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Words: 32504 in 4 pages
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: Edouard by Duras Claire De Durfort Duchesse De - French fiction 19th century; Romance fiction; France Social life and customs 18th century Fiction FR Littérature
re poss?dait au milieu des montagnes du Forez, entre Bo?n et Saint-Etienne, des forges et une maison. Nous allions chaque ann?e passer ? ces forges les deux mois de vacances. Ce temps d?sir? et savour? avec d?lices s'?coulait toujours trop vite. La position de ce lieu avait quelque beaut?: la rivi?re qui faisait aller la forge descendait d'un cours rapide et souvent bris? par les rochers; elle formait au-dessous de la forge une grande nappe d'eau plus tranquille; puis elle se d?tournait brusquement et disparaissait entre deux hautes montagnes recouvertes de sapins. La maison d'habitation ?tait petite; elle ?tait situ?e au-dessus de la forge, de l'autre c?t? du chemin, et plac?e ? peu pr?s au tiers de la hauteur de la montagne. Environn?e d'une vieille for?t de sapins, elle ne poss?dait pour tout jardin qu'une petite plate-forme dessin?e avec des buis, orn?e de quelques fleurs, et d'o? l'on avait la vue de la forge, des montagnes et de la rivi?re. Il n'y avait point l? de village; il ?tait situ? ? un quart de lieue plus haut, sur le bord du torrent, et chaque matin la population, qui travaillait aux forges presque tout enti?re, passait sous la plate-forme en se rendant aux travaux. Les visages noirs et enfum?s des habitants, leurs v?tements en lambeaux, faisaient un triste contraste avec leur vive gaiet?, leurs chants, leurs danses et leurs chapeaux orn?s de rubans. Cette forge ?tait pour moi, ? la campagne, ce qu'?taient ? Lyon la petite pointe de sable et le cour majestueux du Rh?ne: le mouvement me jetait dans les m?mes r?veries que le repos. Le soir, quand la nuit ?tait sombre, on ne pouvait m'arracher de la plate-forme: la forge ?tait alors dans toute sa beaut?; les torrents de feu qui s'?chappaient de ses fourneaux ?clairaient ce seul point d'une lumi?re rouge sur laquelle tous les objets se dessinaient comme des spectres; les ouvriers, dans l'activit? de leurs travaux, arm?s de leurs grands pieux aigus, ressemblaient aux d?mons de cette esp?ce d'enfer; des ruisseaux d'un feu liquide coulaient au dehors; des fant?mes noirs coupaient ce feu et en emportaient des morceaux au bout de leur baguette magique, et bient?t le feu lui-m?me prenait entre leurs mains une nouvelle forme. La vari?t? des attitudes, l'?clat de cette lumi?re terrible dans un seul point du paysage, la lune qui se levait derri?re les sapins et qui argentait ? peine l'extr?mit? de leur feuillage, tout ce spectacle me ravissait. J'?tais fix? sur cette plate-forme comme par l'effet d'un enchantement, et, quand on venait m'en tirer, on me r?veillait comme d'un songe.
Cependant je n'?tais pas aussi ?tranger aux jeux de l'enfance que cette disposition pourrait le faire croire; mais c'?tait surtout le danger qui me plaisait. Je gravissais les rochers les plus inaccessibles, je grimpais sur les arbres les plus ?lev?s; je croyais toujours poursuivre je ne sais quel but que je n'avais encore pu atteindre, mais que je trouverais au del? de ce qui m'?tait d?j? connu. Je m'associais d'autres enfants dans mes entreprises; mais j'?tais leur chef, et je me plaisais ? les surpasser en t?m?rit?. Souvent je leur d?fendais de me suivre, et ce sentiment du danger perdait tout son charme pour moi si je le voyais partag?.
