Read Ebook: Actes et Paroles Volume 1 by Hugo Victor
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Ebook has 2314 lines and 138306 words, and 47 pages
OEUVRES COMPLETES DE VICTOR HUGO
ACTES ET PAROLES I
LE DROIT ET LA LOI
Toute l'eloquence humaine dans toutes les assemblees de tous les peuples et de tous les temps peut se resumer en ceci: la querelle du droit contre la loi. Cette querelle, et c'est la tout le phenomene du progres, tend de plus en plus a decroitre. Le jour ou elle cessera, la civilisation touchera a son apogee, la jonction sera faite entre ce qui doit etre et ce qui est, la tribune politique se transformera en tribune scientifique; fin des surprises, fin des calamites et des catastrophes; on aura double le cap des tempetes; il n'y aura pour ainsi dire plus d'evenements; la societe se developpera majestueusement selon la nature; la quantite d'eternite possible a la terre se melera aux faits humains et les apaisera.
Plus de disputes, plus de fictions, plus de parasitismes; ce sera le regne paisible de l'incontestable; on ne fera plus les lois, on les constatera; les lois seront des axiomes, on ne met pas aux voix deux et deux font quatre, le binome de Newton ne depend pas d'une majorite, il y a une geometrie sociale; on sera gouverne par l'evidence; le code sera honnete, direct, clair; ce n'est pas pour rien qu'on appelle la vertu la droiture; cette rigidite fait partie de la liberte; elle n'exclut en rien l'inspiration, les souffles et les rayons sont rectilignes. L'humanite a deux poles, le vrai et le beau; elle sera regie, dans l'un par l'exact, dans l'autre par l'ideal. Grace a l'instruction substituee a la guerre, le suffrage universel arrivera a ce degre de discernement qu'il saura choisir les esprits; on aura pour parlement le concile permanent des intelligences; l'institut sera le senat. La Convention, en creant l'institut, avait la vision, confuse, mais profonde, de l'avenir.
Cette grandeur, la France l'a, et l'aura de plus en plus. La France a cela d'admirable qu'elle est destinee a mourir, mais a mourir comme les dieux, par la transfiguration. La France deviendra Europe. Certains peuples finissent par la sublimation comme Hercule ou par l'ascension comme Jesus-Christ. On pourrait dire qu'a un moment donne un peuple entre en constellation; les autres peuples, astres de deuxieme grandeur, se groupent autour de lui, et c'est ainsi qu'Athenes, Rome et Paris sont pleiades. Lois immenses. La Grece s'est transfiguree, et est devenue le monde paien; Rome s'est transfiguree, et est devenue le monde chretien; la France se transfigurera et deviendra le monde humain. La revolution de France s'appellera l'evolution des peuples. Pourquoi? Parce que la France le merite; parce qu'elle manque d'egoisme, parce qu'elle ne travaille pas pour elle seule, parce qu'elle est creatrice d'esperances universelles, parce qu'elle represente toute la bonne volonte humaine, parce que la ou les autres nations sont seulement des soeurs, elle est mere. Cette maternite de la genereuse France eclate dans tous les phenomenes sociaux de ce temps; les autres peuples lui font ses malheurs, elle leur fait leurs idees. Sa revolution n'est pas locale, elle est generale; elle n'est pas limitee, elle est indefinie et infinie. La France restaure en toute chose la notion primitive, la notion vraie. Dans la philosophie elle retablit la logique, dans l'art elle retablit la nature, dans la loi elle retablit le droit.
L'oeuvre est-elle achevee? Non, certes. On ne fait encore qu'entrevoir la plage lumineuse et lointaine, l'arrivee, l'avenir.
En attendant on lutte.
Lutte laborieuse.
D'un cote l'ideal, de l'autre l'incomplet.
Avant d'aller plus loin, placons ici un mot, qui eclaire tout ce que nous allons dire, et qui va meme au dela.
