Read Ebook: Les Fleurs du Mal by Baudelaire Charles
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Ebook has 936 lines and 34449 words, and 19 pages
LES FLEURS DU MAL
par
CHARLES BAUDELAIRE
PR?FACE
Charles Baudelaire avait un ami, Auguste Poulet-Malassis, ancien ?l?ve de l'?cole des Chartes, qui s'?tait fait ?diteur par go?t pour les raffinements typographiques et pour la litt?rature qu'il jugeait en ?rudit et en artiste beaucoup plus qu'en commer?ant; aussi bien ne fit- il jamais fortune, mais ses livres devenus assez rares sont depuis longtemps tr?s recherch?s des bibliophiles.
<< Ce qui nous para?t ici m?riter l'int?r?t, disait-elle, c'est l'expression vive, curieuse, m?me dans sa violence, de quelques d?faillances, de quelques douleurs morales, que, sans les partager ni les discuter, on doit tenir ? conna?tre comme un des signes de notre temps. Il nous semble, d'ailleurs, qu'il est des cas o? la publicit? n'est pas seulement un encouragement, o? elle peut avoir l'influence d'un conseil utile et appeler le vrai talent ? se d?gager, ? se fortifier, en ?largissant ses voies, en ?tendant son horizon. >>
Le dommage mat?riel ne fut pas consid?rable pour Malassis; l'?dition ?tait presque ?puis?e lors de la saisie.
On a beaucoup parl? de la vie douloureuse de Baudelaire: manque d'argent, sant? pr?caire, absence de tendresse f?minine, car sa ma?tresse Jeanne Duval, une jolie fille de couleur qu'il appelait son << vase de tristesse >>, n'?tait qu'une sotte dont le coeur et la pens?e ?taient loin de lui. Son seul esprit, son m?chant esprit ?tait de tourner en ridicule les manies de son ami. Cependant elle ?tait charmante, nous dit Th?odore de Banville, << elle portait bien sa brune t?te ing?nue et superbe, couronn?e d'une chevelure violemment crespel?e et dont la d?marche de reine pleine d'une gr?ce farouche, avait ? la fois quelque chose de divin et de bestial >>. Et Banville ajoute: << Baudelaire faisait parfois asseoir Jeanne devant lui dans un grand fauteuil; il la regardait avec amour et l'admirait longuement; il lui disait des vers dans une langue qu'elle ne savait pas. Certes, c'est l? peut-?tre le meilleur moyen de causer avec une femme dont les paroles d?tonneraient, sans doute, dans l'ardente symphonie que chante sa beaut?; mais il est naturel aussi que la femme n'en convienne pas et s'?tonne d'?tre ador?e au m?me titre qu'une belle chatte. >>
Baudelaire n'aima qu'elle et il l'aima exclusivement pour sa beaut?, car depuis longtemps, peut-?tre depuis toujours, il avait senti qu'il ?tait seul aupr?s d'elle, que les hommes sont irr?vocablement seuls. Personne ne comprend personne. Nous n'avons d'autre demeure que nous- m?mes. Tout son dandysme fut fait de ce splendide isolement. Toutefois sa sensibilit? ?tait d'autant plus profonde qu'elle semblait moins apparente. Rien ne la r?v?lait. Il avait l'air froid, quelque peu distant, mais il subjuguait. Ses yeux couleur de tabac d'Espagne, son ?paisse chevelure sombre, son ?l?gance, son intelligence, l'enchantement de sa voix chaude et bien timbr?e, plus encore que son ?loquence naturelle qui lui faisait d?velopper des paradoxes avec une magnifique intelligence et on ne saurait dire quel magn?tisme personnel qui se d?gageait de toutes les impressions refoul?es au-dedans de lui, le rendaient extr?mement s?duisant. H?las! toutes ces belles qualit?s ne le servirent point--du moins financi?rement--il ignorait l'art de monnayer son g?nie. Ainsi, pratiquement du moins, comme tant d'autres, il se trouva desservi par sa fiert?, sa d?licatesse, par le meilleur de lui-m?me.
Baudelaire habitait dans l'?le Saint-Louis, sur le quai d'Anjou, en ce vieil et triste h?tel Pimodan plein de souvenirs somptueux et nostalgiques. Il avait choisi l? un appartement compos? de plusieurs pi?ces tr?s hautes de plafond et dont les fen?tres s'ouvraient sur le fleuve qui roule ses eaux glauques et indiff?rentes au milieu de la vie morbide et fi?vreuse. Les pi?ces ?taient tapiss?es d'un papier aux larges rayures rouges et noires, couleurs diaboliques, qui s'accordaient avec les draperies d'un lourd damas. Les meubles ?taient antiques, voluptueux. De larges fauteuils, de paresseux divans invitaient ? la r?verie. Aux murs des lithographies et des tableaux sign?s de son ami Delacroix, pures merveilles presque sans importance alors, mais que se disputeraient aujourd'hui ? coups de millions les princes de la finance am?ricaine.