J'allais avoir quatorze ans; mes ?tudes ?taient fort avanc?es, mais je restais toujours au m?me point pour le fruit que je pouvais en tirer, et mon p?re d?sesp?rait d'?veiller en moi ce feu de l'?me sans lequel tout ce que l'esprit peut acqu?rir n'est qu'une richesse st?rile, lorsqu'une circonstance, l?g?re en apparence, vint faire vibrer cette corde cach?e au fond de mon ?me et commen?a pour moi une existence nouvelle. J'ai parl? de mes jeux: un de ceux qui me plaisaient le plus ?tait de traverser la rivi?re en sautant de rocher en rocher par-dessus ses ondes bouillonnantes; souvent m?me je prolongeais ce jeu p?rilleux, et, non content de traverser la rivi?re, je la remontais ou je la descendais de la m?me fa?on. Le danger ?tait grand, car, en approchant de la forge, la rivi?re encaiss?e se pr?cipitait violemment sous les lourds marteaux qui broyaient la mine et sous les roues que le courant faisait mouvoir. Un jour, un enfant un peu plus jeune que moi me dit: "Ce que tu fais n'est pas difficile. -- Essaye donc," r?pondis-je. Il saute, fait quelques pas, glisse et dispara?t dans les flots. Je n'eus pas le temps de la r?flexion: je me pr?cipite, je me cramponne aux rochers, et l'enfant, entra?n? par le courant, vient s'arr?ter contre l'obstacle que je lui pr?sente. Nous ?tions ? deux pas des roues, et, les forces me manquant, nous allions p?rir, lorsqu'on vint ? notre secours. Je fondis en larmes quand le danger fut pass?. Mon p?re, ma m?re accoururent et m'embrass?rent; mon coeur palpita de joie en recevant leurs caresses. Le lendemain, en ?tudiant, je croyais lire des choses nouvelles; je comprenais ce que jusque-l? je n'avais fait qu'apprendre; j'avais acquis la facult? d'admirer; j'?tais ?mu de ce qui ?tait bien, enflamm? de ce qui ?tait grand. L'esprit de mon p?re me frappait comme si je ne l'eusse jamais entendu: je ne sais quel voile s'?tait d?chir? dans les profondeurs de mon ?me. Mon coeur battait dans les bras de ma m?re, et je comprenais son regard. Ainsi un jeune arbre, apr?s avoir langui longtemps, prend tout ? coup l'essor; il pousse des branches vigoureuses, et on s'?tonne de la beaut? de son feuillage: c'est que sa racine a enfin rencontr? le filon de terre qui convient ? sa substance; j'avais rencontr? aussi le terrain qui m'?tait propre, j'avais d?vou? ma vie pour un autre!
De ce moment je sortis de l'enfance. Mon p?re, encourag? par le succ?s, m'ouvrit les voies nouvelles qu'on ne parcourt qu'avec l'imagination. En me faisant appliquer les sentiments aux faits, il forma ? la fois mon coeur et mon jugement. "Savoir et sentir, disait-il souvent, voil? toute l'?ducation."
Les lois furent ma principale ?tude; mais, par la mani?re dont cette ?tude ?tait conduite, elle embrassait toutes les autres. Les lois furent faites en effet pour les hommes et pour les moeurs de tous les temps; elles suivirent les besoins. Compagnes de l'histoire, elles sont le mot de toutes les difficult?s, le flambeau de tous les myst?res; elles n'ont point de secret pour qui sait les ?tudier, point de contradiction pour qui sait les comprendre.
Mon p?re ?tait le plus aimable des hommes; son esprit servait ? tout, et il n'en avait jamais que ce qu'il fallait; il poss?dait au supr?me degr? l'art de faire sortir la plaisanterie de la raison. L'opposition du bon sens aux id?es fausses est presque toujours comique: mon p?re m'apprit ? trouver ridicule ce qui manquait de v?rit?. Il ne pouvait mieux en conjurer le danger.
C'est un danger pourtant et un grand malheur que la passion dans l'appr?ciation des choses de la vie, m?me quand les principes les plus purs et la raison la plus saine sont vos guides. On ne peut ha?r fortement ce qui est mal sans adorer ce qui est bien, et ces mouvements violents sont-ils faits pour le coeur de l'homme? H?las! ils le laissent vide et d?vast? comme une ruine, et cet accroissement momentan? de la vie am?ne et produit la mort.
Je ne faisais pas alors ces r?flexions; le monde s'ouvrait ? mes yeux comme un oc?an sans bornes. Je r?vais la gloire, l'admiration, le bonheur; mais je ne les cherchais pas hors de la profession qui m'?tait destin?e. Noble profession, o? l'on prend en main la d?fense de l'opprim?, o? l'on confond le crime et fait triompher l'innocence! Mes r?veries, qui avaient alors quelque chose de moins vague, me repr?sentaient toutes les occasions que j'aurais de me distinguer, et je cr?ais des malheurs et des injustices chim?riques pour avoir la gloire et le plaisir de les r?parer.
