les yeux. Mais ce n'?tait sans doute que de joie qu'elle pleurait, parce qu'il avait le prix de bonne conduite.

Elle ?tait propri?taire, dans la grand'rue, d'une boutique de mercerie ? devanture blanche. Elle y gagnait assez pour elle et pour lui. Ils n'avaient ni l'un ni l'autre de grands besoins, et jamais il ne lui demandait d'argent pour les f?tes; le bruit, d'o? qu'il v?nt, la foule, quelle qu'elle f?t, l'effrayaient. Elle le trouvait plus docile que beaucoup d'autres et disait:

--Moi, madame, je fais de lui tout ce que je veux. Je ne me rappelle pas qu'il m'ait d?sob?i. Quand je lui dis: <>, s'il est en train de jouer devant la maison ou dans la cour, il rentre tout de suite. Il prend la bo?te. Il part. C'est dommage qu'il soit si timide. Le cher fr?re me le disait encore l'autre jour en propres termes. Mais il faut esp?rer qu'il changera.

Il allait souvent chez les Chovin dont la boutique n'?tait s?par?e de la mercerie que par la largeur de la grand'rue. Derri?re les vitres de la devanture, des sabots de toutes dimensions ?taient accroch?s par le talon ? des fils de fer tendus. L'atelier, glacial en hiver, prenait jour par un vitrage fait de morceaux de verre tant bien que mal adapt?s. Glissant entre leurs jointures, la pluie tombait sur les copeaux. L? Chovin travaillait avec des lunettes bleues, un tablier de cuir, et la chemise ouverte sur sa poitrine velue. Le jeudi, ses devoirs termin?s, Berl?ne arrivait ? pas de loup. Bien qu'il e?t l'habitude de la boutique, il ne se d?cidait pas tout de suite ? entrer. Il passait et repassait d'abord sur le trottoir, s'arr?tait un instant ? regarder les sabots comme s'il ne les avait jamais vus, disparaissait et r?apparaissait.

Quelquefois il fallait que Mme Chovin ouvr?t la porte pour lui dire:

--Eh bien, tu n'entres donc pas?

Alors il avait envie de lui r?pondre:

--Oh! non, madame! Ce n'est pas la peine. Je vous d?rangerais.

Mme Chovin et sa fille cousaient, leurs bo?tes ? ouvrage pos?es sur une chaise basse aux pieds rogn?s. Marie ?tait une grosse petite fille ? peu pr?s du m?me ?ge que nous deux, mais plus intelligente que lui. Chez les soeurs, elle avait toujours les premi?res places. On ne pouvait savoir si plus tard elle serait laide ou jolie.

Il prenait un petit tabouret et la regardait coudre, tout en surveillant la grand'rue.

En hiver personne ne passait. Ou bien c'?tait une bande de gamins, ceux-ci encapuchonn?s, ceux-l? les oreillettes de la casquette rabattues, qui couraient, les mains dans les poches. S'il y avait de la neige, ils faisaient une glissoire le long de la rue qui d?vale de l'?glise au Bout du Pav?. De la boutique on les apercevait. Mme Chovin disait:

--Tu ne vas donc pas jouer avec les autres?

Il r?pondait:

--Non. Pour attraper du mal!... Et puis il ne faut pas que j'use mes sabots.

Mme Chovin n'aurait pas demand? mieux, puisque c'?tait chez elle que se fournissait Mme Dumas.

Quelques gamins s'arr?taient pour souffler et s'amusaient ? faire, du dehors, de la bu?e sur les vitres. Quand ils l'avaient aper?u sur son tabouret ils chantaient:

Jean-fillote ? la grolote...

Que voulait dire <>? Mais <> signifiait clairement leur m?pris pour ce gar?on toujours fourr? dans les jupons des femmes. Il s'occupait m?me ? de menus travaux d'aiguille et confectionnait des fleurs artificielles.

Il ne courait pas davantage avec les autres dans les bois, ni sur les routes, ni sur les bords de l'?tang du Goulot: pour se noyer il suffit d'un faux pas sur la chauss?e. Il se tenait dans leur jardin o? il se distrayait en creusant la terre molle avec une pelle en bois. Dans le sable il plantait des fleurs dont il arrosait les tiges cass?es; au coucher du soleil elles ?taient fl?tries.