La vie et le droit sont le meme phenomene. Leur superposition est etroite.
Qu'on jette les yeux sur les etres crees, la quantite de droit est adequate a la quantite de vie.
De la, la grandeur de toutes les questions qui se rattachent a cette notion, le Droit.
Le droit et la loi, telles sont les deux forces; de leur accord nait l'ordre, de leur antagonisme naissent les catastrophes. Le droit parle et commande du sommet des verites, la loi replique du fond des realites; le droit se meut dans le juste, la loi se meut dans le possible; le droit est divin, la loi est terrestre. Ainsi, la liberte, c'est le droit; la societe, c'est la loi. De la deux tribunes; l'une ou sont les hommes del'idee, l'autre ou sont les hommes du fait; l'une qui est l'absolu, l'autre qui est le relatif. De ces deux tribunes, la premiere est necessaire, la seconde est utile. De l'une a l'autre il y a la fluctuation des consciences. L'harmonie n'est pas faite encore entre ces deux puissances, l'une immuable, l'autre variable, l'une sereine, l'autre passionnee. La loi decoule du droit, mais comme le fleuve decoule de la source, acceptant toutes les torsions et toutes les impuretes des rives. Souvent lapratique contredit la regle, souvent le corollaire trahit le principe, souvent l'effet desobeit a la cause; telle est la fatale condition humaine. Le droit et la loi contestent sans cesse; et de leur debat, frequemment orageux, sortent, tantot les tenebres, tantot la lumiere. Dans le langage parlementaire moderne, on pourrait dire: le droit, chambre haute; la loi, chambre basse.
L'inviolabilite de la vie humaine, la liberte, la paix, rien d'indissoluble, rien d'irrevocable, rien d'irreparable; tel est le droit.
L'echafaud, le glaive et le sceptre, la guerre, toutes les varietes de joug, depuis le mariage sans le divorce dans la famille jusqu'a l'etat de siege dans la cite; telle est la loi.
Le droit: aller et venir, acheter, vendre, echanger.
La loi: douane, octroi, frontiere.
Le droit: l'instruction gratuite et obligatoire, sans empietement sur la conscience de l'homme, embryonnaire dans l'enfant, c'est-a-dire l'instruction laique.
La loi: les ignorantins.
Le droit: la croyance libre.
La loi: les religions d'etat.
Le suffrage universel, le jury universel, c'est le droit; le suffrage restreint, le jury trie, c'est la loi.
La chose jugee, c'est la loi; la justice, c'est le droit.
Mesurez l'intervalle.
La loi a la crue, la mobilite, l'envahissement et l'anarchie de l'eau, souvent trouble; mais le droit est insubmersible.
Pour que tout soit sauve, il suffit que le droit surnage dans une conscience.
On n'engloutit pas Dieu.
La persistance du droit contre l'obstination de la loi; toute l'agitation sociale vient de la.
Le hasard a voulu que les premieres paroles politiques de quelque retentissement prononcees a titre officiel par celui qui ecrit ces lignes, aient ete d'abord, a l'institut, pour le droit, ensuite, a la chambre des pairs, contre la loi.
Le 2 juin 1841, en prenant seance a l'academie francaise, il glorifia la resistance a l'empire; le 12 juin 1847, il demanda a la chambre des pairs la rentree en France de la famille Bonaparte, bannie.
Ainsi, dans le premier cas, il plaidait pour la liberte, c'est-a-dire pour le droit; et, dans le second cas, il elevait la voix contre la proscription, c'est-a-dire contre la loi.
Sa conscience lui a impose, dans ses fonctions de legislateur, une confrontation permanente et perpetuelle de la loi que les hommes font avec le droit qui fait les hommes.
Obeir a sa conscience est sa regle; regle qui n'admet pas d'exception.
Pour lui, il le declare, car tout esprit doit loyalement indiquer son point de depart, la plus haute expression du droit, c'est la liberte.