Au temps de Baudelaire, c'est-?-dire vers le milieu du dix-neuvi?me si?cle, l'?le Saint-Louis ressemblait par la paix silencieuse qui r?gnait ? travers ses rues et ses quais ? certaines villes de province o? l'on va nu-t?te chez le voisin, o? l'on s'attarde ? bavarder au seuil des maisons et ? y prendre le frais par les beaux soirs d'?t? ? l'heure o? la nuit tombe. Artistes et ?crivains allaient se dire bonjour sans quitter leur costume d'int?rieur et fl?naient en n?glig? sur le quai Bourbon et sur le quai d'Anjou, si parfaitement d?serts que c'?tait une joie d'y regarder couler l'eau et d'y boire la lumi?re.
Un jour, Baudelaire, coiff? uniquement de sa noire chevelure, prenait un bain de soleil sur le quai d'Anjou, tout en croquant de d?licieuses pommes de terre frites qu'il prenait une ? une dans un cornet de papier, lorsque vinrent ? passer en cal?che d?couverte de tr?s grandes dames amies de sa m?re, l'ambassadrice, et qui s'amus?rent beaucoup ? voir ainsi le po?te picorer une nourriture aussi d?mocratique. L'une d'elles, une duchesse, fit arr?ter la voiture et appela Baudelaire.
--<< C'est donc bien bon, demanda-t-elle ce que vous mangez l??
--Go?tez, madame, dit le po?te en faisant les honneurs de son cornet de pommes de terre frites avec une gr?ce supr?me. >>
Et il les amusa si bien par ce r?gal inattendu et par sa conversation qu'elles seraient rest?es l? jusqu'? la fin du monde.
Quelques jours plus tard, la duchesse rencontrant Baudelaire dans le salon d'une vieille parente ? elle, lui demanda si elle n'aurait pas l'occasion de manger encore des pommes de terre frites.
--<< Non, madame, r?pondit finement le po?te, car elles sont, en effet, tr?s bonnes, mais seulement la premi?re fois qu'on en mange. >>
Cette petite anecdote racont?e par les historiens du po?te est devenue classique; mais nous n'avons pu r?sister au plaisir de la r?p?ter ici.
Baudelaire, plus ou moins pauvre, car la fortune laiss?e par son p?re avait ?t? d?vor?e rapidement, fut toujours plein de d?licatesse et dou? de cet esprit de finesse fait de belle humeur et d'ironie souriante. Cependant ses embarras d'argent devenus chroniques, aussi bien que son ?tat maladif, rendirent lamentables les derni?res ann?es du po?te. Frapp? de paralysie g?n?rale, ayant perdu la m?moire des mots, apr?s une longue agonie, il s'?teignit ? quarante-six ans. Sa m?re et son ami Charles Asselineau ?taient ? son chevet. Ses oeuvres lui ont surv?cu, mais la place d'honneur qu'il m?ritait par son g?nie parmi les romantiques ne lui fut vraiment accord?e qu'? l'aube de ce si?cle. On l'avait tenu jusqu'alors pour un tr?s habile ciseleur de phrases, le Benvenuto Cellini des vers, mais c'?tait presque un incompris, un n?vros?.
Henry FRICHET.
AU LECTEUR
La sottise, l'erreur, le p?ch?, la l?sine, Occupent nos esprits et travaillent nos corps, Et nous alimentons nos aimables remords, Comme les mendiants nourrissent leur vermine.
Nos p?ch?s sont t?tus, nos repentirs sont l?ches, Nous nous faisons payer grassement nos aveux, Et nous rentrons ga?ment dans le chemin bourbeux, Croyant par de vils pleurs laver toutes nos taches.
Sur l'oreiller du mal c'est Satan Trism?giste Qui berce longuement notre esprit enchant?, Et le riche m?tal de notre volont? Est tout vaporis? par ce savant chimiste.
C'est le Diable qui tient les fils qui nous remuent! Aux objets r?pugnants nous trouvons des appas; Chaque jour vers l'Enfer nous descendons d'un pas, Sans horreur, ? travers des t?n?bres qui puent.
Ainsi qu'un d?bauch? pauvre qui baise et mange Le sein martyris? d'une antique catin, Nous volons au passage un plaisir clandestin Que nous pressons bien fort comme une vieille orange.
Serr?, fourmillant, comme un million d'helminthes, Dans nos cerveaux ribote un peuple de D?mons, Et, quand nous respirons, la Mort dans nos poumons Descend, fleuve invisible, avec de sourdes plaintes.