La r?volution qui s'?tait faite dans mon caract?re n'avait produit aucun changement dans mes go?ts. Comme aux jours de mon enfance, je fuyais la soci?t?; je ne sais quelle d?plaisance s'attachait pour moi ? vivre avec des gens, respectables sans doute, mais dont aucun ne r?alisait ce type que je m'?tais form? au fond de l'?me, et qui, au vrai, n'avait que mon p?re pour mod?le. Dans l'intimit? de notre famille, entre mon p?re et ma m?re, j'?tais heureux; mais, d?s qu'il arrivait un ?tranger, je m'en allais dans ma chambre vivre dans ce monde que je m'?tais cr??, et auquel celui-l? ressemblait si peu.
Ma m?re avait beaucoup d'esprit, de la douceur et une raison sup?rieure; elle aimait les id?es re?ues, peut-?tre les id?es communes, mais elle les d?fendait par des motifs nouveaux et piquants. La longue habitude de vivre avec mon p?re et de l'aimer avait fait d'elle comme un reflet de lui; mais ils pensaient souvent les m?mes choses par des motifs diff?rents, et cela rendait leurs entretiens ? la fois paisibles et anim?s. Je ne les vis jamais diff?rer que sur un seul point. H?las! je vois aujourd'hui que ma m?re avait raison.
Mon p?re avait d? la plus grande partie de son talent et de sa c?l?brit? comme avocat ? une profonde connaissance du coeur humain. Je lui ai ou? dire que les pi?ces d'un proc?s servaient moins ? ?tablir son opinion que le tact qui lui faisait p?n?trer jusqu'au fond de l'?me des parties int?ress?es. Cette sagacit?, cette p?n?tration, cette finesse d'aper?us, ?taient des qualit?s que mon p?re aurait voulu me donner; peut-?tre m?me la solitude habituelle o? nous vivions avait-elle pour but de me pr?parer ? ?tre plus frapp? du spectacle de la soci?t? qu'on ne l'est lorsque graduellement on s'est familiaris? avec ses vices et ses ridicules, et qu'on arrive blas? sur l'impression qu'on en peut recevoir. Mon p?re voulait montrer le monde ? mes yeux, lorsqu'il se serait assur? que le go?t du bien, la solidit? des principes, et la facult? de l'observation seraient assez m?ris en moi pour retirer de ce spectacle le profit qu'il se plaisait ? en attendre.
Mon p?re avait ?t? assez heureux, dans sa jeunesse, pour sauver dans un proc?s fameux la fortune et l'honneur du mar?chal d'Olonne. Les rapports o? les avait mis cette affaire avaient cr?? entre eux une amiti? qui depuis trente ans ne s'?tait jamais d?mentie. Malgr? des destin?es si diff?rentes, leur intimit? ?tait rest?e la m?me: tant il est vrai que la parit? de l'?me est le seul lien r?el de la vie. Une correspondance fr?quente alimentait leur amiti?; il ne se passait pas de semaine que mon p?re ne re??t de lettres de M. le mar?chal d'Olonne, et la plus intime confiance r?gnait entre eux. C'est dans cette maison que mon p?re comptait me mener quand j'aurais atteint ma vingti?me ann?e; c'est l? qu'il se flattait de me faire voir la bonne compagnie et de me faire acqu?rir ces qualit?s de l'esprit qu'il d?sirait tant que je poss?dasse. J'ai vu ma m?re s'opposer ? ces desseins. "Ne sortons point de notre ?tat, disait-elle ? mon p?re; pourquoi mener Edouard dans un monde o? il ne doit pas vivre, et qui le d?go?tera peut-?tre de notre paisible int?rieur? -- Un avocat, disait mon p?re, doit avoir ?tudi? tous les rangs; il faut qu'il se familiarise d'avance avec la politesse des gens de la cour pour n'en ?tre pas ?bloui. Ce n'est que dans le monde qu'il peut acqu?rir la puret? du langage et la gr?ce de la plaisanterie. La soci?t? seule enseigne les convenances et toute cette science de go?t qui n'a point de pr?ceptes, et que pourtant on ne vous pardonne pas d'ignorer. -- Ce que vous dites est vrai, reprenait ma m?re; mais j'aime mieux, je vous l'avoue, qu'Edouard ignore tout cela et qu'il soit heureux. On ne l'est qu'en s'associant avec ses ?gaux:
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