La formule republicaine a su admirablement ce qu'elle disait et ce qu'elle faisait; la gradation de l'axiome social est irreprochable. Liberte, Egalite, Fraternite. Rien a ajouter, rien a retrancher. Ce sont les trois marches du perron supreme. La liberte, c'est le droit, l'egalite, c'est le fait, la fraternite, c'est le devoir. Tout l'homme est la.
Nous sommes freres par la vie, egaux par la naissance et par la mort, libres par l'ame.
Otez l'ame, plus de liberte.
Le materialisme est auxiliaire du despotisme.
Remarquons-le en passant, a quelques esprits, dont plusieurs sont meme eleves et genereux, le materialisme fait l'effet d'une liberation.
Etrange et triste contradiction, propre a l'intelligence humaine, et qui tient a un vague desir d'elargissement d'horizon. Seulement, parfois, ce qu'on prend pour elargissement, c'est retrecissement.
Constatons, sans les blamer, ces aberrations sinceres. Lui-meme, qui parle ici, n'a-t-il pas ete, pendant les quarante premieres annees de sa vie, en proie a une de ces redoutables luttes d'idees qui ont pour denouement, tantot l'ascension, tantot la chute?
Il a essaye de monter. S'il a un merite, c'est celui-la.
De la les epreuves de sa vie. En toute chose, la descente est douce et la montee est dure. Il est plus aise d'etre Sieyes que d'etre Condorcet. La honte est facile, ce qui la rend agreable a de certaines ames.
N'etre pas de ces ames-la, voila l'unique ambition de celui qui ecrit ces pages.
Puisqu'il est amene a parler de la sorte, il convient peut-etre qu'avec la sobriete necessaire il dise un mot de cette partie du passe a laquelle a ete melee la jeunesse de ceux qui sont vieux aujourd'hui. Un souvenir peut etre un eclaircissement. Quelquefois l'homme qu'on est s'explique par l'enfant qu'on a ete.
Au commencement de ce siecle, un enfant habitait, dans le quartier le plus desert de Paris, une grande maison qu'entourait et qu'isolait un grand jardin. Cette maison s'etait appelee, avant la revolution, le couvent des Feuillantines. Cet enfant vivait la seul, avec sa mere et ses deux freres et un vieux pretre, ancien oratorien, encore tout tremblant de 93, digne vieillard persecute jadis et indulgent maintenant, qui etait leur clement precepteur, et qui leur enseignait beaucoup de latin, un peu de grec et pas du tout d'histoire. Au fond du jardin, il y avait de tres grands arbres qui cachaient une ancienne chapelle a demi ruinee. Il etait defendu aux enfants d'aller jusqu'a cette chapelle. Aujourd'hui ces arbres, cette chapelle et cette maison ont disparu. Les embellissements qui ont sevi sur le jardin du Luxembourg se sont prolonges jusqu'au Val-de-Grace et ont detruit cette humble oasis. Une grande rue assez inutile passe la. Il ne reste plus des Feuillantines qu'un peu d'herbe et un pan de mur decrepit encore visible entre deux hautes batisses neuves; mais cela ne vaut plus la peine d'etre regarde, si ce n'est par l'oeil profond du souvenir. En janvier 1871, une bombe prussienne a choisi ce coin de terre pour y tomber, continuation des embellissements, et M. de Bismark a acheve ce qu'avait commence M. Haussmann. C'est dans cette maison que grandissaient sous le premier empire les trois jeunes freres. Ils jouaient et travaillaient ensemble, ebauchant la vie, ignorant la destinee, enfances melees au printemps, attentifs aux livres, aux arbres, aux nuages, ecoutant le vague et tumultueux conseil des oiseaux, surveilles par un doux sourire. Sois benie, o ma mere!
Le digne pretre precepteur s'appelait l'abbe de la Riviere. Que son nom soit prononce ici avec respect.
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