Ces d?tails, je les avais recueillis l'un apr?s l'autre; chaque fois c'?tait comme si j'eusse d?couvert dans un miroir grossissant des traits que j'ignorais de mon visage. Mais c'?tait aussi pour me dire tout de suite:

<>

Je m'en serais voulu de passer des apr?s-midi dans la boutique des Chovin. Pas-comme-les-autres tant qu'on voudra, mais <>, non. Berl?ne n'avait pas un vrai seul camarade, j'en avais quelques-uns, et je ne m'ennuyai point durant les vacances qui suivirent ce dimanche o? il n'avait eu que le prix de bonne conduite.

Certes, il m'?tait agr?able de rester ? la maison, soit que la fra?cheur des matin?es s'y r?fugi?t, chass?e du dehors par le soleil qui montait vite, soit que l'apr?s-midi m?me y f?t moins br?lante que sous les tilleuls des Promenades ou sur les routes poussi?reuses. Couch? sur les carreaux froids, assis sur un fauteuil dont je t?tais machinalement le velours r?peux, je lisais des r?cits de belles aventures et les tranquilles histoires de la Biblioth?que Rose. Ou bien j'?coutais et regardais autour de moi. Savez-vous que les meubles et les cloisons vivent? Las d'?tre toujours ? la m?me place, fatigu?es de porter le poids du plafond, ils font craquer leurs jointures, elles s'?tirent. Les carreaux rouges ne se ressemblent pas entre eux. Chacun a son visage particulier. Il y en a d'intacts, de corn?s, de fendill?s, de fendus. Celui-ci est travers? du nord au sud par une ligne droite, celui-l? de l'est ? l'ouest par une ligne bris?e. L'un a des hachures; l'autre, us? en son centre, fait penser ? un petit r?servoir. Les fleurs du papier coll? au mur ne sont-elles pas changeantes comme les nuages? Selon que je les regarde de mon lit, ou debout pr?s de la fen?tre, ou assis dans mon fauteuil, la m?me repr?sente un oiseau le bec ouvert, un homme la bouche ferm?e et le nez en trompette, une poire entaill?e. Aux approches du soir, la maison s'agrandit. A mesure qu'elle entre, l'ombre semble repousser cloisons et murs. Les fleurs disparaissent. Je n'ose pas me lever pour marcher les mains en avant, comme un aveugle. Je sais que j'irais trop loin dans la nuit.

Mais, si bien que j'y fusse, je ne pouvais passer toutes mes vacances ? l'int?rieur de la maison. J'affrontai les ardeurs de l'?t?. Je me souviens de ces journ?es br?lantes o? regarder le ciel ?tait une souffrance, tellement il semblait que l'azur lui-m?me f?t embras? par le soleil. Pas un souffle d'air. Les feuilles ?taient dess?ch?es et l'herbe roussie. Tant?t, ? deux ou trois, nous nous amusions ? creuser des trous dans le terreau de notre cour, ? faire des bulles de savon que nous regardions dispara?tre; tant?t nous descendions aux moulins pour voir tomber l'eau sur les roues massives ou pour p?n?trer dans la chambre des meules puissantes qui nous auraient ?cras?s comme des grains de bl?.