Si le viol, le poison, le poignard, l'incendie, N'ont pas encore brod? de leurs plaisants desseins Le canevas banal de nos piteux destins, C'est que notre ?me, h?las! n'est pas assez hardie.
Mais parmi les chacals, les panth?res, les lices, Les singes, les scorpions, les vautours, les serpents, Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants Dans la m?nagerie inf?me de nos vices,
Il en est un plus laid, plus m?chant, plus immonde! Quoiqu'il ne pousse ni grands gestes ni grands cris, Il ferait volontiers de la terre un d?bris Et dans un b?illement avalerait le monde;
C'est l'Ennui!--L'oeil charg? d'un pleur involontaire, Il r?ve d'?chafauds en fumant son houka. Tu le connais, lecteur, ce monstre d?licat, --Hypocrite lecteur,--mon semblable,--mon fr?re!
SPLEEN ET ID?AL
BENEDICTION
Lorsque, par un d?cret des puissances supr?mes, Le Po?te appara?t en ce monde ennuy?, Sa m?re ?pouvant?e et pleine de blasph?mes Crispe ses poings vers Dieu, qui la prend en piti?:
<< Ah! que n'ai-je mis bas tout un noeud de vip?res, Plut?t que de nourrir cette d?rision! Maudite soit la nuit aux plaisirs ?ph?m?res O? mon ventre a con?u mon expiation!
<< Puisque tu m'as choisie entre toutes les femmes Pour ?tre le d?go?t de mon triste mari, Et que je ne puis pas rejeter dans les flammes, Comme un billet d'amour, ce monstre rabougri,
<< Je ferai rejaillir la haine qui m'accable Sur l'instrument maudit de tes m?chancet?s, Et je tordrai si bien cet arbre mis?rable, Qu'il ne pourra poussa ses boutons empest?s! >>
Elle ravale ainsi l'?cume de sa haine, Et, ne comprenant pas les desseins ?ternels, Elle-m?me pr?pare au fond de la G?henne Les b?chers consacr?s aux crimes maternels.
Pourtant, sous la tutelle invisible d'un Ange, L'Enfant d?sh?rit? s'enivre de soleil, Et dans tout ce qu'il boit et dans tout ce qu'il mange Retrouve l'ambroisie et le nectar vermeil.
Il joue avec le vent, cause avec le nuage Et s'enivre en chantant du chemin de la croix; Et l'Esprit qui le suit dans son p?lerinage Pleure de le voir gai comme un oiseau des bois.
Tous ceux qu'il veut aimer l'observent avec crainte, Ou bien, s'enhardissant de sa tranquillit?, Cherchent ? qui saura lui tirer une plainte, Et font sur lui l'essai de leur f?rocit?.
Dans le pain et le vin destin?s ? sa bouche Ils m?lent de la cendre avec d'impurs crachats; Avec hypocrisie ils jettent ce qu'il touche, Et s'accusent d'avoir mis leurs pieds dans ses pas.
Sa femme va criant sur les places publiques: << Puisqu'il me trouve assez belle pour m'adorer, Je ferai le m?tier des idoles antiques, Et comme elles je veux me faire redorer;
<< Et je me so?lerai de nard, d'encens, de myrrhe, De g?nuflexions, de viandes et de vins, Pour savoir si je puis dans un coeur qui m'admire Usurper en riant les hommages divins!
<< Et, quand je m'ennu?rai de ces farces impies, Je poserai sur lui ma fr?le et forte main; Et mes ongles, pareils aux ongles des harpies, Sauront jusqu'? son coeur se frayer un chemin.
<< Comme un tout jeune oiseau qui tremble et qui palpite, J'arracherai ce coeur tout rouge de son sein, Et, pour rassasier ma b?te favorite, Je le lui jetterai par terre avec d?dain! >>
Vers le Ciel, o? son oeil voit un tr?ne splendide, Le Po?te serein l?ve ses bras pieux, Et les vastes ?clairs de son esprit lucide Lui d?robent l'aspect des peuples furieux:
<< Soyez b?ni, mon Dieu, qui donnez la souffrance Comme un divin rem?de ? nos impuret?s, Et comme la meilleure et la plus pure essence Qui pr?pare les forts aux saintes volupt?s!
<< Je sais que vous gardez une place au Po?te Dans les rangs bienheureux des saintes L?gions, Et que vous l'invitez ? l'?ternelle f?te Des Tr?nes, des Vertus, des Dominations.
<< Je sais que la douleur est la noblesse unique O? ne mordront jamais la terre et les enfers, Et qu'il faut pour tresser ma couronne mystique Imposer tous les temps et tous les univers.
<< Mais les bijoux perdus de l'antique Palmyre, Les m?taux inconnus, les perles de la mer, Par votre main mont?s, ne pourraient pas suffire A ce beau diad?me ?blouissant et clair;
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