Tant?t je m'en allais r?der seul autour de l'?glise. Il y avait sur les pelouses des touffes d'absinthe ? odeur forte. Je contemplais toute la petite ville ? mes pieds avec ses arbres dans les jardins, avec ses maisons que tuiles ou ardoises coiffaient de rouge sombre ou de bleu, avec ses petites rues, ses chemins et ses routes qui la relient au reste du monde. Plus loin et tout ? l'entour c'?taient les bois monotones dont la sombre verdure demeurait immobile. J'?coutais des tailleurs de pierres frapper de leurs maillets de bois sur les ciseaux de fer. Puis j'entrais dans l'?glise par une des portes lat?rales. Le soufflet du tambour se rabattait avec un bruit ?touff?. J'?tais ma casquette et je marchais sur la pointe des pieds, de peur de troubler le silence, mais j'ouvrais tout grands les yeux pour mieux voir la lumi?re plus d?licate et plus belle de filtrer ? travers les vitraux bleus, verts, rouges, jaunes et violets. Je m'enhardissais jusqu'? entrer dans le choeur, o? je soulevais le couvercle de l'harmonium dont jouait le fr?re Th?odore. Je regardais les touches blanches et noires, les registres sur lesquels ?taient ?crits des noms tels que Bourdon, Clairon, Fl?te, Clarinette, Hautbois. Je n'allais pourtant point jusqu'? souffler du pied ni appuyer du doigt sur une touche: il me semblait que l'?glise se serait ?croul?e pour m'ensevelir sous ses ruines si j'avais eu l'audace de profaner un instrument dont pouvait seul s'approcher un homme de la science du fr?re Th?odore. J'aimais les c?r?monies religieuses, non par pi?t?, mais par une sorte de sentiment de la po?sie que je ne pourrais d?finir. Ces chants d'?glise me plaisaient, toujours graves, qu'ils fussent tristes ou joyeux; parfois j'aspirais vaguement ? devenir un grand organiste, dans le genre du fr?re Th?odore.

--Madame, voulez-vous qu'Albert vienne s'amuser avec nous?

C'?tait l'apr?s-midi d'un jeudi d'octobre, le deuxi?me apr?s la rentr?e des classes. Assis pr?s de la chemin?e o? deux b?ches se consumaient lentement, Berl?ne r?vait ? vide, le menton appuy? sur la paume des mains.

--Mais certainement, monsieur Georges! dit Mme Dumas. Je ne demande pas mieux: cela le distraira. Regardez-le donc! Il est l? ? s'ab?tardir au coin du feu. Mais il est vraiment mal habill? pour sortir avec vous. Je vais lui donner son autre blouse noire.

--Vous n'y pensez pas, madame! r?pondit M. Georges. Pour jouer on est toujours trop propre.

La porte de la salle ? manger rest?e entr'ouverte, Mme Dumas ?tait assise ? son comptoir, attendant les clients. M. Georges ne venait rien acheter, mais elle ?tait plus heureuse que s'il lui avait pris d'un seul coup pour un louis de mercerie. Ce gamin de dix ans, qu'elle appelait M. Georges, ?tait le fils cadet des Labrosse, bourgeois qui se fournissaient chez elle. Elle ?tait leur humble servante, comme de tous ceux qui voulaient bien lui donner leur client?le: m?me dans une petite ville on n'a entre les commer?ants que l'embarras du choix. Georges venait en ?claireur de la part de Robert, son a?n?. Je ne les aimais ni l'un ni l'autre. Comme Berl?ne et moi, ils ?taient ?l?ves de l'?cole des fr?res; ils se distinguaient parmi les moins appliqu?s ? l'?tude et les plus turbulents dans la cour des r?cr?ations. Leurs deux camarades intimes, les fils Rouget, ?taient, au commencement du mois, partis pour le lyc?e. Et ils restaient seuls, d?sempar?s et s'ennuyant. Alors ils avaient pens? ? leur plus proche voisin. Ou, plut?t, c'?tait leur m?re qui avait d? leur dire, les voyant comme deux corps sans ?me:

--Allez donc inviter ce pauvre Albert.

Mme Duras consid?ra que c'?tait un grand honneur pour elle, en la personne de son fils. Elle d?plorait qu'il rest?t toujours seul, et elle souffrait ? la pens?e qu'il f?t si d?sh?rit? que personne ne t?nt ? rechercher sa compagnie.

Il se leva. Pourtant, lui non plus, il ne les aimait pas, les deux Labrosse. Ils ?taient de ceux qui, l'hiver pr?c?dent, lui avaient lanc? des boules de neige en criant: <> Mais, puisque sa m?re le lui ordonnait, sans protester il suivit <> comme un petit domestique.

Les deux maisons se touchaient presque, mais qu'elles ?taient diff?rentes! Qu'il y avait loin de l'humble boutique ? la demeure des Labrosse avec ses deux ?tages! Au rez-de-chauss?e, les trois fen?tres du salon donnaient sur la grand'rue. Que de fois, lorsqu'elles ?taient ouvertes, il avait, en passant, regard? les beaux meubles vernis, les cadres dor?s accroch?s aux murs et la grande table ronde, au milieu, charg?e d'albums, dont il e?t voulu caresser le cuir ?pais! Il ne lui venait m?me pas ? l'id?e qu'un jour il y p?t entrer. Et voici que Georges n'eut qu'? pousser deux portes, celle du corridor, qu'il referma sur eux, puis une autre: et Berl?ne se trouva sur le seuil du salon, si interdit qu'il ne pensa pas tout de suite ? enlever sa casquette. Assise dans l'embrasure d'une fen?tre, Mme Labrosse faisait du crochet avec Mlle Gertrude, sa fille, qui avait dix ans. ?tendu sur le canap?, les mains crois?es sous la nuque, Robert sifflotait comme un homme.

--Maman, dit Georges, voici Albert que je ram?ne. Il va jouer avec nous.

--Tu es content, Albert? lui demanda Mme Labrosse.

--Oh! oui, madame! r?pondit-il en devenant tout rouge.

Il ?tait au supplice. Il regrettait son coin de chemin?e; quelle bonne apr?s-midi il e?t pass?e l?!

--Eh bien, mes enfants, allez! dit-elle. Et n'oubliez pas de rentrer pour vos quatre heures.

Il dut, ? leur suite, traverser le salon en s'effor?ant de ne point glisser sur le parquet cir?. Il n'avait os? ni lever les yeux pour voir de plus pr?s les cadres dor?s, ni avancer la main pour toucher le cuir des albums.

--Qu'est-ce que nous allons faire ? pr?sent? dit Robert, lorsqu'ils furent dans la cour.

--Si nous allions dans le bois? dit Georges. Nous emm?nerions le chien.

Roux comme un renard, presque aussi gros qu'un loup, Stop ?tait dans un tonneau, ? l'entr?e de la cour. Depuis qu'il les avait vus, il aboyait en tirant sur sa cha?ne. Berl?ne avait, comme moi, peur des chiens. Vous croyez qu'ils se prom?nent par les rues, pacifiquement, en qu?te d'une borne ou d'un angle de mur? Non. Ils ont des intentions bien pires. Ils passent avec leurs m?choires orn?es de crocs pour me mordre.

Il pensa dire:

--Il vaudrait peut-?tre mieux le laisser ici. Dans son tonneau il ne doit pas ?tre malheureux, pas plus que je ne l'?tais tout ? l'heure au coin de la chemin?e.

Mais il n'osa encore pas. Le chien avait ici beaucoup plus d'importance que lui. Nul doute que, si Stop avait pu causer, Georges ne f?t pas venu inviter Berl?ne.

Il faut voir cette apr?s-midi d'un jeudi d'octobre. Tout le long du chemin qui m?ne au bois, les feuilles jaunes, pour toujours d?tach?es de leurs branches, volent ? l'aventure, ?gar?es. Elles se r?unissent au pied de la haie. Les entendez-vous qui se concertent, inqui?tes? Elles ne savent ce qui leur arrive.

Dans le ciel, des nuages d'un joli gris passent si vite qu'on a juste le temps de les voir et de les saluer de loin.

Las de l'?t?, le soleil commence ? prendre du repos, et le vent, que l'on n'a gu?re entendu depuis l'hiver dernier, se remet ? donner de la voix, comme Stop, que voici revenir d'une course folle et qui gambade autour de ses ma?tres, autour de Berl?ne, qui n'est pas fier.

Berl?ne essayait de sourire au chien pour se concilier ses bonnes gr?ces, mais le moyen de voir sans trembler cette gueule ouverte, langue pendante et dents pointues, de sentir cette chaude haleine passer sur ses mains qu'il ne retirait pas de peur que Stop, s'excitant au jeu, ne s'avis?t de les lui happer?

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